En Ukraine, il faut mener des enquêtes sérieuses à la suite d’une série de morts suspectes

Photo : La fusillade qui a coûté la vie au journaliste Oles Bouzina n’est que l’épisode le plus récent dans une série de morts suspectes survenues en Ukraine ces derniers mois. © EPA

John Dalhuisen, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International

Le meurtre du journaliste Oles Bouzina dans une rue de Kiev cette semaine était déjà choquant en lui-même. 

D’après le ministère de l’Intérieur ukrainien, ce journaliste de 45 ans, connu pour ses positions pro-russes, a été abattu par des tireurs masqués qui se tenaient à bord d’un véhicule en mouvement. 

Mais ce qui rend cet homicide particulièrement inquiétant, c’est qu’il s’inscrit dans une série de morts suspectes qui frappe d’anciens alliés du président ukrainien destitué Viktor Ianoukovitch. La veille, c’est un membre de l’opposition politique, Oleg Kalachnikov, qui avait été tué par balles dans la capitale. 

Et d’autres les ont précédés. Depuis la fin du mois de janvier, plusieurs alliés de l’ancien président Viktor Ianoukovitch ont trouvé la mort, souvent dans des circonstances suspectes. 

Olexandre Peklouchenko, ancien gouverneur, et Stanislav Melnik, ex-député, ont eux aussi été tués par balles. Mikhaïlo Tchetchetov, ancien numéro deux du Parti des régions, le parti politique de Viktor Ianoukovitch, se serait jeté de la fenêtre de son appartement, situé au 17e étage. Serhiy Valter, le maire de Melitopol, une ville du sud-ouest de l’Ukraine, a été retrouvé pendu, tout comme Oleksiy Kolesnyk, anciennement chef du gouvernement régional de Kharkiv. Le corps sans vie d’Olexandre Bordiouh, ex-directeur adjoint de la police de Melitopol, a été découvert à son domicile. 

Cette série de morts a placé les autorités ukrainiennes sur la sellette.

Cette série de morts a placé les autorités ukrainiennes sur la sellette.

John Dalhuisen

La police a dans un premier temps rapidement classé la plupart de ces affaires comme des suicides. 

Il est en effet tout à fait plausible que certaines de ces personnes aient eu un accident ou se soient suicidées. Toutefois, en l’absence d’enquêtes fiables et étant donné que les morts se succèdent à un rythme effréné dans le contexte plus large de la situation politique actuelle en Ukraine, nul ne peut affirmer avec certitude qu’il ne s’agit pas dans certains cas d’homicides à caractère politique. Mais commis par qui ? Impossible de le savoir tant que n’auront pas été menées des enquêtes indépendantes, impartiales et minutieuses. 

La plupart de ces personnes ont perdu la vie dans des circonstances mystérieuses. Peut-être parce qu’elles sont conscientes de ce fait, les autorités ont entrepris d’examiner certaines de ces affaires. Mais pour l’instant, à la connaissance d’Amnesty International, cette démarche n’a abouti à aucun résultat crédible. 

Ces examens doivent être suivis par des enquêtes impartiales et efficaces, menées dans les meilleurs délais. Et si l’Ukraine est censée commencer à lutter contre le non-respect généralisé de l’obligation de rendre des comptes dans les cas de violations graves des droits humains, ces enquêtes doivent être fiables. Un rapport d’Amnesty International a récemment révélé que pratiquement personne n’a été traduit en justice pour les homicides de plus de 100 manifestants, et encore plus de cas de mauvais traitements et de passages à tabac imputables à la police, lors des manifestations d’EuroMaïdan en février 2014. 

Outre l’absence de justice persistante pour les victimes d’EuroMaïdan et la récente série de morts qui frappe les membres de l’opposition, l’organisation a également noté la montée inquiétante de nouvelles formes de persécution. 

Des personnalités politiques de l’opposition sont la cible de violences collectives qui sont souvent le fait de groupes ou d’individus affiliés à des partis de droite. 

Dans le même temps, des personnes travaillant dans les médias sont harcelées par les autorités, comme le journaliste et blogueur de premier plan Rouslan Kotsaba – récemment adopté par Amnesty International comme prisonnier d’opinion, le premier en Ukraine depuis cinq ans. Cet homme risque plus de 10 ans de prison pour « haute trahison » et pour son opinion sur le conflit armé dans l’est de l’Ukraine. 

Rouslan Kotsaba a été arrêté le 7 février à Ivano-Frankivsk, à 130 km au sud-est de Lviv, après avoir publié une vidéo décrivant la « guerre civile fratricide du Donbass ». Il a aussi exprimé son opposition à la conscription militaire qui oblige les Ukrainiens à prendre part au conflit. 

Formellement inculpé le 31 mars de « haute trahison », il encourt jusqu’à 15 ans de réclusion. Il est également poursuivi pour « entrave aux activités légitimes des forces armées », un chef d’inculpation qui peut lui valoir jusqu’à huit ans de prison. Amnesty International a réclamé sa libération immédiate et inconditionnelle, et considère le traitement dont il fait l’objet comme une restriction éhontée à la liberté d’expression. 

La liberté d’exercer pacifiquement ce droit était l’un des cris de ralliement fondamentaux des manifestants d’EuroMaïdan. 

Priver maintenant les alliés de Viktor Ianoukovitch et d’autres opposants politiques de ce même droit, en les emprisonnant, en les éliminant ou en s’abstenant de mener des enquêtes efficaces, serait le summum de l’hypocrisie. Et une trahison envers les droits humains, qui doivent être protégés pour tout le monde, sans distinction d’appartenance politique.