Amériques. Les pays de la région ne protègent pas suffisamment les Haïtien·ne·s en mouvement

Plusieurs États des Amériques manquent à leur devoir consistant à fournir une protection internationale et un lieu sûr aux Haïtien·ne·s en mouvement, les exposant à tout un ensemble de violations des droits humains, notamment des placements en détention et des renvois forcés illégaux par les autorités ; des faits d’extorsion ; des discriminations raciales anti-Noirs ; des exactions perpétrées par des groupes armés, notamment des violences liées au genre ; et un manque d’accès à des logements, des soins et des emplois adéquats, ont déclaré Amnesty International et Haitian Bridge Alliance dans une nouvelle synthèse rendue publique jeudi 28 octobre.

« Alors que la situation politique et économique continue à se détériorer en Haïti, s’accompagnant de violations massives des droits humains, d’enlèvements, et de la généralisation de la violence, plusieurs États des Amériques ne respectent pas leur devoir de protection envers les Haïtien·ne·s en mouvement, qui sont en quête de stabilité et de sécurité, ainsi que d’assurances qu’ils ne seront pas expulsés vers Haïti, où leur vie et leur sécurité sont gravement menacées », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice pour la région des Amériques à Amnesty International.

« Aujourd’hui, nous appelons les États de la région à cesser les expulsions vers Haïti et à proposer de toute urgence aux Haïtien·ne·s des mesures de protection, notamment l’asile, et d’autres voies vers un statut de résident légal, afin que ces personnes puissent reconstruire leur vie en toute sécurité. »

Ce document, intitulé Not safe anywhere: Haitians on the move need urgent international protection (traduction française à venir), est le fruit d’une enquête menée par une équipe de recherche ayant passé une semaine à mener des entretiens à Tapachula, dans le sud du Mexique, où des dizaines de milliers de Haïtien·ne·s attendent de connaître l’issue de leurs demandes d’asile dans des conditions inhumaines, après avoir effectué un dangereux périple à travers l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale dans le but de se mettre en sécurité.

Plusieurs États des Amériques ne respectent pas leur devoir de protection envers les Haïtien·ne·s en mouvement, qui sont en quête de stabilité et de sécurité

Erika Guevara-Rosas, directrice pour la région des Amériques à Amnesty International

Plus de 26 000 Haïtien·ne·s ont demandé l’asile au Mexique cette année. Moins de la moitié des demandes de protection internationale déposées par des Haïtien·ne·s en 2020 et 2021 ont reçu une réponse positive, contre 97-98 % des demandes faites par des Vénézuélien·ne·s ou 84-85 % de celles des Hondurien·ne·s au cours de la même période, selon des données obtenues auprès des autorités mexicaines. 

La synthèse indique que le Mexique applique des mesures qui sont en fait susceptibles de restreindre l’accès des Haïtien·ne·s à une protection, et ce, de diverses manières. Cela inclut : les renvois forcés illégaux effectués vers Haïti et le Guatemala sans évaluation des besoins de protection, ce qui viole le principe de non-refoulement ; le rassemblement à Tapachula de tous les demandeurs et demandeuses d’asile haïtiens ; et le fait de se garder d’étudier toutes les solutions envisageables en vue d’une régularisation au titre du droit mexicain. Le système est par ailleurs submergé et cela se traduit par des conditions dangereuses et un grand dénuement, faute d’accès à un logement, à de la nourriture et à d’autres articles de première nécessité.Un grand nombre de Haïtien·ne·s se trouvant actuellement au Mexique vivaient auparavant au Chili mais ont dû partir après avoir été victimes de discriminations racistes anti-Noirs et avoir rencontré des difficultés pour faire régulariser leur statut, en particulier sous le gouvernement de Sebastián Piñera.

Le droit international et régional relatif aux droits humains interdit aux États de renvoyer une personne vers un pays où sa vie ou sa liberté sont menacées – ce qui s’applique clairement dans le cas d’Haïti, un pays marqué par : l’omniprésence des violences perpétrées par des bandes criminelles ; des violations massives des droits humains, notamment des crimes contre l’humanité présumés ; une insécurité alimentaire généralisée ; un récent tremblement de terre ; et l’instabilité politique ayant suivi l’assassinat récent du président Jovenel Moïse. Malgré cela, les États de toute la région, en particulier les États-Unis et le Mexique, ont continué à procéder à des expulsions vers Haïti ces dernières semaines.

Aujourd’hui, nous appelons les États de la région à cesser les expulsions vers Haïti et à proposer de toute urgence aux Haïtien·ne·s des mesures de protection

Erika Guevara-Rosas, directrice pour la région des Amériques à Amnesty International

Selon l’Organisation internationale pour les migrations, entre les 19 septembre et 19 octobre, des pays de la région ont renvoyé quelque 10 800 Haïtien·ne·s vers Haïti, principalement depuis les États-Unis. Les expulsions de masse récentes très médiatisées de Haïtien·ne·s depuis Del Rio (Texas) semble-t-il vers Haïti et le Mexique, en vertu de dispositions du Titre 42 – une mesure introduite par le gouvernement Trump sous couvert de protection contre le COVID-19, qui autorise des expulsions sans évaluation ni protection en vertu du droit d’asile -, démontrent clairement que les autorités des États-Unis restreignent elles aussi les mesures de protection internationale auxquelles les Haïtien·ne·s peuvent prétendre.

« Nos recherches montrent que les Haïtien·ne·s ne sont en sécurité nulle part. Les pays de la région doivent immédiatement mettre fin à toutes les expulsions vers Haïti et fournir aux Haïtien·ne·s un accès sans entrave à la protection internationale », a déclaré Nicole Phillips, responsable juridique à Haitian Bridge Alliance. « Les États doivent aussi adopter dans les meilleurs délais des mesures efficaces afin de combattre le racisme et d’autres formes croisées de discrimination visant les migrant·e·s haïtiens, notamment en faisant respecter des règles interdisant aux représentant·e·s de l’État de se livrer au profilage ethnique, et en lançant des campagnes publiques de lutte contre les discriminations, qui s’attaquent au racisme et à la xénophobie dans la société. »