L’adieu aux armes qui alimentent les atrocités est à notre portée

Les explosions qui ont récemment détruit apparemment un temple vieux de 2000 ans dans la cité antique de Palmyre, en Syrie, sont une nouvelle illustration pathétique de la façon dont le groupe armé qui se fait appeler État islamique (EI) utilise des armes classiques pour réaliser son programme.

Mais comment la puissance de feu de l’EI a-t-elle pu croître ? La réponse est à trouver dans l’histoire récente : ce sont les flux d’armes en direction du Moyen-Orient qui remontent jusqu’aux années 1970 qui ont permis cela.

Après avoir pris le contrôle de Mossoul, la deuxième ville irakienne, en juin 2014, les combattants de l’EI ont exhibé tout un arsenal d’armes, principalement de fabrication américaine, et de véhicules militaires qui avaient été vendus ou donnés aux forces armées irakiennes.

À la fin de l’année dernière, Conflict Armament Research a publié un rapport d’analyse sur les munitions utilisées par l’EI dans le nord de l’Irak et en Syrie. Les 1 730 cartouches examinées ont été fabriquées dans 21 pays différents. Plus de 80 % d’entre elles venaient de Chine, de l’ex-Union soviétique, des États-Unis, de Russie et de Serbie.

Des recherches menées plus récemment à la demande d’Amnesty International ont aussi montré que si l’EI détient des cartouches qui ont été fabriquée récemment, certaines en 2014, un important pourcentage des armes qu’il utilise sont des armes légères et de petit calibre qui remontent à l’époque de l’ère soviétique et du Pacte de Varsovie, et des véhicules blindés et des pièces d’artillerie datant des années 1970 et 1980.

De tels cas de figure donnent des insomnies aux stratèges militaires et aux experts en politique étrangère. Mais pour les nombreux civils qui vivent en Irak et en Syrie, ravagés par la guerre, ils font partie d’un cauchemar devenu réalité.

Marek Marczynski, directeur du programme Armée, sécurité et police d’Amnesty International

De tels cas de figure donnent des insomnies aux stratèges militaires et aux experts en politique étrangère. Mais pour les nombreux civils qui vivent en Irak et en Syrie, ravagés par la guerre, ils font partie d’un cauchemar devenu réalité. Ces armes, dont l’EI s’est emparé ou qui lui ont été vendues de manière illégale ainsi qu’à d’autres groupes armés, ont facilité la commission d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, de viols et d’actes de torture, et d’autres graves atteintes aux droits humains dans le cadre d’un conflit qui a contraint des millions de personnes à se déplacer dans leur pays ou à chercher refuge dans des pays voisins.

Le fait que des armes et des munitions dont l’exportation a été autorisée par des gouvernements puissent si facilement tomber entre les mains d’individus qui commettent des atteintes aux droits humains démontre de manière accablante que le commerce international des armes est mal réglementé.

Et ce qui est encore pire, c’est que ce n’est pas la première fois que l’on constate un tel phénomène. Mais ceux qui dirigent le monde n’ont pas encore appris la leçon.

Lors de la guerre du Golfe de 1991 en Irak, beaucoup de dirigeants mondiaux se sont trouvés confrontés à une prise de conscience dans leur pays des dangers induits par le manque de garde-fous dans le commerce international des armes.

Quand la poussière est retombée après ce conflit déclenché par l’invasion du Koweït par les puissantes forces armées du président irakien Saddam Hussein, il a été révélé que l’Irak avait été lourdement armé par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Plusieurs d’entre eux avaient aussi armé l’Iran durant la décennie précédente, alimentant une guerre avec l’Irak qui a duré huit ans et fait des centaines de milliers de victimes parmi les civils.

À l’heure actuelle, les mêmes États déversent une fois de plus des armes dans cette région, souvent dans des conditions de protection totalement insuffisantes contre le détournement et le trafic illicite.

Cette semaine, ces États font partie de la centaine de pays qui sont représentés à Cancún, au Mexique, à l’occasion de la première conférence des États parties au Traité sur le commerce des armes entré en vigueur au mois de décembre dernier. Cette réunion est d’une importance cruciale car elle doit permettre de décider de règles et de procédures fermes pour la mise en œuvre du traité. La participation de la société civile à cette session ainsi qu’aux futures conférences est essentielle pour empêcher que des décisions qui pourraient mettre des vies en danger ne soient prises en catimini à l’abri des yeux du public.

La transparence du processus de communication des informations requises dans le cadre du TCA, entre autres mesures, doit également être primordiale, car c’est elle certainement qui fera la différence entre la mise en place de véritables garde-fous permettant de sauver des vies, d’une part et, d’autre part, un traité affaibli qui ne fera que prendre la poussière pendant que les États continueront d’avoir les coudées franches pour mener leurs activités sur le marché gigantesque des armes classiques.

Ce commerce entouré de secret qui représente des dizaines de milliards de dollars entraîne chaque année la mort de plus d’un demi-million de personne, sans compter les innombrables blessés, et fait peser sur des millions d’autres gens le risque de subir des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et d’autres graves violations des droits humains.

Le TCA comprend un certain nombre de règles solides visant à mettre fin aux flux d’armes destinés à des pays où l’on sait que ces armes seraient utilisées pour commettre de nouvelles atrocités.

Marek Marczynski

Le TCA comprend un certain nombre de règles solides visant à mettre fin aux flux d’armes destinés à des pays où l’on sait que ces armes seraient utilisées pour commettre de nouvelles atrocités.

Ce traité a rapidement gagné le soutien d’une large part de la communauté internationale, notamment des 10 plus grands exportateurs d’armes qui sont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni.

Les États-Unis, de loin le premier fabricant et exportateur d’armes, figurent parmi les 58 pays qui ont signé le Traité mais ne l’ont pas encore ratifié. Mais d’autres grands fabricants d’armes, comme la Chine, le Canada et la Russie, ont jusqu’à présent refusé de le signer ou de le ratifier.

L’un des objectifs du TCA étant « de réglementer le commerce international d’armes conventionnelles ou d’en améliorer la réglementation, de prévenir et d’éliminer le commerce illicite de ces armes et de prévenir leur détournement », les gouvernements ont la responsabilité de prendre des mesures pour empêcher les situations où leurs accords commerciaux en matière d’armes donnent lieu à des atteintes aux droits humains.

La mise en place de contrôles rigoureux contribuera à empêcher les États de tout simplement ouvrir les vannes permettant le déversement d’armes dans un pays en conflit ou dont le gouvernement utilise couramment des armes pour réprimer les droits humains de la population.

Plus le nombre des États qui rejoignent le Traité sera important et plus les garde-fous seront solides et transparents, plus le Traité apportera de changements dans le domaine des eaux troubles du commerce international des armes. Il forcera les États à choisir avec plus de discernement ceux avec qui ils font du commerce.

La communauté internationale a jusqu’à présent déçu les espoirs des populations syrienne et irakienne, mais le TCA offre aux gouvernements une occasion historique de prendre des mesures décisives pour protéger à l’avenir les civils contre de telles horreurs. Ils doivent se saisir pleinement de cette occasion.

Pour en savoir plus

Irresponsable et meurtrier : l’ampleur du commerce mondial des armes