Les gouvernements de différents pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale réagissent à la pandémie de COVID-19 par des mesures répressives et abusives, qui sont loin de respecter leurs obligations relatives aux droits humains, a déclaré Amnesty International mercredi 29 avril 2020. L’organisation a rendu public un nouveau rapport qui détaille les responsabilités des gouvernements de la région.
« Au fur et à mesure que la pandémie de COVID-19 s’étend dans la région, nombre de gouvernements semblent s’attacher davantage à réprimer la dissidence qu’à protéger la santé publique, a déclaré Heather McGill, chercheuse sur l’Asie centrale à Amnesty International.
« Des autorités du Kazakhstan, qui condamnent des portes d’appartements pour bloquer les habitant·e·s à l’intérieur, à la police tchétchène, qui agresse les gens qui ne portent pas de masque, les gouvernements semblent considérer la pandémie comme un blanc-seing pour bafouer les droits humains. Toute mesure stricte destinée à limiter la propagation du virus doit être temporaire, proportionnelle à l’objectif recherché et conforme aux normes relatives aux droits humains. »
Des autorités du Kazakhstan, qui condamnent des portes d'appartements pour bloquer les habitant·e·s à l'intérieur, à la police tchétchène, qui agresse les gens qui ne portent pas de masque, les gouvernements semblent considérer la pandémie comme un blanc-seing pour bafouer les droits humains.
Heather McGill, chercheuse sur l'Asie centrale à Amnesty International
Recours excessif à la force et mesures restrictives
Les autorités des pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale ont couramment recours à des mesures répressives pour réduire au silence les critiques. Il n’est donc pas surprenant que certains gouvernements aient réagi à la pandémie de COVID-19 au mépris des droits humains les plus fondamentaux.
Le 6 avril 2020, à Karakol, au Kirghizistan, les autorités ont condamné les portes d’un immeuble tout entier abritant des dizaines de famille, après qu’une personne y habitant eut été testée positive au COVID-19. Au Kazakhstan, les autorités ont aussi mis des immeubles en quarantaine en en condamnant les portes pour contraindre les habitant·e·s à rester à l’intérieur.
Le 18 avril, l’armée ukrainienne a fermé le seul accès au village de Staromarivka, situé sur un territoire touché par le conflit dans l’est de l’Ukraine, dans une zone sous contrôle du gouvernement. Ce village de 150 habitant·e·s s’est donc retrouvé totalement coupé du monde, sans aucun moyen de se procurer de la nourriture, des services médicaux ni aucune autre forme d’aide.
À la fin du mois de mars, dans la république russe de Tchétchénie, des policiers ont été filmés armés de tuyaux en plastique, avec lesquels, selon les vidéos, ils s’en prenaient physiquement aux personnes qui ne portaient pas de masque.
Atteintes au droit à la santé
Au Bélarus, au Tadjikistan et au Turkménistan, des responsables politiques ont minimisé la gravité de la pandémie et préconisé des remèdes dont l’efficacité n’était pas prouvée. Ainsi, fin mars, le président bélarussien Alexandre Loukachenko a affirmé que la consommation quotidienne de vodka permettait d’éliminer le virus, de même que le sauna et les activités sportives. À ce jour, son gouvernement n’a pris aucune mesure de distanciation sociale. Son homologue turkmène, Gourbangouly Berdymoukhamedov, qui ne mentionne pour ainsi dire jamais le COVID-19, a conseillé de brûler des feuilles d’harmal pour se protéger contre la maladie.
Insuffisamment financés, les systèmes de santé de la région se battent pour apporter les soins nécessaires aux malades. En Russie, la réforme d’« optimisation » du système public de santé mise en œuvre ces dix dernières années a entraîné une réduction drastique du personnel médical et du nombre d’établissements de santé. La pénurie d’équipements expose les professionnel·le·s de la santé au virus.
Restrictions de la liberté d’expression et de l’accès à l’information
Pour lutter contre la propagation du virus, les gouvernements doivent veiller à ce que des informations accessibles, exactes et scientifiquement fondées soient diffusées à propos du COVID-19 et de la manière de s’en protéger. Or, bien trop souvent, les autorités des pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale ont utilisé les nouveaux pouvoirs qui leurs étaient conférés par l’état d’urgence pour harceler des journalistes et d’autres personnes ayant tenté de partager des informations.
« Les gouvernements d’Azerbaïdjan et de Russie ont poursuivi en justice des utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux, des journalistes et des professionnel·le·s de la santé qui avaient dénoncé les failles de leurs réponses au COVID-19. D’autres pays, comme l’Ouzbékistan, ont infligé de lourdes amendes pour “diffusion de fausses nouvelles”, a déclaré Heather McGill.
« Ces mesures envoient aux journalistes de la région un message susceptible de les dissuader de s’exprimer et montrent que beaucoup de gouvernements se préoccupent davantage d’attaquer les personnes qui les critiquent que de protéger la santé de la population. »
Les gouvernements d'Azerbaïdjan et de Russie ont poursuivi en justice des utilisateurs et utilisatrices de réseaux sociaux, des journalistes et des professionnel·le·s de la santé qui avaient dénoncé les failles de leurs réponses au COVID-19.
Heather McGill
En Azerbaïdjan, les autorités profitent de la pandémie de COVID-19 pour réprimer l’opposition. Le 19 mars 2020, le président Ilham Aliev a annoncé de « nouvelles règles » pendant toute la durée de la pandémie, visant notamment à « isoler » l’opposition politique et à en « débarrasser » le pays. Après cette annonce, Tofig Yagublu, militant de l’opposition, a été arrêté sur la base d’accusations de « houliganisme » forgées de toutes pièces ; il a été suivi de peu par le défenseur des droits humains Elchin Mammad, qui a lui été accusé de vol.
En Russie, Anastasia Vasilieva, présidente du syndicat indépendant Alliance des médecins, a été convoquée pour interrogatoire ; elle était accusée d’avoir diffusé « de fausses nouvelles ». Son syndicat a appelé les professionnel·le·s de la santé russes à dénoncer l’incompétence des autorités. À la suite de cet appel, nombre de ses membres ont été harcelés et menacés, et Anastasia Vasilieva a été arrêtée par la police pour « violation du confinement » alors qu’elle livrait des équipements à un hôpital local.
Les médias russes n’échappent pas non plus à la pression. Les autorités ont ainsi contraint la Novaïa Gazeta, un journal réputé, à retirer un article qui critiquait la politique de confinement des autorités tchétchènes, après que le président de la république de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, eut menacé publiquement l’auteure de cet article, Éléna Milachina.
« Les populations d’Europe de l’Est et d’Asie centrale méritent mieux en cette période difficile, a déclaré Heather McGill.
« Leurs gouvernements doivent allouer toutes les ressources disponibles à la mise en œuvre du droit à la santé et placer les droits humains au cœur de leur réponse au virus. »