«Il n’y a pas de droits humains au Sri Lanka»

Tandis que le Sri Lanka se prépare à accueillir, au mois de novembre, une réunion des dirigeants du Commonwealth, les témoignages de personnes torturées à qui il n’a pas été rendu justice contredisent les déclarations du gouvernement, qui affirme faire avancer la cause des droits humains. « Ils m’ont brûlé sur tout le corps avec des cigarettes, a raconté Kumar. Ils m’ont aussi donné des coups de pied partout. Ils m’avaient enfermé dans une cellule sombre, sans fenêtre, où je devais dormir à même le sol. » Kumar avait 16 ans lorsque les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) – un groupe armé d’opposition qui se battait depuis 1983 pour la création d’un État tamoul indépendant – l’ont enrôlé de force en janvier 2008. Il a ensuite été capturé par l’armée sri-lankaise, en avril 2009, dans les dernières semaines de la guerre civile qui a ensanglanté le Sri Lanka. Alors qu’il avait été enfant soldat, il n’a bénéficié d’aucune aide psychologique. Il a été incarcéré pendant 18 mois sans être inculpé ni jugé, et torturé à plusieurs reprises. « Je n’avais le droit d’entrer en contact avec personne à l’extérieur et je n’ai reçu aucune visite, a-t-il relaté à son avocat en mai 2011. J’entendais des gens hurler et pleurer tous les jours. » Le cas de Kumar n’est pas isolé. L’État a vaincu les LTTE en mai 2009 après 26 ans de guerre, mais les violations devenues habituelles durant cette période perdurent. Si la guerre était un prétexte pour incarcérer les personnes sans preuve ou justification et les maintenir en détention pendant des années, toute critique visant la politique gouvernementale peut vous valoir le même traitement aujourd’hui. Des violations légalisées Journalistes, avocats, militants de terrain : quiconque a l’audace de critiquer les autorités court le risque d’être arrêté en vertu d’obscures lois sécuritaires et détenu pendant des années sans accès au monde extérieur. Vestige des années 1980, la Loi sur la prévention du terrorisme est l’un des principaux instruments juridiques mis à profit par l’État pour réduire ses détracteurs au silence. Elle permet d’arrêter des personnes sans inculpation ni jugement et de les incarcérer pendant 18 mois, en application d’une ordonnance de placement en détention, ou indéfiniment dans l’attente de leur jugement. Laissés dans une incertitude désespérante, privés du droit de consulter un avocat, les détenus sont exposés à la torture, bien que cette pratique soit interdite par la Constitution. En 2009, le journaliste J.S. Tissainayagam, déclaré coupable d’infraction à la Loi sur la prévention du terrorisme, a été condamné à 20 ans de travaux forcés pour avoir dénoncé le sort réservé aux civils par l’armée pendant la guerre. Il se trouvait en détention provisoire depuis son arrestation en mars 2008. Sa condamnation a été fondée sur des « aveux » qu’il déclare avoir faits sous la menace. En juin 2010, il a été gracié et s’est exilé. Embarqués dans des camionnettes blanches Il arrive que les autorités fassent totalement fi de la procédure légale et persécutent ou agressent leurs détracteurs de manière anonyme. On ne peut qu’être préoccupé par la fréquence des cas de personnes embarquées de force dans des camionnettes blanches et relâchées plus tard, ou qui disparaissent pour toujours. En juin 2009, dans la banlieue de Colombo, la capitale, des hommes non identifiés roulant dans une camionnette blanche ont enlevé et torturé Poddala Jayantha, président de l’Association des journalistes professionnels du Sri Lanka, qui n’hésitait pas à critiquer la manière dont les autorités traitent les journalistes. « Ils m’ont coupé les cheveux et me les ont mis dans la bouche, puis m’ont bâillonné, nous a raconté Poddala en mars. Ils m’ont frappé aux deux jambes, me cassant une cheville. Ils se sont servis d’un morceau de bois pour me taper sur les doigts de la main droite jusqu’au sang. Ils m’ont dit, “Comme cela, tu n’écriras plus”. » Ses ravisseurs l’ont finalement laissé partir en lui disant : « On ne te tue pas maintenant, mais si tu organises de nouvelles manifestations contre le gouvernement, si tu parles aux médias, on te tuera. » Puis ils l’ont relâché sur une route à l’intérieur d’un secteur que Poddala a qualifié de « quartier hautement sécurisé ». « Il y avait des postes de contrôle partout, a-t-il ajouté. Qui a donné la permission à ce véhicule de passer sans être arrêté ? » Quelques semaines avant son calvaire, Poddala et un ami journaliste avaient été convoqués à une entrevue avec Gotabhaya Rajapaksa, ministre de la Défense et frère du président Mahinda Rajapaksa. « Il était assis face à nous, s’est souvenu Poddala. Il nous a dit : “Si vous n’arrêtez pas tout cela, il va vous arriver quelque chose”. » « Tout cela », c’était les reportages de Poddala et de ses collègues. « Nous écrivions des articles sur la corruption au sein de l’armée. Comme nous parlions des droits des Tamouls, ils nous ont étiquetés partisans du LTTE, a-t-il expliqué. Cela ne leur plaisait pas que nous évoquions les droits des Tamouls. » Poddala Jayantha a fui le pays avec sa famille en décembre 2009. Il a eu de la chance d’en réchapper. Son confrère Prageeth Eknaligoda a disparu en janvier 2010 et n’a plus été revu depuis. L’intolérance et la peur Un climat d’intolérance et de peur continue de planer sur l’île alors que le gouvernement resserre son étau sur la population. En mars, la présidente de la Cour suprême, Shirani Bandaranayake, a été destituée après avoir déclaré anticonstitutionnel un projet de loi du gouvernement. Des avocats travaillant sur des affaires de torture et d’autres violations des droits humains ont été pris pour cibles et persécutés. Pendant ce temps, les cas de Kumar, de Poddala et de nombreux autres militants disparus n’ont fait l’objet d’aucune enquête indépendante ou crédible. Pourtant, les autorités soutiennent avoir accompli des progrès en matière de droits humains – évolution dont attesterait le choix du Sri Lanka comme pays d’accueil de la réunion des dirigeants du Commonwealth en novembre. Il s’agit là d’une énorme mascarade, affirme Poddala Jayantha. « Je ne comprends pas pourquoi le Commonwealth a pris cette décision, nous a-t-il confié, sachant qu’aucune organisation de la société civile n’est autorisée à travailler ici. Il n’y a pas de droits humains au Sri Lanka. »