L’avenir des droits humains est entre les mains du peuple
En 2019, le système international de défense des droits humains a fait l’objet de menaces croissantes. Les entités se considérant comme les défenseurs traditionnels des droits humains dans la région, telles que les institutions internationales et régionales et des gouvernements nationaux, ont de plus en plus été mises en échec, ce qui a fragilisé les garanties existantes. Dans le même temps, la Russie et la Chine, acteurs politiques et économiques de premier plan en Asie centrale et en Europe de l’Est, ont cherché activement à affaiblir le cadre international de défense des droits humains et les institutions chargées de le protéger.
L’Europe de l’Est et l’Asie centrale n’ont pas échappé à cette tendance décourageante. Nombre de gouvernements de la région ont mené une vaste offensive. Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ont été couramment réprimés, les droits sociaux et économiques négligés et les réfugié·e·s renvoyés de force, abandonnés à leur sort ou expulsés vers des destinations dangereuses, tandis que la discrimination à l’égard des femmes, des minorités ethniques et des autres groupes minoritaires ou marginalisés se poursuivait sans répit.
Néanmoins, comme ailleurs dans le monde et souvent au prix de gros risques, des citoyens et citoyennes ordinaires de la région ont manifesté pacifiquement pour exiger le respect de leurs droits humains et une vie meilleure et plus digne, pour eux comme pour la société. Les voix des femmes, des combattant·e·s anticorruption et des défenseur·e·s de l’environnement ont tout particulièrement pris de l’ampleur dans les actions collectives et les manifestations. Les populations d’Europe de l’Est et d’Asie centrale se sont notamment mobilisées, dans une perspective d’avenir, sur des sujets tels que la baisse des niveaux de vie, les expulsions forcées et la fraude électorale.
Malgré ce tableau peu réjouissant, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale ont vu, comme le reste du monde, le pouvoir du peuple se manifester.
Les citoyens et citoyennes ordinaires de la région ont été plus nombreux que les années précédentes à descendre dans la rue. Ils ont réclamé l’obligation de rendre des comptes pour les injustices, le droit d’être entendus et de décider de leur présent et de leur avenir, le respect des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, ainsi que les garanties d’une vie meilleure pour eux-mêmes et pour la société, face à la baisse du niveau de vie, à la discrimination et aux inégalités économiques et sociales. Ils ont également revendiqué un environnement sain, des soins médicaux accessibles, l’égalité des genres et des mesures efficaces contre la violence domestique. La liberté de réunion pacifique a cette année encore été violemment réprimée dans de nombreux pays, mais le pouvoir de la rue a montré que les gens y étaient attachés et qu’ils étaient suffisamment courageux pour réclamer son rétablissement.
En Géorgie, des milliers de personnes se sont rassemblées à Tbilissi pour protester contre le conflit persistant avec la Russie et les promesses non tenues des autorités en matière de réforme électorale. Elles ne se sont pas laissé décourager par la violente riposte de la police, qui a notamment utilisé des canons à eau. En Azerbaïdjan, les manifestant·e·s pacifiques de Bakou ont bravé à maintes reprises la répression brutale de toute forme d’opposition politique dans le pays, tout comme l’ont fait les femmes qui ont réclamé l’obligation de rendre des comptes pour les auteurs de violence domestique et l’adoption de mesures efficaces contre cette violence.
En Moldavie, des gens sont descendus pacifiquement dans la rue en réaction à d’importants événements politiques, mais aussi pour défendre leurs propres sujets de préoccupation. Ainsi, après des années d’action militante soutenue, la plus grande marche LGBTI à ce jour a pu se tenir à Chișinău, sous protection policière. De même, en Ukraine, la plus grande marche des fiertés jamais organisée à Kiev ne s’est pas résumée à une simple démonstration de courage, mais a été pour les participant·e·s une véritable fête rendue possible par une protection policière efficace contre les groupes violents partisans de la discrimination. Dans ces deux pays, les élections se sont traduites par une transition du pouvoir en douceur. Dans le cas de l’Ukraine, l’élection présidentielle a été caractérisée par une participation active de toutes les catégories de la population, sur fond de conflit armé au Donbass, et a entraîné une refonte presque totale des élites politiques.
La Russie a connu ses plus grandes manifestations depuis plusieurs années. Les protestataires ont dénoncé non seulement la manipulation du processus électoral à Moscou et l’utilisation abusive du système judiciaire à l’encontre des voix dissidentes, mais aussi le développement de la censure en ligne, de la corruption et des pratiques néfastes pour l’environnement. Au Kazakhstan, l’opposition politique citoyenne pacifique et la répression dont elle a fait l’objet de la part des autorités ont fait descendre de plus en plus de gens dans la rue. Ils ont notamment été nombreux à manifester quand les autorités ont organisé une élection anticipée pour légitimer le changement de président, Noursoultan Nazarbaïev ayant passé la main à Kassym-Jomart Tokaïev tout en conservant les principaux pouvoirs. L’élection a été marquée par l’absence de véritable opposition politique, ce à quoi le peuple a réagi en manifestant avec plus de créativité et de motivation que jamais.
En Ouzbékistan, où le massacre d’Andijan en 2005 semblait avoir dissuadé la population de descendre dans la rue, à l’exception de quelques protestataires isolés et occasionnels, des projets de rénovation urbaine dans la capitale, Tachkent, et dans d’autres villes ont déclenché des manifestations populaires contre les destructions massives de centaines d’habitations, situées pour la plupart dans des quartiers traditionnels (mahallas). Les propriétaires et les locataires se sont plaints de n’avoir pas été prévenus de leur expulsion en temps voulu et de ne pas s’être vu offrir une solution de relogement ou une indemnisation satisfaisante.
De plus en plus de jeunes et de femmes étaient en première ligne dans ces manifestations et autres initiatives. Malgré les obstacles considérables, le besoin de justice, d’obligation de rendre des comptes et de respect des droits humains restait vif au sein de la nouvelle génération et parmi celles et ceux dont la voix avait été réduite au silence les années précédentes. L’avenir des droits humains en Europe de l’Est et en Asie centrale est entre les mains du peuple, qui a le pouvoir de les faire grandir.