«Cela me brise le cœur, mais je dois continuer d’avancer» : des femmes honduriennes sont contraintes de quitter leur terre natale

Mexico – Après 23 jours de marche épuisante sous la pluie battante et dans la chaleur tropicale, Suyapa fait une pause bien méritée dans un refuge qui accueille un nombre croissant de membres de la caravane de migrants et de réfugiés centraméricains, dans un stade de la capitale mexicaine.

« Ce fut vraiment très éprouvant, surtout pour eux, explique-t-elle en pointant du doigt ses deux plus jeunes fils de sept et 10 ans. L’un de mes fils est tombé malade, mais Dieu merci il va mieux. Nous avons beaucoup marché. Ils étaient épuisés, la peau de leurs pieds a pelé et ils ont parfois dû marcher pieds nus. »

Comme la plupart des milliers de personnes qui composent les caravanes parties du Honduras, du Salvador, du Guatemala et du Nicaragua, Suyapa a quitté son foyer plus par nécessité que par choix.

Le président Donald Trump a qualifié les membres de la caravane de « criminels » et ordonné le déploiement de plus de 5 000 soldats pour les empêcher de traverser la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Pourtant, nombre d’entre eux sont des femmes et des enfants qui cherchent simplement un endroit sûr pour reconstruire leur vie.

D’après les pouvoirs publics de la ville de Mexico, les enfants représentaient 1 726 des 4 841 personnes recensées au centre d’accueil le 8 novembre, dont 310 enfants de moins de cinq ans. Environ 30 % des personnes recensées sont des femmes.

Suyapa a fui la ville de San Pedro Sula, au Honduras, car des membres de réseaux criminels violents, appelés les maras, lui extorquaient les revenus de sa boutique d’alimentation, exigeant qu’elle leur remette tous ses gains hebdomadaires, et ont enrôlé de force son fils aîné.

« Il n’avait pas le choix. J’ai essayé de les en empêcher, mais ils m’ont dit que si je restais dans le pays, ils tueraient ma famille, a déclaré Suyapa. Ce ne sont pas des menaces en l’air, ils les mettent à exécution. »

Il n’avait pas le choix. J’ai essayé de les en empêcher, mais ils m’ont dit que si je restais dans le pays, ils tueraient ma famille.

Suyapa, membre de la caravane de réfugiés et de migrants

Le gang lui a donné trois jours pour partir et ne jamais revenir.

« Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai quitté ma maison, j’ai tout laissé derrière moi, j’ai attrapé mes jeunes enfants et j’ai caché les autres qui allaient rester, parce que je n’avais pas d’autre choix. »

Suyapa affirme qu’elle ne connaissait pas l’existence de la caravane lorsqu’elle est partie de chez elle, mais qu’elle en a rapidement entendu parler et a décidé de la rejoindre.

Les Honduriens composent la majorité de la première caravane parvenue jusqu’à la ville de Mexico en chemin pour les États-Unis. Beaucoup citent la violence endémique et l’absence de protection de l’État comme raisons de leur départ d’un pays où les opportunités sont limitées et la pauvreté généralisée.

Parsemé de tentes, de poussettes et de linge suspendu pour sécher, le centre d’accueil de fortune de Mexico permet aux membres de la caravane de souffler, des employés du gouvernement et des bénévoles fournissant des soins médicaux et dentaires et trois repas par jour. Des coiffeurs bénévoles offrent des coupes gratuites et des clowns amusent les jeunes enfants, tandis que les adolescents jouent au foot. Il y a même des chamans qui proposent une guérison spirituelle.

Assise sur une balançoire, Claudia, 28 ans, regarde ses trois jeunes enfants jouer. Ils sont tous très minces et le plus jeune est malade. Les médecins du centre l’ont ausculté, mais il a besoin d’autres tests cliniques lorsqu’il arrivera à destination.

La famille de Claudia a parcouru plus de 1 500 km, avec un enfant dans une poussette et les autres qui marchaient. Ils ont été contraints de quitter le Honduras, car un gang les avait menacés parce qu’ils n’avaient pas payé « l’impôt de guerre » réclamé pour le petit commerce de son mari.

« Nous aimerions rentrer là-bas, a-t-elle déclaré, mais nous ne pouvons pas. »

Comme l’a révélé Amnesty International l’an dernier, les extorsions et les « impôts de guerre » que les maras réclament aux commerçants sont courants en Amérique centrale, et refuser de s’y soumettre, c’est risquer sa vie.

Avant de partir, la famille de Claudia avait fermé sa boutique et vivait chaque jour dans la peur des gangs.

« La police n’a aucun pouvoir là-bas, déclare Claudia pour expliquer pourquoi sa famille ne pouvait pas demander de l’aide aux autorités. Si vous dénoncez les gangs, ils vont le savoir, et ils vont vous « foutre en l’air ».

Aujourd’hui, Claudia affirme que sa priorité est de trouver un endroit sûr où ses enfants pourront être scolarisés.

Elle ne peut retenir ses larmes lorsqu’elle évoque ses enfants qui lui demandent quand ils vont rentrer à la maison. « Cela me brise le cœur, mais je dois continuer d’avancer. »

Le centre d’accueil à Mexico représente une rare occasion pour les membres de la caravane de recevoir un soutien émotionnel.

« Ce n’est pas facile pour eux d’abandonner leur pays. Ils doivent gérer des émotions douloureuses, explique Marlen Nava de l’Institut mexicain de psychologie d’urgence, l’une des associations de bénévoles qui vient en aide aux membres de la caravane.

« Nous constatons beaucoup d’angoisse, beaucoup de stress, de nombreuses réactions physiologiques et un trouble réactionnel de l’attachement chez les enfants. S’ils sont séparés de leurs parents, ils sont en proie à la peur, aux pleurs, voire aux régressions : par exemple, un enfant de 9 ou 10 ans se met soudain à parler comme un bébé. »

L’aide que Marlen Nava et ses collègues peuvent apporter aux visiteurs de passage est limitée et elle s’inquiète tout particulièrement de ce qu’elle décrit comme la « déshumanisation » des membres de la caravane.

« Ils sont fortement stigmatisés et traités comme des criminels. Pourtant, la plupart sont des familles, ce sont des femmes, des mères célibataires venues avec leurs enfants, ou seules parce qu’elles ont laissé derrière elles leur famille afin de trouver un moyen de lui venir en aide, explique-t-elle.

« Nous sommes tous des êtres humains. Je pense que chacun [devrait avoir] la possibilité de trouver ce qui est le mieux pour sa famille. Nous devons prendre en compte les raisons qui les ont poussés à prendre la décision de quitter leur pays. »

Lorena, une femme transgenre âgée de 30 ans, qui était travailleuse du sexe au Honduras, explique qu’elle est partie en raison de l’homophobie généralisée qui se traduit par des violences constantes de la part de la police et des clients.

Selon Amnesty International, les femmes transgenres en Amérique centrale sont particulièrement exposées, d’une part aux violences et aux extorsions des gangs et d’autre part aux violations des droits humains de la police.

« Dans mon pays, [les autorités] ne vous écoutent pas et ne vous prennent pas au sérieux… parce que vous êtes homosexuel », explique Lorena.

Comme les femmes transgenres subissent souvent des violences et des discriminations dans les pays de transit et de destination, Lorena a choisi de rejoindre la caravane parce qu’elle se sent plus en sécurité au sein d’un groupe plus grand. Même si elle s’attend à être placée en détention lorsqu’elle arrivera aux États-Unis, elle est prête à courir ce risque pour échapper à la violence au Honduras.

Et face au déploiement de soldats à la frontière par le président Donald Trump, elle affirme : « Il ne peut pas tuer des femmes et des enfants. »

Si des moments plus difficiles s’annoncent alors que la caravane poursuit sa route à travers le nord du Mexique, où les températures sont plus extrêmes, les infrastructures plus rares et le crime organisé omniprésent, la plupart des membres de la caravane ne se laissent pas décourager.

Suyapa reste déterminée à gagner les États-Unis pour pouvoir y élever ses fils en sécurité.

« Mon rêve est de passer de l’autre côté de la frontière et de pouvoir faire venir mes enfants, afin d’avoir une vie meilleure, avant tout pour qu’ils puissent étudier en paix. »

Ce rêve est né de la nécessité et de la situation invivable dans son pays.

« Pensez-vous que j’avais envie de venir ici avec mes enfants ? Jamais. Je n’aurais jamais souhaité quitter mon pays si la vie était différente. »

Pensez-vous que j’avais envie de venir ici avec mes enfants ? Jamais. Je n’aurais jamais souhaité quitter mon pays si la vie était différente.

Suyapa, membre de la caravane de réfugiés et de migrants

*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes rencontrées.