Union européenne. L’accord sur les réfugiés avec la Turquie présente un coût trop élevé en termes de droits humains pour être reproduit ailleurs

L’accord sur les réfugiés entre l’Union européenne (UE) et la Turquie a rendu les conditions de vie de milliers de réfugiés et de migrants dangereuses et sordides, et il ne doit pas être reproduit avec d’autres pays, a déclaré Amnesty International mardi 14 février, à l’approche du premier anniversaire de cet accord.

L’accord UE-Turquie est un désastre pour les milliers de personnes abandonnées à leur sort sur les îles grecques, dans une situation dangereuse, désespérée et apparemment sans issue.

Gauri van Gulik, Amnesty International

En raison de cet accord, qui visait à renvoyer les demandeurs d’asile en Turquie, considérant ce pays comme sûr pour eux, des milliers de personnes se retrouvent aujourd’hui exposées à des conditions dangereuses et sordides sur les îles grecques. Dans sa nouvelle synthèse, intitulée A Blueprint for Despair, Amnesty International recense également des cas de renvois illégaux de demandeurs d’asile vers la Turquie, en violation flagrante de leurs droits au regard du droit international.

« L’accord UE-Turquie est un désastre pour les milliers de personnes abandonnées à leur sort sur les îles grecques, dans une situation dangereuse, désespérée et apparemment sans issue, a déclaré Gauri van Gulik, directrice adjointe du programme Europe d’Amnesty International.

« Il est tout à fait hypocrite pour les dirigeants européens de présenter fièrement l’accord UE-Turquie tout en fermant les yeux sur le coût bien trop élevé de cet accord sur celles et ceux qui en subissent les conséquences. »

Entassés les uns sur les autres, dans des conditions sordides

À l’entrée en vigueur de l’accord, tous les réfugiés et migrants ont automatiquement été placés dans des centres de détention. Même si le régime de détention n’est plus aussi strict, les personnes qui se trouvent dans les camps ne sont toujours pas autorisées à quitter les îles. De fait, elles sont contraintes de vivre dans la misère pendant des mois, dans des camps surpeuplés. Il n’y a pas d’eau chaude, l’alimentation est médiocre, les installations sanitaires sont insuffisantes, et les soins médicaux inadaptés.

Les conditions sur les îles sont dégradantes, mais elles mettent également en danger le bien-être physique et la vie des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants. Le 24 novembre 2016, dans la soirée, une bonbonne de gaz servant à cuisiner dans le camp de Moria, sur l’île de Lesbos, a explosé, provoquant la mort d’une Irakienne de 66 ans et d’un enfant de cinq ans qui habitaient sous la tente voisine.

Les privations dont souffrent les habitants du fait de la médiocrité des conditions d’accueil sur les îles, sont aggravées par les craintes qu’ils éprouvent pour leur propre sécurité. La misère qui règne dans les camps, l’incertitude qui entoure leur avenir et les relations difficiles qu’ils entretiennent avec la population locale sont autant de facteurs favorisant de fortes tensions qui, parfois, ont abouti à des violences. Des réfugiés ont aussi été victimes d’agressions motivées par la haine dans le camp de Souda, sur l’île de Chios.

BKD, un réfugié syrien de 17 ans originaire d’Alep, a raconté ce qui s’était passé :

« Lorsque nous avons été attaqués, nous avons eu peur pour nos vies et nous sommes sortis du camp en courant […] Des gens hurlaient, des enfants pleuraient […] Nous n’avons pas besoin d’avoir à nouveau ce type de problèmes dans nos vies… »

Les femmes sont tout particulièrement touchées par le manque de sécurité sur les îles grecques, car elles sont souvent contraintes de vivre dans des camps, où elles n’ont pas à leur disposition de douches ni de toilettes distinctes de celles des hommes. Elles se sont plaintes, par exemple, de l’absence de douches et de toilettes réservées aux femmes ou, quand de telles installations existent, de l’absence de porte ou d’éclairage satisfaisant. Plusieurs d’entre elles ont confié à Amnesty International avoir été témoins ou victimes de harcèlement sexuel physique ou verbal, ou de violence domestique.

Les dirigeants qui affirment que l’accord UE-Turquie pourrait servir de modèle pour d’autres pays comme la Libye, le Niger et le Soudan devraient se pencher sur les conséquences de cet accord et les considérer comme un avertissement.

Gauri van Gulik, Amnesty International

Il faut faire avancer les gens, pas les renvoyer en Turquie

L’accord prévoit le renvoi en Turquie de toutes les personnes arrivées illégalement sur les îles grecques, en partant du principe que la Turquie est un lieu sûr pour les demandeurs d’asile.

Même si, pour le moment, aucun n’a été officiellement expulsé vers la Turquie sur la base de cette hypothèse, Amnesty International a recensé plusieurs cas de demandeurs d’asile renvoyés dans la hâte, sans avoir eu la possibilité de demander l’asile ou de présenter un recours contre leur renvoi, en violation du droit international.

« Tant que la Turquie ne sera pas un pays sûr, l’UE devrait coopérer avec les autorités grecques pour transférer de toute urgence les demandeurs d’asile vers la Grèce continentale, et les gouvernements européens devraient leur permettre d’être relocalisés vers d’autres États de l’UE, a déclaré Gauri van Gulik.

« Personne ne devrait mourir dans le froid, aux portes de l’Europe. Les dirigeants qui affirment que l’accord UE-Turquie pourrait servir de modèle pour d’autres pays comme la Libye, le Niger et le Soudan devraient se pencher sur les conséquences de cet accord et les considérer comme un avertissement : cet accord ne doit en aucun cas être reproduit. »