Amériques. Les droits humains sous COVID-19 : entrée n° 1 (3 avril 2020)

Alors que s’ouvre une période incertaine et inédite de l’histoire moderne, le programme Amériques d’Amnesty International vous propose ce blog, où seront exposées une partie des plus graves menaces pesant sur les droits humains en lien avec la pandémie de COVID-19 sur le continent. Nos chargé·e·s de recherche et de campagne vous communiqueront à intervalles réguliers (à moins que l’évolution de la situation ne nous en empêche) des analyses et des exemples des violations des droits fondamentaux commises depuis l’Alaska jusqu’en Argentine, et mettront à votre disposition des informations sur les recherches menées actuellement et à venir en cette période de grands bouleversements.

Nous vous présentons dans ce billet les cinq points qui ont retenu notre attention au cours des sept derniers jours.

  1. Maintien de l’ordre : dérive dangereuse vers des actes toujours plus cruels

Alors qu’une grande partie de la région est désormais soumise à des mesures de confinement ou de couvre-feu, et que de nombreux pays ont déclaré l’état d’urgence depuis la mi-mars dans le cadre de leur action de santé publique visant à prévenir la propagation du COVID-19, les médias internationaux ont commencé à diffuser des informations sur les sanctions infligées par l’armée et la police aux personnes ne respectant pas les mesures en vigueur, les obligeant par exemple à adopter des postures pénibles, à faire des sauts ou à tenir des propos humiliants devant la caméra.

Au cours de la semaine du 30 mars, l’application de ces mesures a pris une tournure plus inquiétante. Si le droit international relatif aux droits humains n’interdit pas d’imposer des restrictions aux libertés personnelles dans des circonstances exceptionnelles, il n’autorise jamais la torture ni les traitements cruels, inhumains ou dégradants, et exige systématiquement du recours à la force par la police ou l’armée qu’il soit proportionné, nécessaire et raisonnable.

Nous suivons actuellement le cas d’un jeune homme de Santiago (Chili). Nous avons notamment confirmé la véracité d’une vidéo du 24 mars où l’on peut voir des carabineros (police nationale en uniforme) tuant le jeune homme après avoir tiré sur lui à bout portant. La presse locale a indiqué que ces faits s’étaient déroulés dans le contexte des consignes de confinement, et que le jeune homme était sorti promener son chien le soir, juste devant sa maison. Cette affaire n’a pas retenu l’attention des médias à l’international. La charge de la preuve repose ici sur les autorités, et nous surveillerons de près la suite qui sera donnée à cette affaire pour voir notamment si l’enquête conduite par le parquet retient bien l’ensemble des versions des faits.

Le 28 mars, le Pérou a quant à lui adopté une loi de protection policière qui bafoue ouvertement les normes internationales et risque d’ouvrir la voie à l’impunité de la police, rendant plus difficile l’application de sanctions judiciaires à l’égard des policiers responsables de violations des droits humains.

  1. Guayaquil (Équateur), triste symbole de la crise sanitaire

Nous avons vérifié la date et le lieu de prise d’au moins 15 vidéos telles que celle-ci, qui ont été diffusées en ligne ces derniers jours. On y voit des cadavres gisant dans les rues de Guayaquil, ville portuaire équatorienne dévastée par la crise sanitaire.

À la lumière de ces éléments, nous souhaitons attirer l’attention sur un communiqué de presse diffusé par des organisations de défense des droits humains locales, engageant les autorités à agir de toute urgence et à suivre les recommandations de l’Organisation panaméricaine de la santé relative à la gestion des cadavres dans ce pays, où le nombre de décès liés au COVID-19 est élevé.

  1. Les droits des personnes migrantes, demandeuses d’asile et réfugiées en péril

Au Mexique, 15 personnes migrantes et demandeuses d’asile ont été blessées et un demandeur d’asile guatémaltèque est mort après qu’eut éclaté un mouvement de contestation dans le centre de détention de migrants de Tenosique (dans le sud du pays), le 31 mars, en raison des risques face à la pandémie de COVID-19. Le 2 avril, nous avons demandé aux autorités de plusieurs pays des Amériques, notamment du Canada, de Curaçao, des États-Unis, du Mexique et de Trinité-et-Tobago, de remettre en liberté les personnes détenues pour des motifs migratoires en vue de prévenir des milliers de décès qui pourraient être évités. La semaine prochaine, nous publierons des travaux de recherche plus approfondis sur les risques posés par la pandémie pour les personnes migrantes détenues aux États-Unis.

  1. Restrictions à la liberté de la presse et à l’accès à l’information

Le journaliste Darvinson Rojas a été maintenu 12 jours en détention pour avoir rendu compte de la propagation du COVID-19 au Venezuela. Il a été relâché jeudi 2 avril, quelques heures après qu’Amnesty International l’a adopté comme prisonnier d’opinion. Malgré sa libération, il fait toujours l’objet de poursuites judiciaires et c’est la raison pour laquelle nous allons continuer de nous mobiliser sur son cas pour que ce journaliste et tous les professionnel·le·s des médias travaillant au Venezuela puissent exercer leur activité essentielle, librement et en toute sécurité.

  1. Des lueurs d’espoir et d’humanité en cette sombre période

Si la semaine du 30 mars s’est révélée peu réjouissante dans les Amériques et que nous sommes préoccupés par l’évolution à venir de la situation, tout n’a pas été entièrement noir. Nous avons confirmé l’authenticité et le lieu de prise d’une vidéo datant du jeudi 2 avril, où l’on peut entendre un membre du corps de sapeurs-pompiers de Rio de Janeiro (Brésil), jouant de la trompette pour les habitants et habitantes confinés des quartiers alentour.