La décision des autorités tunisiennes d’élargir une enquête pénale s’appuyant sur des accusations infondée de « complot » en ajoutant quatre dissident·e·s à la liste des accusés témoigne de façon inquiétante d’une intensification de la répression, a déclaré Amnesty International le 9 mai 2023. Parmi les nouveaux accusé·e·s figurent notamment Ayachi Hammami, avocat spécialisé dans la défense des droits humains, Bochra Belhaj Hamida, avocate féministe, ainsi que Nejib Chebbi et Noureddine Bhiri, deux figures de l’opposition.
« Les autorités tunisiennes ont déjà suffisamment porté atteinte à la liberté d’expression et à l’état de droit en détenant arbitrairement des dissident·e·s sur la base d’accusations infondées. Elles doivent clore cette enquête sans attendre, libérer immédiatement toutes les personnes détenues dans le cadre de cette affaire et cesser d’instrumentaliser le système judiciaire à des fins de répression, a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Alors que la crise économique ne cesse de s’aggraver en Tunisie, les autorités devraient s’efforcer de favoriser un débat sain sur l’avenir du pays. Or, elles s’en prennent délibérément à des avocat·e·s de renom et à des membres de l’opposition politique qui se battent depuis des années pour un avenir meilleur pour le pays, afin de distiller la peur et de faire taire la dissidence, adressant ainsi un message dissuasif : toute personne qui ose s’opposer au président Kaïs Saïed s’expose à des représailles. »
En février 2023, les autorités tunisiennes ont ouvert une information judiciaire contre 17 suspect·e·s et ont arrêté 12 d’entre eux. Un juge a par la suite libéré au moins l’une de ces personnes dans l’attente des conclusions de l’enquête.
Le président a qualifié publiquement les personnes interpellées de « terroristes » et les a accusées de comploter en vue d’attaquer l’État et d’attiser les tensions sociales. Un juge d’instruction du tribunal antiterroriste de Tunisie enquête sur eux au titre de 10 articles du Code pénal – dont l’article 72, qui prévoit la peine de mort pour toute manœuvre ayant pour but de « changer la forme du gouvernement » – et de plus d’une dizaine d’articles de la loi antiterroriste de 2015.
Les autorités tunisiennes ont déjà suffisamment porté atteinte à la liberté d’expression et à l’état de droit en détenant arbitrairement des dissident·e·s sur la base d’accusations infondées
Heba Morayef, Amnesty International
Le 3 mai, le procureur général de la cour d’appel de Tunis a informé le Barreau de Tunis que le juge supervisant l’enquête ajoutait quatre nouvelles personnes – à savoir quatre avocat·e·s – à la liste des suspects, d’après des avocat·e·s qui connaissent bien le dossier. En informant l’Ordre des avocats, le procureur a suivi la procédure officielle relative aux enquêtes pénales visant des membres de cet Ordre.
Les quatre nouvelles personnes incluses dans l’enquête sont : Ayachi Hammami, un avocat qui représente des leaders de l’opposition politique sous le coup d’une enquête dans le cadre de cette affaire, Nejib Chebbi, vétéran de l’opposition, la militante de premier plan Bochra Belhaj Hamida et Noureddine Bhiri, l’un des responsables du parti d’opposition Ennahda (Renaissance).
Ayachi Hammami fait déjà l’objet d’une enquête au titre de la loi draconienne relative à la cybercriminalité pour avoir critiqué publiquement les autorités. Dans une autre affaire, Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice, a été interpellé le 13 février pour avoir tenté de « changer la forme du gouvernement » et est maintenu en détention depuis lors.
Depuis qu’il a suspendu le Parlement et s’est arrogé les pouvoirs d’exception le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed a adopté une nouvelle Constitution qui menace les droits humains, et publié des décrets-lois qui portent atteinte à l’indépendance de la justice et à la liberté d’expression.
Les autorités tunisiennes s’en prennent aux détracteurs et aux opposants présumés du président à coups d’enquêtes et de poursuites pénales, dans un climat de régression générale des droits humains.