Ghias Aljundi (en haut à gauche, en jaune) a fui la Syrie il y a 18 ans pour gagner le Royaume-Uni. Depuis l’an dernier, il fait partie des milliers de bénévoles qui aident les réfugiés à leur arrivée en Grèce. Mais il ne s’attendait pas à secourir sa propre famille à bord d’un canot pneumatique.
Lorsque je me suis envolé pour l’île de Lesbos, en Grèce, je ne savais pas que ma famille débarquerait un jour sur cette île dans un petit bateau pneumatique. Drôle de coïncidence.
C’était une journée de décembre, ensoleillée, lumineuse et glaciale. Je n’ai jamais rien éprouvé d’aussi étrange. Pour rien au monde je n’aurais souhaité vivre un moment aussi difficile.
Personne ne souhaitait quitter la Syrie. Nous sommes originaires de Tartous, une ville magnifique sur la côte méditerranéenne. Mais j’ai été incarcéré pendant quatre ans et torturé en raison de mon travail de journaliste et de mes activités en faveur des droits humains, alors j’ai fui au Royaume-Uni en 1999.
Mon frère Safi tenait une boutique de téléphonie mobile à Tartous, mais en 2015, le magasin a été la cible de tirs et il est devenu trop dangereux de rester. Mon neveu, Mazin, tentait d’échapper à l’enrôlement forcé dans les rangs de l’armée. Alors ils ont fui au Liban et ont atteint la Turquie en quelques jours seulement.
Ensuite, j’ai reçu un message m’informant qu’ils avaient payé quelqu’un pour les amener jusqu’à Lesbos. J’ai fait tout mon possible pour les décourager d’entreprendre cette dangereuse traversée. J’étais prêt à emprunter de l’argent pour qu’ils puissent rester en Turquie. Mais leur décision était prise, et bien sûr j’ai décidé de les aider.
Je leur ai conseillé de ne pas partir de nuit, parce qu’en cas d’accident le risque est plus grand de couler, de porter un imperméable et des sacs plastique aux pieds, et les ai prévenus que les gilets de sauvetage sont pour la plupart des faux.
Je les ai avertis aussi de faire attention de ne pas crier, parce que cela terrifie les enfants.
Réunis 18 ans plus tard
Je savais exactement où ils arriveraient, parce qu’ils avaient partagé leur position sur WhatsApp. Le voyage depuis la côte turque a duré 1h50. Pendant l’attente, je me sentais ailleurs, dans une bulle.
J’ai glissé sur le dos jusqu’au bas de la colline, jusqu’à l’endroit où les vagues poussaient le bateau de mon frère. L’arrivée fut un peu rude – mes mains étaient écorchées et pleines d’épines.
J’ai tout de suite reconnu Safi, même si nous ne nous étions pas vus depuis 18 ans. Ma belle-sœur, Nina, était en larmes. Elle pensait avoir perdu son bébé, parce que des gens avaient piétiné son ventre dans la panique sur le canot. Mes collègues médecins l’ont auscultée et ont pu entendre un battement de cœur. J’ai fait débarquer de nombreux enfants, dont ma nièce de trois ans, Sirin – je n’ai su que plus tard que c’était elle.
Nous sommes allés les faire enregistrer au camp officiel, à Moria, mais il était totalement saturé ; des gens dormaient dehors et il faisait si froid. J’ai dû louer un endroit où dormir pour ma famille. Les réfugiés n’étaient pas autorisés à séjourner dans un hôtel ni à prendre un taxi. Un Grec leur a proposé un lit pour la nuit.
Je les ai emmenés dîner, puis j’ai rejoint l’équipe de nuit. J’étais sous le choc et j’ai débarqué des bateaux toute la nuit.
Ma famille a poursuivi son voyage jusqu’en Allemagne et tous ont un permis de séjour là-bas désormais. Ils suivent des cours dans un institut de langues, et attendent une place dans un jardin d’enfants. Les habitants sont très gentils avec eux. C’est étonnamment positif. Ma belle-sœur m’a confié : « J’ai de nouveau le sentiment d’être un être humain. » Et elle a donné naissance à un garçon en parfaite santé.
Ce qui est le plus dur pour un réfugié
Le plus dur lorsque l’on est un réfugié, c’est de sentir que vous n’êtes pas le bienvenu et que les gens croient que vous venez voler leurs richesses. Or, ces personnes ne viennent pas pour trouver du travail.
Un jour, j’ai secouru un bébé de six jours, grelottant de froid. J’ai demandé à sa mère, très jeune, pourquoi elle était venue toute seule. « Un avion nous a bombardés, et tant de personnes sont mortes, a-t-elle répondu. Alors j’ai pris mon bébé et je suis montée sur le bateau, pour avoir une chance de survivre. » Son époux a disparu lorsqu’elle était enceinte de trois mois, et sa famille a été tuée, alors que pouvait-elle faire d’autre ?
Je l’admire énormément. Elle se trouve en Suède aujourd’hui, toujours dans un camp, mais elle y est en sécurité avec son bébé. Lorsque je lui demande comment elle va, elle me répond invariablement : « Heureuse. Pas de bombes-barils. »
Tant de réfugiés m’ont assuré qu’ils ne resteraient pas un seul jour de plus en Europe si un cessez-le-feu était instauré en Syrie. Fuir est le seul moyen de survivre.
Être accueilli fait toute la différence
La situation en Grèce s’est encore terriblement dégradée depuis que ma famille est arrivée. En mars, Moria est devenu un centre de détention fermée aux termes du nouvel accord entre l’UE et la Turquie, qui menace de renvoyer les réfugiés vers la Turquie.
Des réfugiés sont également bloqués partout en Grèce continentale, dans des conditions terribles, en bénéficiant de très peu de soutien. Lorsque je me suis porté volontaire à Athènes il y a peu, j’ai vu des bébés de trois jours quitter l’hôpital pour aller vivre sous des tentes, dans une chaleur torride. Le sentiment de désespoir est fort.
Les bénévoles et les militants font toute la différence dans cette crise. 90 % d’entre nous prennent en charge leurs propres dépenses. Je n’ai jamais eu peur, et je n’ai jamais vu un réfugié agressif. Tous savent que nous sommes là pour les aider.
Lorsque les réfugiés sont accueillis, ils retrouvent l’espoir – et c’est ce dont ils ont besoin plus que tout. Ils ont besoin de se sentir installés, de sentir qu’ils ne dérangent pas. Ils retrouvent ainsi leur humanité et leur dignité.
C’est pourquoi des solutions comme la réinstallation sont essentielles. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des personnes embarquer pour des traversées très périlleuses, avec leurs enfants, aux mains de passeurs violents, ni de les laisser bloquées pendant des dizaines d’années dans des pays comme le Kenya ou le Pakistan.
Pour tous, avoir la possibilité de se rendre en toute légalité et en toute sécurité dans un pays qui les protègera signifie offrir un avenir à leurs enfants. En tant que parent, vous ne souhaitez pas que vos enfants naissent dans l’incertitude – vous voulez qu’ils aillent à l’école, qu’ils soient en sécurité et installés.
La protection n’est pas un cadeau fait aux réfugiés : c’est un droit fondamental. Nous devons demander à nos gouvernements de travailler ensemble pour trouver des solutions. Maintenant.