Un an après la reprise des exécutions en Gambie

En août dernier, le président Yahya Jammeh a annoncé son intention d’exécuter « tous les condamnés à mort ». ©APGraphicsBank

par Lisa Sherman-Nikolaus, chercheuse d’Amnesty International sur l’Afrique de l’Ouest

*Ce billet de blog est une adaptation d’un discours prononcé le 23 août 2013 à Dakar, Sénégal, lors d’une manifestation à laquelle ont participé Amnesty International et 12 autres organisations pour commémorer les exécutions de l’an dernier en Gambie et sensibiliser l’opinion publique sur la situation des droits humains dans ce pays.

Il y a exactement un an, le 23 août 2012, j’arrivais le matin à mon bureau, à Londres, comme n’importe quel jour. J’ignorais pratiquement, alors, que cette journée allait être l’une des plus intenses de toute ma carrière au service des droits humains. Soudain des proches et d’autres personnes ont commencé à nous appeler pour raconter que neuf condamnés à mort venaient d’être exécutés, la veille, en Gambie.
Nous avions eu quelques signaux d’alarme, car le président de Gambie, Yahya Jammeh, avait déjà annoncé le même mois, dans un discours, son intention d’exécuter « tous les condamnés à mort ». Mais même si aujourd’hui je ne suis plus guère surprise par ce qui se passe en Gambie, j’étais encore incrédule lorsqu’on nous a annoncé que les exécutions avaient en fait commencé. Je n’ai pas dormi de tout le week-end, à force de vérifier encore et encore les informations – espérant que j’avais mal compris.

Le gouvernement a gardé le silence pendant plusieurs jours. Je ne peux m’imaginer les souffrances que les prisonniers et leurs familles ont endurées. Le secret entourant les exécutions était angoissant et pénible, et ni les familles ni les avocats n’avaient été prévenus. Le gouvernement du Sénégal ignorait que parmi les personnes exécutées figuraient deux citoyens sénégalais.

À ce jour, le lieu où les personnes ont été enterrées n’a pas été divulgué, malgré une résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU de mars 2012 exhortant les pays appliquant la peine de mort de remettre les corps aux familles ou de les informer du lieu d’inhumation. Lorsque les États exécutent en secret, cela accentue la cruauté de la peine de mort. Le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture ont dans le passé critiqué les pratiques consistant à ne rien laisser filtrer sur les exécutions au Bélarus, au Japon, en Mongolie et en Ouzbékistan.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires a qualifié les exécutions en Gambie d’« arbitraires » et le rapporteur spécial sur la torture a souligné que les exécutions pratiquées en secret bafouent le droit du condamné et de sa famille de se préparer à la mort, et que le secret et le refus de remettre la dépouille à la famille sont des caractéristiques particulièrement cruelles de la peine capitale.

Il est temps de reconnaître que les condamnés à mort peuvent avoir une famille et que les droits humains de cette famille, et notamment des enfants, sont également bafoués. La peine de mort punit de manière permanente tous les membres d’une famille.

Bien évidemment, nous avons aussi des préoccupations quant au manque de respect des droits à la défense qui entoure le recours à la peine capitale. Nous savons, par exemple, qu’aucune des personnes exécutées n’avait épuisé ses voies de recours bien que la Constitution gambienne rende obligatoires les « appels automatiques ». Cela signifie que c’est au gouvernement qu’il incombe de veiller à ce que les recours parviennent à la Cour suprême. Si un détenu n’a pas les moyens de payer les services d’un avocat, le gouvernement est tenu de commettre un avocat d’office. Nous avons aussi connaissance d’autres irrégularités dans les affaires en question, comme par exemple l’absence de certains dossiers dans la salle d’audience, des doutes quant à la santé mentale de Buba Yarboe, l’un des suppliciés, et le fait que la peine de Lamin Darboe a été commuée, puis de nouveau modifiée en peine de mort.

Des irrégularités semblables ont aussi été constatées dans des dizaines d’autres affaires de condamnations à mort. Amnesty International est préoccupée, en particulier, par le cas du général Lang Tambang et autres, qui concerne sept hommes condamnés à mort pour trahison. La Cour suprême a confirmé l’année dernière leur culpabilité et leur peine, mais des questions restent en suspens quant aux éléments de preuve présentés, au respect des droits de la défense, au recours à la peine de mort dans les affaires de trahison et aux allégations selon lesquelles les accusés auraient été torturés.

La pression régionale et internationale soulevée par les exécutions a été sans précédent. Amnesty International s’est associée à des militants de toute l’Afrique de l’Ouest et du monde entier pour enjoindre le gouvernement gambien de reconnaître avoir fait procéder à ces homicides et d’empêcher que d’autres ne soient commis. Lorsque le gouvernement a fini par annoncer publiquement le nom des personnes exécutées et par instaurer ensuite un moratoire conditionnel nous avons atteint nos objectifs initiaux, qui étaient de faire lever le secret et d’empêcher pour l’instant la mise à mort d’autres condamnés.

Nous demandons maintenant au gouvernement de Gambie :1) d’instaurer un moratoire permanent sur la peine de mort
2) de mener l’étude sur la peine de mort conformément aux termes de la Constitution, en vue de son abolition ; cette étude est prévue depuis longtemps
3) de commuer toutes les peines de mort en peines d’emprisonnement
4) de dévoiler le lieu où les corps des personnes exécutées ont été enterrés et les remettre aux familles, selon les souhaits de celles-ci.

Nous sommes très préoccupés par l’exemple que donnent les exécutions en Gambie à toute l’Afrique de l’Ouest. Ces cas constituent néanmoins une anomalie et vont à l’encontre de la tendance mondiale et même régionale vers l’abolition de la peine de mort. Ainsi, depuis 2000, le Burundi, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Rwanda, le Sénégal et le Togo ont tous aboli la peine de mort.

Nous avons besoin de dirigeants ouest-africains et autres qui s’opposent au retour de ce châtiment. Abdou Diouf en est un. En sa qualité de secrétaire général de la Francophonie, il a clairement fait part de sa position abolitionniste et a demandé spécifiquement aux pays d’Afrique de ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) visant à abolir la peine de mort.

Nous avons vu ce que nous pouvons accomplir quand nous œuvrons ensemble, et nous devons continuer à dénoncer les violations systémiques des droits humains en Gambie.

Pour en savoir plus :

Gambie. Un an après l’exécution arbitraire de neuf prisonniers, justice n’a toujours pas été rendue (Déclaration publique, 23 août 2013)