Anna Błuś est chargée, à Amnesty International, des questions relatives à la justice de genre en Europe. L’enthousiasme grandit à mesure que les Jeux olympiques de Paris approchent. Pourtant, dans un pays qui proclame son attachement profond à l’égalité, des sportives musulmanes sont mises sur la touche et discriminées, simplement parce qu’elles refusent de renoncer à leur droit de se vêtir comme elles le souhaitent.
C’est samedi, et je viens de terminer une nouvelle session de Parkrun dans le sud de Londres. Allongée sur l’herbe chaude, je fais des étirements. Autour de moi, il y a des personnes de tous horizons, identités raciales, âges et capacités. C’est notre espace, celui où nous venons chaque week-end et discutons après avoir fait la course jusqu’à la ligne d’arrivée. Je me sens euphorique, pleine d’énergie, vivante. La course représente tellement pour moi : un exécutoire dans les périodes de stress, un refuge à l’abri de mes traumatismes, un moyen de me dépasser et surtout une activité très amusante. Elle m’a aidée à trouver des amis et à faire partie d’un groupe quand je suis arrivée à Londres. C’est insupportable de penser que tout cela pourrait m’être arraché.
Au cours de ces derniers mois, ma vitesse a augmenté. Lors de mes courses, je mobilise mon sentiment de rage et d’injustice et je le dédie aux sportives de France auxquelles j’ai parlé dans le cadre de mon travail à Amnesty International.
Des footballeuses, des basketteuses, des volleyeuses, des gymnastes et des nageuses – qui se voient toutes empêchées de faire ce qu’elles aiment parce qu’elles sont musulmanes et portent le foulard ou d’autres types de vêtements religieux. Oui, vous avez bien lu : voilà ce qu’il se passe en France, le pays qui se veut le défenseur des droits des femmes. Le pays qui proclame son attachement profond à l’égalité et qui, dans quelques jours seulement, accueillera les Jeux olympiques et paralympiques d’été 2024.
En septembre dernier, la ministre française des Sports a annoncé qu’aucune athlète représentant ce pays ne serait autorisée à participer aux Jeux avec un couvre-chef religieux. La France, gangrénée depuis des décennies par un racisme à l’encontre des femmes musulmanes, préfère prendre le risque de perdre des médailles, discriminer des sportives incroyablement talentueuses et les exclure de ses équipes nationales plutôt que de leur permettre d’être elles-mêmes.
Cependant, il n’y a pas que lors des Jeux que la France ne veut pas voir de femmes dont l’appartenance à la religion musulmane est visible. Même au niveau amateur et dans les compétitions régionales, plusieurs fédérations ont interdit les foulards sportifs. Ainsi, après des années passées à s’entraîner, à exceller dans leur sport, à encadrer des jeunes filles et à envisager le sport comme une carrière professionnelle, de jeunes athlètes musulmanes se voient intimer l’ordre d’enlever leur foulard, sans quoi elles doivent renoncer à leurs rêves.
« C’est de la violence »
C’est « vraiment frustrant, vraiment humiliant », explique Hélène Bâ, cofondatrice du collectif Basket pour toutes, qui fait campagne en faveur de la levée de ces interdictions. Il n’est pas rare, par exemple, que des arbitres demandent à des adolescentes de retirer une partie de leurs vêtements pour participer à un match. « C’est de la violence fondée sur le genre parce que… les arbitres, la majorité d’entre eux sont des hommes, m’indique Hélène, et donc ce sont des hommes qui me demandent de me déshabiller. Que ce soit votre couvre-chef, votre T-shirt, votre robe, c’est de la violence. C’est un mélange de beaucoup de discrimination et de beaucoup de violence. » Les violences fondées sur le genre sont aussi une manifestation de l’islamophobie, qui perpétue le racisme et la discrimination systémiques à l’égard des femmes musulmanes et reflète les conséquences persistantes de l’histoire de France et de l’héritage colonial, ce qui a de profondes répercussions sur les femmes racisées en particulier.
La volleyeuse Assma, qui s’est vu interdire la compétition, décrit son vécu. « Au moment où je voulais m’inscrire pour la compétition féminine, déclare-t-elle, ma coach m’a dit : “Ce ne sera pas possible.” Et je lui demande pourquoi. Et elle me dit tout de suite : “Parce que tu portes quelque chose sur la tête.” Et là, ça me… je me sens pas trop bien et, tout de suite, je savais que ça allait poser problème. »
En France, une règle interdisant les vêtements religieux en compétition est appliquée dans le football depuis 2006. Un collectif de footballeuses voilées appelé Les Hijabeuses l’a contestée devant la justice française, puis devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il a récemment organisé ses propres « Jeux olympiques », véritablement inclusifs, près de Paris. L’une des cofondatrices, Founé Diawara, a souligné auprès d’Amnesty International : « Notre combat n’est pas politique, pas religieux, il concerne le sport et seulement le sport. Il y a des femmes qui chaque week-end sont exclues des terrains parce qu’elles portent un voile. Tout ce qu’on veut, c’est jouer au football. »
Les couvre-chefs sportifs respectant les obligations de sécurité sont autorisés par des fédérations sportives internationales telles que la Fédération internationale de football association (FIFA), la Fédération internationale de basketball (FIBA) et la Fédération internationale de volleyball (FIVB). En outre, la France est le seul pays d’Europe à interdire le port de couvre-chefs religieux dans le sport, notamment dans le football, le basketball et le volleyball féminins. Aucun autre pays de la région, que ce soit au niveau des lois nationales ou des règlements de chaque sport, n’a inscrit dans ses règles une interdiction des couvre-chefs religieux sportifs, comme ceux portés par certaines femmes et filles musulmanes.
Discriminations envers les femmes et les filles musulmanes dans le sport
Ces interdictions sont discriminatoires et bafouent les droits humains des femmes et des filles musulmanes qui pratiquent leur sport en portant un couvre-chef religieux. Elles enfreignent, entre autres, leur droit à l’égalité, leur droit à la liberté d’expression, d’association et de religion, leur droit à la santé et à l’autonomie corporelle, leur droit à l’intégrité physique et psychologique. Le droit de faire du sport est lui-même un droit humain qui fait partie de l’éventail complet des droits fondamentaux tels que le droit de participer à la vie culturelle, le droit à la santé, y compris mentale, le droit de prendre part à la vie publique, et le droit de prendre des décisions à propos de son propre corps et de sa vie privée. Tous ces droits doivent être respectés et protégés pour tous et toutes, sans discrimination.
Les interdictions du port du foulard dans le sport et au-delà sont une question féministe et une question de justice raciale et de genre, ainsi qu’une question de droits humains. La religion est une catégorie souvent racisée. Les personnes musulmanes en France font l’objet d’une catégorisation raciale fondée sur la couleur de la peau, l’origine ethnique et/ou la nationalité, indépendamment de leur pratique religieuse et de leur véritable religion. Le port du foulard et d’autres types de vêtements religieux par les femmes musulmanes est depuis longtemps instrumentalisé et associé à des stéréotypes négatifs dans notre région, en particulier en France, afin de les diaboliser et de faire fi de toute distinction entre les différentes significations que ces vêtements ont pour celles qui les portent ou souhaiteraient le faire.
Aucune femme ne devrait être contrainte à prendre des décisions au sujet de ses vêtements ni être confrontée à un choix impossible entre sa carrière et sa foi, entre son identité et son autonomie. Si les interdictions discriminatoires dans le sport amateur et professionnel ne sont pas levées, encore moins d’athlètes musulmanes – qui se heurtent déjà à des obstacles systémiques dans l’accès au sport en France – atteindront le niveau des Jeux olympiques et paralympiques.
C’est pour cela que, à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, Amnesty International appelle à mettre fin à ces atteintes aux droits humains des femmes et des jeunes filles athlètes, et continuera de le faire pendant la compétition. Nous appelons toutes les personnes qui ont conscience du pouvoir de transformation du sport à dénoncer ouvertement ces interdictions racistes, discriminatoires et préjudiciables du foulard sportif. Faites entendre votre voix et montrez votre solidarité à l’égard des athlètes musulmanes de France. POUR EN SAVOIR PLUS : https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2024/07/why-hijab-bans-in-french-sports-defy-olympic-values-and-human-rights/