Cette année encore, les autorités d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe ont imposé des restrictions sévères à l’exercice de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, a déclaré Amnesty International à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
L’organisation de défense des droits humains a recensé des mesures généralisées d’intimidation, de harcèlement et de détention visant des journalistes dans des pays à travers la région. Les autorités continuent de cibler et de réprimer avec violence ceux qui osent dénoncer des allégations de corruption et des violations des droits humains.
« Les menaces pesant sur les droits à la liberté d’expression et de la presse se sont poursuivies avec la même intensité à travers l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe au cours de l’année écoulée. Dénoncer ou examiner de près les politiques, les actions ou l’inaction des gouvernements, ou partager publiquement des informations jugées néfastes pour le pouvoir expose à l’arrestation, la détention arbitraire, voire la mort », a déclaré Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
Dénoncer ou examiner de près les politiques, les actions ou l’inaction des gouvernements, ou partager publiquement des informations jugées néfastes pour le pouvoir expose à l’arrestation, la détention arbitraire, voire la mort
Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International
En outre, Amnesty International a noté la multiplication des coupures intentionnelles de la connexion à Internet et l’adoption de lois draconiennes sur la cybersécurité visant à réduire au silence les médias et à contrôler la diffusion de l’information.
Se cacher derrière la « loi » : faire taire les journalistes par tous les moyens
À travers l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, les autorités se sont servies des lois relatives à la sécurité nationale, notamment de la législation relative à la cybersécurité et à la lutte contre le terrorisme, pour saper le droit à la liberté d’expression, sanctionner les journalistes et bâillonner la liberté des médias.
À Madagascar, le Code relatif à la Cybercriminalité et le Code relatif à la Communication poussent les journalistes à s’autocensurer par peur des représailles. Ces textes de loi comportent des dispositions générales et vagues, telles que les « attaques contre la sécurité de l’État », la « diffamation », la « diffusion de fausses nouvelles » et l’« incitation à la haine », invoquées pour intimider, harceler et cibler les journalistes.
Au Zimbabwe, en février, les autorités ont interdit à deux journalistes de couvrir des événements organisés par le gouvernement dans la province des Midlands. Le ministre des Affaires de l’État et de la Décentralisation des Midlands a montré du doigt Sydney Mubaiwa, chef du bureau des Midlands du Mirror, et Stephen Chadenga, de NewsDay, qui participaient à une réunion organisée par la Commission sur le genre et leur a ordonné de s’abstenir d’assister aux futures réunions du gouvernement.
En mai, le Zimbabwe a promulgué le projet de loi d’amendement (projet de loi patriotique) de la Loi de réforme et de codification du Code pénal, qui menace la liberté de la presse en criminalisant le fait de porter « délibérément atteinte à la souveraineté et à l’intérêt national du Zimbabwe ». Les journalistes qui participent à une réunion dont il y a « des raisons de croire » qu’elle a pour but « d’envisager ou de planifier une intervention armée » peuvent être inculpés, même s’ils y assistent uniquement à des fins de reportage.
Au Soudan du Sud, Amnesty International a recensé des actes d’intimidation, de harcèlement et de censure à l’encontre de journalistes, notamment des cas où des responsables de sécurité ont supprimé des articles de journaux qu’ils jugeaient critiques à l’égard du gouvernement de transition, empêché des journalistes de couvrir certains partis politiques, confisqué des documents d’accréditation, ainsi que des équipements médias, et suspendu les activités de certains organes de presse.
En République démocratique du Congo, les autorités ont continué sans relâche d’attaquer les droits à la liberté d’expression et de la presse, dans le contexte des élections générales qui se sont tenues en décembre 2023, des violences intercommunautaires dans certaines régions et de l’escalade armée dans les provinces de l’Est.
Au cours de l’année écoulée, les autorités ont fermé de manière arbitraire une dizaine de médias et d’émissions, pour des accusations allant de la « diffusion de fausses rumeurs » à l’« incitation à la révolte contre les autorités établies » et à la « diffamation ».
En septembre 2023, le journaliste Stanis Bujakera a été arrêté et poursuivi pour « diffusion de fausses rumeurs » et « falsification », au lendemain de la publication par Jeune Afrique d’un article impliquant les services de renseignement dans le meurtre du politicien Chérubin Okende. En mars 2024, Stanis Bujakera a été déclaré coupable et condamné à six mois de prison, sans que l’existence d’une infraction pénale ou d’une responsabilité pénale dans cette affaire n’ait été prouvée. Il a finalement été libéré parce qu’il avait déjà passé plus de six mois derrière les barreaux. Au moins trois autres journalistes sont actuellement détenus sur la base d’accusations forgées de toutes pièces à travers le pays.
Au Burundi, la journaliste Floriane Irangabiye purge une peine de 10 ans de prison pour des propos critiques qu’elle a tenus au sujet du gouvernement burundais dans le cadre d’une émission de radio en ligne. En janvier 2023, le tribunal de grande instance de Mukaza l’a déclarée coupable d’« atteinte à l’intégrité du territoire national ». Elle a fait appel de ce jugement à deux reprises, en vain, et la Cour suprême a confirmé sa condamnation le 13 février 2024.
En Zambie, le 13 avril, des policiers ont arrêté Rodgers Mwiimba et Innocent Phiri dans la ville de Kafue, au sud de la capitale Lusaka, alors qu’ils filmaient une altercation entre des policiers et deux leaders d’un parti d’opposition. Ils ont été détenus au poste de police de Kafue, contraints d’effacer les images filmées, puis libérés deux heures plus tard.
Au Malawi, Macmillan Mhone a été arrêté et inculpé de « publication d’informations susceptibles d’effrayer et d’alarmer l’opinion publique », en raison d’un article qu’il a écrit en août 2023 sur les activités frauduleuses d’un homme d’affaires accusé de complot en vue de spolier le gouvernement du Malawi.
En Éthiopie, alors que des conflits armés persistent depuis 2020, les autorités ont invoqué les lois sur l’état d’urgence pour arrêter arbitrairement des journalistes. Depuis août 2023, au moins neuf journalistes ont été arrêtés et cinq sont toujours en détention. Parmi eux, trois sont visés par des allégations de terrorisme, qui pourraient leur valoir une condamnation à mort s’ils sont reconnus coupables.
En Somalie, des journalistes ont fait l’objet de menaces, d’actes de harcèlement et d’intimidation, de passages à tabac, d’arrestations arbitraires et de poursuites judiciaires. En février 2023, un tribunal de Mogadiscio a condamné Abdalle Ahmed Mumin, journaliste et secrétaire général du Syndicat des journalistes somaliens (SJS), à deux mois d’emprisonnement pour avoir « désobéi aux ordres du gouvernement », après que le SJS a tenu une conférence de presse pour contester les directives du ministère de l’Information concernant la couverture d’une offensive contre le groupe armé al shabab.
Les autorités d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe doivent cesser de s’en prendre à la presse simplement parce qu’elle fait son travail
Tigere Chagutah
Au Mozambique, où des journalistes sont régulièrement en butte à des mesures d’intimidation et de harcèlement, à des menaces de mort, à des violences, voire à des homicides, le rédacteur en chef João Fernando Chamusse a été tué chez lui à Maputo en décembre 2023. João Fernando Chamusse était rédacteur du journal Ponto por Ponto et commentateur sur TV Sucesso, chaîne de plus en plus visée par des actes d’intimidation. Son directeur général Gabriel Júnior a récemment reçu des menaces de mort.
Au Lesotho, le journaliste d’investigation Ralikonelo Joki, plus connu sous le nom de Leqhashasha, a été victime d’une embuscade et tué par balle devant le studio de Tšenolo FM à Maseru, en mai 2023. Avant son assassinat, dont on pense qu’il est lié à son travail de journaliste, il avait reçu des menaces de mort à trois reprises.
« Amnesty International appelle une nouvelle fois les autorités d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe à libérer les journalistes détenus illégalement, à cesser de s’en prendre à la presse simplement parce qu’elle fait son travail et à ne plus instrumentaliser le système judiciaire dans le but de réduire au silence les journalistes et les détracteurs. Enfin, il est temps de mettre un terme à la répression de la liberté des médias », a déclaré Tigere Chagutah.