Parmi les oliveraies de plusieurs belles îles grecques, on trouve des barbelés.

Au moins 6 000 personnes en quête d’asile sont enfermées sur place depuis l’entrée en vigueur du nouveau plan de l’Union européenne (UE), le 20 mars. Certaines ont déjà été expulsées vers la Turquie, d’où elles étaient arrivées, tandis que de nombreuses autres attendent avec inquiétude qu’on leur réserve le même sort.

Mais elles ne sont pas les seules à être bloquées en Grèce. Quelque 46 000 autres personnes se trouvent dans des sites souvent très sales et surpeuplés à travers la Grèce continentale. Elles vivent dans l’incertitude, car elles sont arrivées après la fermeture de la frontière nord de la Grèce au début du mois de mars, et avant l’entrée en vigueur de l’accord d’expulsion conclu entre l’UE et la Turquie.

Nous avons rencontré certaines d’entre elles récemment : Sham, six ans, dont la maison en Syrie a été bombardée. Masih, qui a fui les talibans qui le menaçaient parce qu’il avait travaillé pour les Nations unies. Et Suzan, venue d’Irak, qui a failli accoucher dans une tente dans un terminal de ferries à Athènes.

Tous sont pris au piège d’une crise ne pouvant être résolue que par ceux qui l’ont créée – les gouvernements européens.

Cette crise ne peut être résolue que par ceux qui l’ont créée – les gouvernements européens.

Amnesty International
Des bénévoles secourent des personnes réfugiées arrivant au sud de Lesbos en canot pneumatique, mars 2016. Cette année, 156 153 personnes avaient accompli ce trajet meurtrier depuis la Turquie au 10 avril ; 156 autres n’y ont pas survécu. © Amnesty International/Olga Stefatou
Des enfants regardent par la fenêtre d’un bus sur l’île de Lesbos, en Grèce. Mars 2016. Avant que l’accord UE-Turquie n’entre en vigueur le 20 mars et que les autorités ne commencent à arrêter les personnes en quête d’asile, la plupart ont rapidement quitté l’île en direction du nord de l’Europe, via Athènes et Idomeni. © Amnesty International/Olga Stefatou
Des enfants jouent à l’extérieur d’Elliniko, un camp de réfugiés improvisé, ouvert dans l’ancien aéroport d’Athènes. « Les talibans ont tué mon père et mon oncle », dit Elena, 18 ans. « Nous sommes venus ici pour le futur de nos bébés. » © Amnesty International/Olga Stefatou
Faisant tout leur possible pour rafraîchir leur tenue, des gens étendent leurs vêtements à l’air libre. © Amnesty International/Olga Stefatou
«Chaque jour, je convaincs des gens de ne pas aller à la frontière», dit Christina, une bénévole venue de Californie, aux États-Unis, décrivant la situation au port des ferries du Pirée, à la mi-mars. «Plus de gens sont prêts à déposer une demande d’asile en Grèce maintenant », ajoute-t-elle. « Mais ils ne savent pas comment faire». © Amnesty International/Olga Stefatou
Livrées à elles-mêmes face à la frontière fermée à Idomeni, un village du nord de la Grèce, des personnes campent là où elles arrivent à trouver de la place. © Amnesty International/Fotis Filippou
Adel, 23 ans, étudiant en biologie, et son frère handicapé ont quitté la Syrie après que leur père a été tué. Adel essaie d’emmener son frère en Allemagne pour qu’il se fasse opérer de la colonne vertébrale. « Les dirigeants européens doivent faire en sorte que nous puissions passer plus facilement et nous mettre en sécurité », nous a-t-il dit. © Amnesty International/Fotis Filippou
«Nous dormons par terre», disent ces Syriennes à la grossesse avancée, qui se retrouvent bloquées à Idomeni. «Nous sommes ici uniquement parce que nous cherchons à mettre nos enfants en sécurité.» © Amnesty International/Fotis Filippou
Le camp de Moria, sur Lesbos, est entouré de murs de béton gris et de barbelés. Avant l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie, il s’agissait d’un centre ouvert où les gens faisaient enregistrer leur nom, leur nationalité et leurs empreintes digitales avant de pouvoir continuer leur route librement. Aujourd’hui, des milliers de personnes sont détenues sur place, attendant d’être expulsées. © Amnesty International/Olga Stefatou
Un message clair affiché sur une tente du principal port de l’île de Chios, en Grèce, avril 2016. © Amnesty International

Nulle part où se reposer

Sham, âgée de six ans, est une petite fille menue venant de Syrie, l’une des plus jeunes membres d’une grande et sympathique famille ayant quitté Damas ensemble.

Si Sham a fui les bombes qui ont détruit sa maison et effectué un périple terrifiant vers l’Europe à bord d’un canot pneumatique, les gouvernements européens ont décidé de tourner le dos aux personnes comme elle. Le 8 mars, ils ont complètement fermé les frontières.

Au lieu de poursuivre vers le nord pour rejoindre son père en Allemagne, Sham s’est retrouvée sur le sol crasseux d’un terminal de ferries malodorant au Pirée, le principal port d’Athènes.

Malgré tout ce qu’elle a traversé, cette belle famille continue à sourire et plaisanter. Mais les larmes ne sont pas loin.

Après avoir couru et joué avec son cousin, Sham éclate soudain en sanglots. « Sa grand-mère restée en Syrie lui manque », explique sa mère, Zeinab, tandis qu’elle serre la fillette dans ses bras et verse quelques larmes elle aussi. « Nous n’avons nulle part où nous reposer. »

Stavriana, bénévole au Pirée, en Grèce

Ces personnes n’ont nulle part où aller, elles sont bloquées. C’est déchirant.

Aidés par des bénévoles admirables

Une chose est claire : La Grèce ne peut tout simplement pas s’occuper de toutes les personnes se retrouvant prises au piège sur place. La famille de Sham a fait partie des milliers de personnes forcées à dormir à même le sol ou dans des tentes pendant des nuits glaciales.

Quand nous nous sommes rendus au Pirée à la mi-mars, il n’y avait pas d’eau chaude, et les ordures s’accumulaient. Les médecins avaient signalé des punaises de lit, des poux et des réactions allergiques liées à l’impossibilité de se laver. Les enfants, y compris Sham, étaient fiévreux et avaient la diarrhée.

Une opération bénévole battait son plein, comme dans de très nombreux autres sites de Grèce. Des centaines de personnes et quelques organisations humanitaires s’occupaient de nombreuses choses, du nettoyage à une distribution de plats chauds, en passant par des activités pour les enfants, des conseils juridiques et une assistance médicale.

Mais sans aucun soutien de la part de l’État, ou si peu, elles n’étaient pas en mesure de contrôler le chaos régnant sur place. Au 11 avril, quelque 4 500 personnes étaient bloquées dans un port de ferries conçu pour les touristes, pas pour une urgence humanitaire.

Les autorités poussent désormais les réfugiés à quitter le Pirée pour des camps à travers la Grèce. Mais personne ne sait encore si la situation sur place sera réellement meilleure.

Refoulés à la frontière

Un de ces camps, Elliniko, était l’aéroport international d’Athènes. « C’est n’importe quoi », a déclaré dans un anglais excellent Masih, un Afghan de 30 ans. Il a fui après avoir été menacé par les talibans parce qu’il avait travaillé pour les Nations unies et l’OTAN.

« Tout le monde dort à même le sol dans le vieux terminal », a-t-il dit. « Les toilettes sont vraiment très sales. Il n’y a pas d’espace réservé aux familles. Moi, je n’y dors pas – ça sent mauvais. »

Stressé et exaspéré, il dit qu’il a été le premier Afghan à être refoulé à Idomeni, à la frontière de la Grèce avec la Macédoine (ex-République yougoslave de Macédoine).

Idomeni était le principal point de passage vers le nord de l’Europe pour les réfugiés l’an dernier. Depuis la fermeture de la frontière, cette zone a été présentée dans les journaux du monde entier comme un goulot d’étranglement particulièrement sinistre. Quelque 10 000 personnes fatiguées, sans ressources, continuent à y dormir dehors, dans des champs boueux, par un froid glacial.

Masih est resté à Idomeni pendant huit jours, avant de retourner à Athènes. « S’ils n’ouvrent pas la frontière, je demanderai l’asile en Grèce », dit-il. « Je ne veux pas rentrer [en Afghanistan] – c’est dangereux. »

Les promesses et la réalité

Plus de 46 000
Nombre de réfugiés bloqués en Grèce au 11 avril 2016
66 400
Nombre de demandeurs d’asile que l’UE a accepté de faire venir de Grèce, en septembre 2015.
615
Nombre de demandeurs d’asile réinstallés depuis la Grèce dans d’autres pays de l’UE.

Nous espérions que l’Europe nous accorderait la liberté. On ne s’attendait pas à être traités comme ça.

Ahmed et Aliye, d’Alep en Syrie, bloqués à Idomeni, en Grèce

Quelle issue ?

Le système d’asile grec était déjà arrivé à son point de rupture avant le début de la crise. En raison de la longue attente, Masih n’a même pas encore pu se faire enregistrer comme demandeur d’asile. Il vit dans la terreur d’être expulsé.

Déposer une demande d’asile dans un autre pays – dans le cadre du programme de relocalisation de l’UE – donne à d’autres une lueur d’espoir lointaine, même s’ils ne peuvent pas choisir où ils iront.

Suzan, Kurde, mère de deux petits garçons, était en fin de grossesse et souffrait lorsque nous l’avons rencontrée au Pirée. Elle a fui l’Irak avec son époux Abdalsalam, 27 ans comme elle, après que les frères de celui-ci ont été tués et qu’il a reçu des menaces.

Mais au lieu de rejoindre le père de Suzan au Royaume-Uni, ils se retrouvent coincés dans une tente rouge toute fine. « Nous n’avons ni maison ni pays », a déclaré Abdalsalam, les larmes aux yeux.

Leur bébé est bien arrivé, et la famille est logée par une association caritative locale, le temps que leur demande de relocalisation soit traitée – une des seules manières pour les réfugiés d’échapper au piège grec.

Nous n’avons ni maison ni pays.

Abdalsalam, réfugié irakien

Quand on veut, on peut

Sur le papier, la relocalisation peut séduire : en septembre dernier, les pays de l’UE se sont engagés à aider la Grèce en partageant la responsabilité représentée par les quelques 66 400 demandeurs d’asile. Mais au 11 avril ces pays n’avaient accepté que 615 personnes, selon la Commission européenne.

La raison ? Une absence complète de volonté politique.

Si les gouvernements européens consacraient autant d’efforts à la protection d’êtres humains qu’à l’enfermement de ces personnes et à leur expulsion vers la Turquie, ils pourraient facilement régler la crise.

Par exemple, ils pourraient proposer des visas à des personnes comme Sham, Masih, Suzan et Abdalsalam, les aider à rejoindre des parents vivant déjà dans d’autres pays de l’UE, ou les relocaliser afin de traiter leur demande d’asile à l’étranger.

Quand ont veut, on peut : le Portugal, par exemple, affirme désormais qu’il ouvrira ses portes à 10 000 réfugiés – un bel exemple de ce qui est possible si les gouvernements s’attachent à trouver des solutions, au lieu de fermer leurs portes et de tourner le dos à ceux qui sont dans le besoin.