Sri Lanka : les attaques visant les médias libres mettent en danger les civils déplacés

Les attaques de journalistes, les manœuvres d’intimidation incessantes et les restrictions imposées par le gouvernement en matière d’information menacent la liberté d’expression au Sri Lanka et compromettent la sécurité et la dignité des civils déplacés par la guerre.

Les autorités sri-lankaises ont volontairement entravé la circulation d’informations relatives aux derniers événements du conflit armé récemment terminé qui opposait les forces gouvernementales aux Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE). Des civils ont subi des attaques d’artillerie et les deux parties au conflit ont été accusées de crimes de guerre.

Le gouvernement continue de refuser l’accès libre des journalistes et autres professionnels des médias aux centaines de milliers de personnes déplacées vivant dans des camps, les empêchant de faire connaître les expériences que celles-ci ont vécues pendant la guerre et leurs conditions de vie dans les camps.

Dans le même temps, des violences sans précédent contre les professionnels des médias diffusant des articles critiques contribuent à un climat de peur et d’autocensure qui prive la population du Sri Lanka de son droit à l’information.

Selon des défenseurs sri-lankais de la liberté de la presse, une trentaine de personnes travaillant pour des médias du pays ont été tuées depuis 2004. De nombreuses autres personnes ont été enlevées, agressées ou menacées pour avoir couvert les événements de la guerre. Des journaux ont été saisis et brûlés, les locaux de certaines publications ont été vandalisés et du matériel d’impression a été détruit.

Plusieurs mois après la fin de la guerre, des journalistes et d’autres professionnels des médias continuent de subir des homicides, des enlèvements, de la censure et des manœuvres d’intimidation. La grande majorité des victimes de meurtre étaient des membres de la minorité tamoule, mais des journalistes cingalais et musulmans ont également été tués. Les auteurs de la plupart de ces crimes n’ont pas été identifiés, et encore moins punis.

Le journaliste et militant des droits humains sri-lankais Sunanda Deshapriya affirme que le gouvernement n’a jamais reconnu le droit à l’information des journalistes et autres professionnels des médias – et, par leur intermédiaire, du public –, mais que, pendant la majeure partie du conflit (qui a duré de juillet 1983 à mai 2009), les journalistes disposaient de « mécanismes » pour obtenir des informations.

Cependant, la pression exercée sur les journalistes sri-lankais s’est intensifiée en même temps que les combats, et pendant la dernière phase de la guerre, explique-t-il, c’est-à-dire à partir de 2006, les autorités ont renforcé les restrictions et publié de multiples déclarations expliquant que les journalistes n’étaient même pas autorisés à signaler le nombre de victimes du conflit.

Les journalistes qui traitent de la guerre sans avoir obtenu l’approbation du Centre médiatique pour la sécurité nationale s’exposent à des risques. « Homicides, menaces, enlèvements, disparitions – toutes ces choses sont arrivées à des journalistes qui essayaient de repousser les limites », fait remarquer Sunanda Deshapriya.

Les menaces et les actes de harcèlement visant les journalistes et les médias ne cessent de se multiplier dans une culture d’impunité et bloquent l’information.

« Si vous lisez les journaux sri-lankais, c’est la version du gouvernement que vous avez. Il est très rare de trouver un point de vue critique », explique Sunanda Deshapriya.

« Tout le monde s’autocensure […], certaines personnes de leur plein gré parce qu’elles soutiennent réellement le régime – et d’autres à contrecœur. Au Sri Lanka, la liberté de la presse n’existe pas. »

« Les personnes qui expriment des opinions critiques et dissidentes sont plus ou moins réduites au silence aujourd’hui dans ce pays.

« Par conséquent, même lorsque, comme moi, on écrit depuis l’étranger, on s’autocensure. Je vois toujours si ma chronique va offenser le gouvernement, car si c’est le cas il va m’attaquer. Vous savez, j’ai de la famille au pays. Alors nous nous autocensurons tous, dans une certaine mesure, quand nous écrivons au sujet de la situation. »

Sunanda Deshapriya est un chroniqueur régulier pour l’hebdomadaire Ravaya. Il a étudié le rôle des médias dans le conflit sri-lankais et a présenté des articles lors d’ateliers nationaux et internationaux consacrés à la presse. Il a également écrit et donné des conférences sur le code d’éthique pour les journalistes au Sri Lanka.

Mais les journalistes sri-lankais ne sont pas les seules personnes sous pression. Des correspondants étrangers se sont vu refuser des visas ou ont été expulsés pour avoir écrit des articles qui ont déplu au gouvernement.

En juillet, Ravi Nessman, chef du bureau sri-lankais de l’agence Associated Press, a été contraint de quitter le Sri Lanka après que les autorités ont refusé de renouveler son visa. Cet homme a beaucoup évoqué le nombre de victimes civiles au cours de l’assaut final des forces gouvernementales contre les LTTE.

Il a également révélé un projet gouvernemental consistant à maintenir des centaines de milliers de personnes déplacées en détention dans des camps pendant des périodes allant jusqu’à trois ans, et il a soulevé des questions relatives à la décision de bloquer l’accès des médias.

Comment ce contexte de restrictions appliquées aux médias nuit-il aux civils ?

Sunanda Deshapriya se rappelle que, il y a encore peu de temps, le gouvernement et les LTTE fournissaient des chiffres très éloignés de la réalité concernant le nombre de personnes vivant dans la zone de conflit dans les régions contrôlées par les LTTE :

« L’accès à l’information était bloqué, et qu’est-ce qui s’est passé à cause de cela ? Les LTTE ont affirmé qu’il y avait 400 000 personnes dans le Vanni. C’est le chiffre qu’ils ont donné. Le gouvernement a indiqué qu’il y en avait 120 000.

« Et il n’y a pas eu de vérification indépendante ; aucun journaliste, aucun média n’était admis. Le gouvernement demandait aux gens de venir […], il disait : “Nous sommes prêts à vous accueillir.” Et à la fin, il s’est avéré qu’il y avait près de 300 000 personnes. »

Selon Sunanda Deshapriya, le gouvernement a exhorté les civils de la zone de conflit à se réfugier dans son territoire, mais ses propres organismes, s’appuyant sur des chiffres erronés, n’étaient pas préparés à un si grand nombre de personnes.

Lorsque les civils sont arrivés, « … il n’y avait aucune structure. Au bout de trois mois, alors que la guerre est terminée, les gens ne disposent toujours pas des services les plus basiques [dans les camps] à cause de l’absence de liberté d’information. Les journalistes ne peuvent pas communiquer le nombre de personnes qui s’y trouvent, les conditions dans lesquelles elles vivent », constate-t-il.

La communauté internationale n’a pas non plus été en mesure de faire face à la situation de manière efficace puisqu’elle ne pouvait pas vérifier les faits.

Sans contrôle indépendant, le gouvernement sri-lankais comme les LTTE ont pu utiliser le goût du monde entier pour l’information comme un moyen de promouvoir leurs propres objectifs.

Le flux d’informations provenant des camps est désormais composé principalement des récits de proches de personnes qui y sont détenues, de renseignements donnés individuellement par des travailleurs humanitaires à des journalistes et d’articles de blogs anonymes.

Dans la quasi-totalité des cas, les personnes qui fournissent ces informations gardent l’anonymat pour éviter les représailles. Par conséquent, les informations qui sortent des camps sont souvent peu fiables. Cette situation ne peut que nuire aux civils qui y sont détenus.

« Il faut qu’il y ait un système, que l’accès soit libre », insiste Sunanda Deshapriya.

Violations des droits humains

« Des violations des droits humains de tous types risquent potentiellement d’être ignorées par les autorités lorsque l’accès aux camps et à leurs habitants est limité », a déclaré Yolanda Foster, spécialiste du Sri Lanka à Amnesty International.

« Il est particulièrement inquiétant de constater le risque de violations auquel sont exposées les personnes les plus vulnérables dans les camps, celles qui ont besoin de la protection la plus urgente, comme les mineurs non accompagnés, les femmes, les personnes âgées et les handicapés.

« L’exploitation des personnes vulnérables par les forces gouvernementales est un problème de longue date dans les zones de conflit et au sein des populations déplacées ; la stigmatisation sociale et la culture de l’impunité qui règne au Sri Lanka aggravent encore ce problème. »