Chiara Liguori est conseillère principale en matière de politique sur l’environnement et les droits humains à Amnesty International
Les dirigeants du monde se réunissent à partir du week-end du 1er et 2 décembre dans la ville polonaise de Katowice pour le sommet sur le climat de la COP24, afin d’élaborer des projets visant à mettre en œuvre l’Accord de Paris sur le climat. Pendant deux semaines, les gouvernements sont censés prendre des décisions qui pourraient nous rapprocher de la limitation du réchauffement mondial à 1,5 °C au-dessus des niveaux de l’ère préindustrielle. Ne pas atteindre cet objectif aura de graves conséquences et dépasser ce seuil ne serait-ce que d’un demi degré déclenchera des événements climatiques catastrophiques et sans précédent.
Aussi n’est-il guère surprenant qu’en amont de la COP24 les militants écologistes du monde entier multiplient les manifestations pour faire pression sur leurs gouvernements afin qu’ils prennent des mesures radicales. Au Royaume-Uni, les manifestants du mouvement Extinction Rebellion ont à plusieurs reprises paralysé le centre de Londres en bloquant les routes et les ponts. En Australie, des centaines d’étudiants ont participé à des grèves, parcourant le pays pour manifester pacifiquement devant le Parlement australien à Sydney.
Toutefois, il n’y aura que peu de manifestations lors de la COP24 elle-même. Le gouvernement polonais a adopté au cours de l’année un projet de loi qui interdit aux militants, aux ONG et à la population de participer à des rassemblements spontanés devant les sites de la COP24. Les manifestants sont tenus d’informer les autorités municipales à l’avance, au risque d’être poursuivis. En outre, ce projet de loi confère à la police des pouvoirs supplémentaires pour placer sous surveillance renforcée les participants à la conférence, sans qu’ils n’en soient informés. En fait, les autorités polonaises peuvent se servir de la COP24 pour recueillir des données sur les ONG et renforcer leurs pouvoirs policiers. Et ce dans le contexte d’un durcissement de la répression contre la liberté d’expression et de réunion pacifique en Pologne, qui se traduit par une série de textes de loi visant à restreindre les droits des femmes et à saper l’indépendance de la justice (https://www.amnesty.org/en/documents/eur37/8525/2018/en/).
Le gouvernement polonais a adopté au cours de l’année un projet de loi qui interdit aux militants, aux ONG et à la population de participer à des rassemblements spontanés devant les sites de la COP24.
Chiara Liguori
De nombreux citoyens en Pologne descendent dans les rues pour protester contre cette situation et sont confrontés à une réponse brutale de la police. En juin, Amnesty International notait que des centaines de manifestants se sont retrouvés en garde à vue et ont fait face à d’interminables procédures judiciaires, uniquement pour avoir pris part à des manifestations pacifiques. Elle a également recensé des cas de manifestants frappés et agressés par des policiers.
Les militants écologistes en Pologne sentent déjà les effets de cette intolérance croissante vis-à-vis de la dissidence. La campagne visant à stopper l’exploitation illégale de la forêt de Bialowieża, écosystème unique classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, est entravée par les poursuites judiciaires intentées contre les militants. Le gouvernement polonais a tendance à présenter ceux qui luttent pour protéger l’environnement comme une menace pour la sécurité.
La Pologne n’est pas la seule à avoir cette vision déformée. Selon l’ONG Global Witness, 207 défenseurs ont été tués en 2017 dans le monde parce qu’ils se sont mobilisés pour défendre les droits à l’environnement. Des milliers sont harcelés, attaqués et arrêtés de manière arbitraire car ils sont considérés comme une menace pour les intérêts économiques.
C’est une période extrêmement dangereuse pour se mobiliser contre la destruction de l’environnement. Quelle ironie, puisque c’est le moment où le monde a besoin d’entendre la voix de tous ceux qui sont affectés par le bouleversement climatique. Nous devons entendre les points de vue des populations les plus touchées dans leur vie quotidienne par les effets de la chaleur, de la sécheresse et des inondations. Chacun, et particulièrement ces communautés, est concerné par les questions débattues et doit pouvoir exprimer son opinion, y compris en manifestant sans violence. Le gouvernement polonais refuse que ces personnes s’asseyent à la table où leur sort va être décidé.
Force est de constater que la Pologne oppose une résistance constante à un relèvement des objectifs de l’Union européenne (UE) concernant les émissions de CO2. La semaine dernière, le ministère polonais de l’Énergie a publié une déclaration défendant la dépendance du pays au charbon et faisant valoir que des objectifs plus élevés nuiraient à son économie. Pourtant, un sondage commandé en 2017 par Greenpeace Pologne a montré que 74 % des citoyens polonais soutiennent une transition du charbon vers les énergies renouvelables.
Le gouvernement polonais est en décalage avec sa population, et va très loin pour lui imposer le silence sur tout un éventail de sujets depuis quelques années. Les dirigeants polonais tirent parti d’un tournant critique dans la lutte contre le bouleversement climatique pour faire progresser leur agenda régressif.
Un rapport récent de l’ONU a averti que nous n’avons que 12 ans pour éviter un changement climatique catastrophique. La Pologne, comme tous les pays du globe, a des problèmes bien plus urgents que les seuls slogans de manifestants pacifiques.
Un rapport récent de l’ONU a averti que nous n’avons que 12 ans pour éviter un changement climatique catastrophique. La Pologne, comme tous les pays du globe, a des problèmes bien plus urgents que les seuls slogans de manifestants pacifiques.
Chiara Liguori
Chiara Liguori est conseillère principale en matière de politique sur l’environnement et les droits humains à Amnesty International
Cet article a initialement été publié par la Fondation Thomson Reuters.