Le « Printemps arabe » de 2011 s’est transformé en un long hiver pour les partisans du changement, militant·e·s politiques et défenseur·e·s des droits humains, dont des prisonniers et prisonnières d’opinion. Des dizaines de personnes qui avaient exprimé pacifiquement leurs opinions et se sont battues pour les libertés fondamentales purgent actuellement de longues peines de prison, parfois à perpétuité.
Dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), au moins 52 prisonniers et prisonnières d’opinion sont aujourd’hui derrière les barreaux, uniquement pour avoir exercé leur droit légitime à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Ils et elles sacrifient des années de leur vie pour avoir plaidé en faveur du changement et d’une réforme. Leur emprisonnement ne les a pas seulement réduits au silence. L’effet dissuasif de celui-ci s’est répandu dans la région, ne laissant que peu d’espace, voire aucun, pour la liberté d’expression.
Comment les gouvernements sont parvenus à ce résultat ?
- En appliquant des lois formulées en des termes vagues et des dispositions radicales du Code pénal, du code de procédure pénale et de la législation relative à la cybercriminalité, entre autres, pour placer en détention des individus, les juger et les condamner.
- En considérant les activités politiques pacifiques comme des menaces pour la sécurité de l’État.
- En restreignant fortement les manifestations et les rassemblements publics.
- En interdisant et en dissolvant des ONG indépendantes et des groupes d’opposition politiques.
- En réduisant au silence et en enfermant les fondateurs d’ONG indépendantes.
Depuis au moins 2011, les gouvernements infligent à leurs détracteurs et aux militant·e·s pacifiques des arrestations arbitraires, des actes de torture ou d’autres mauvais traitements, des procès non conformes aux normes d’équité, et de longues peines. Ils harcèlent les familles de ces personnes, interdisent les déplacements, bref, ils font tout pour rendre impossible la vie de celles et ceux qui souhaitent exprimer sans violence une opinion indépendante.
Aujourd’hui, la plupart des militant·e·s pacifiques du Golfe se sont exilés ou se taisent en restant chez eux.
Plus récemment, les pays du CCG se sont servis de la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour continuer d’étouffer le droit à la liberté d’expression. Ces États ont tous averti leurs citoyens qu’ils encouraient des poursuites en cas de publication de « fausses nouvelles » ou de « diffusion d’informations erronées ». À de nombreuses reprises, ils ont traduit en justice des personnes qui avaient publié sur les réseaux sociaux des contenus en lien avec la pandémie ou la réaction du gouvernement. S’ils ont libéré des centaines de détenus pour aider à contenir l’infection, les prisonniers et prisonnières d’opinion n’ont pas bénéficié de cette démarche.
Ils et elles ne doivent pas être oubliés !
Voici quelques-uns de ces prisonniers et prisonnières d’opinion.
BAHREÏN
Abdulhadi al Khawaja, ancien militant de Front Line Defenders et ancien président du Centre bahreïnite pour les droits humains, fondateur du Centre du Golfe pour les droits humains.
Abdulhadi al Khawaja a commencé à militer en 1979 à l’université de Londres, en manifestant contre l’arrestation illégale de citoyens à Bahreïn. Il a reçu l’asile politique au Danemark en 1991, avant d’obtenir la citoyenneté danoise. Il est rentré à Bahreïn avec sa famille en 2001, lorsque son pays a accordé une amnistie générale aux exilés. Il a cofondé le Centre bahreïnite pour les droits humains en 2002.
Cet homme a été arrêté le 9 avril 2011 dans le cadre des manifestations contre le gouvernement. Il faisait partie des 11 (sur 13) dirigeant·e·s et militant·e·s de l’opposition interpellés au printemps 2011, pris pour cibles uniquement pour avoir participé à des manifestations pacifiques. La plupart d’entre eux, y compris Abdulhadi al Khawaja, ont signalé avoir subi des actes de torture pendant les premiers jours de leur détention. Au moment de connaître sa peine au tribunal, Abdulhadi al Khawaja a crié : « Nous continuerons de marcher sur le chemin de la résistance pacifique ! »
Il purge actuellement une peine de réclusion à perpétuité.
Ali Salman est le secrétaire général d’Al Wefaq, qui était le principal parti d’opposition à Bahreïn. Il a déjà été arrêté et jugé pour son opinion considérée comme critique des autorités.
En 2015, il a été condamné à quatre ans de prison à l’issue d’un procès inique, pour des accusations liées à des discours pacifiques qu’il avait prononcés en 2012 et 2014, où il avait affirmé que l’opposition était toujours déterminée à prendre le pouvoir à Bahreïn et amener les responsables présumés de violations des droits humains à rendre des comptes.
En 2017, le second procès d’Ali Salman s’est ouvert sur une série d’accusations fallacieuses de partage de renseignements liées à ses conversations téléphoniques enregistrées avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères qatariens de l’époque, en 2011.
Ali Salman a été acquitté en 2018, mais le parquet a fait appel du jugement. En novembre de la même année, il a été condamné en appel pour avoir « communiqué des renseignements à un pays étranger et à ceux qui œuvrent dans le but de mener des actions hostiles contre Bahreïn, de nuire à la position militaire, politique et économique du pays, et de compromettre ses intérêts nationaux », ainsi que « livré et divulgué des secret-défense à un pays étranger, et diffusé des nouvelles et des déclarations tendancieuses quant à la situation interne de Bahreïn dans le but d’affaiblir son prestige et son statut ». Cet homme a vu sa condamnation confirmée par la Cour de cassation le 28 janvier 2019.
Il purge actuellement une peine de réclusion à perpétuité.
OMAN
En 2018, Oman a condamné six accusés – dont deux Émiriens de la tribu shuhuh, Rashed Saeed al Salhadi al Shahi et Aref Sultan Ahmed al Shahi – à une peine de réclusion à perpétuité pour « atteinte à l’indépendance du pays ou à l’unité ou l’inviolabilité de son territoire » à l’issue de procès d’une iniquité flagrante. Les chefs d’accusation étaient fondés sur les habitudes de navigation en ligne des six hommes en ce qui concerne le gouvernorat de Moussandam, à Oman, et la tribu shuhuh qui y vit. Il leur a notamment été reproché d’avoir tenté de communiquer avec des organisations internationales au sujet de la situation à Moussandam.
Le 17 novembre 2020, le sultan d’Oman a gracié les quatre Omanais faisant partie de ce groupe, qui ont été libérés immédiatement.
Moussandam, à Oman, est une péninsule montagneuse dans le détroit d’Ormuz, séparée du reste du pays par les Émirats arabes unis. Cette affaire intervient sur fond de tensions entre Oman et les Émirats arabes unis au sujet des zones habitées par la tribu shuhuh, qui s’étendent de part et d’autre de la frontière.
Rashed Saeed al Salhadi al Shahi a été arrêté le 6 avril 2018 à Rawdah (Moussandam), tandis qu’Aref Sultan Ahmed al Shahi a été interpellé mi-juillet de la même année par les Services omanais de sécurité intérieure au poste-frontière d’Al Dara, alors qu’il entrait dans le pays depuis les Émirats.
Émirats arabes unis
Le procès collectif des « 94 Émiriens » a vu 94 personnes répondre ensemble d’accusations liées à la création d’une organisation dans le but de renverser le gouvernement, ce qu’ils réfutent tous. Parmi les accusés figurent de célèbres avocats, des juges, des universitaires et des dirigeants étudiants. L’un d’eux, Mohammed al Roken, est un avocat spécialiste des droits humains qui a fourni une assistance juridique à des victimes de violations des droits humains aux Émirats, dont d’autres défenseur·e·s de ces droits.
Cet homme a été arrêté par des agents de la Sûreté de l’État en juillet 2012. Sa famille a ignoré où il était pendant trois mois. La Chambre de la sûreté de l’État de la Cour suprême fédérale à Abou Dhabi a condamné 69 de ces 94 personnes, dont huit en leur absence, à des peines de prison allant de 7 à 15 ans. Ce procès a été entaché de graves irrégularités. Ainsi, la cour a accepté des éléments à charge consistant essentiellement en des « aveux » obtenus des accusés lorsqu’ils étaient en détention provisoire, et la procédure n’était pas conforme aux normes internationales d’équité des procès, notamment car le verdict rendu par cette instance était définitif et les accusés n’avaient pas le droit de faire appel en vertu de la législation alors en vigueur.
En 2007, Mohammed al Roken a déclaré, en évoquant la vie des militants politiques aux Émirats : « Un militant peut être salué, félicité pour son travail, soutenu en secret, mais personne ne s’insurgera si quelque chose lui arrive. »
En 2017, il a reçu le Prix international des droits de l’homme Ludovic-Trarieux.
Il purge actuellement une peine de 10 ans de prison.
Le défenseur des droits humains Ahmed Mansoor a été arrêté le 20 mars 2017. Il a été condamné injustement en mai 2018 pour « atteinte au statut et au prestige des Émirats arabes unis et de leurs symboles, y compris de leurs dirigeants », en lien avec ses activités pacifiques en faveur des droits humains, notamment ses publications sur les réseaux sociaux. Ce verdict et la peine prononcée ont été confirmés fin décembre 2018. Cet homme est détenu à l’isolement dans la prison de Sadr, à Abou Dhabi, dans des conditions épouvantables. Depuis son arrestation, il n’a été autorisé à quitter sa petite cellule qu’à l’occasion de rares visites familiales et il n’a pu sortir à l’extérieur qu’une seule fois dans la cour de la prison pour faire de l’exercice. En guise de protestation, il a observé deux grèves de la faim, qui ont gravement détérioré son état de santé.
Ahmed Mansoor était la seule voix indépendante qui s’exprimait encore contre les violations des droits humains depuis l’intérieur du pays, à travers son blog et Twitter. À cause de cela, il a fait l’objet à plusieurs reprises d’intimidation, de harcèlement et de menaces de mort de la part des autorités émiriennes ou de leurs sympathisants. Les autorités l’ont placé sous surveillance physique et électronique : son ordinateur, son téléphone, son courriel et ses comptes Twitter ont tous été piratés. En 2015, il a gagné le prestigieux prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’Homme en récompense de son travail courageux.
Filmé à cette occasion, Ahmed Mansoor a déclaré : « Il n’est pas possible de prendre la mesure de l’opinion publique ici [aux Émirats] car il n’y a pas de libre arbitre. Les gens ont peur de parler. Dans le même temps, ils ne vont pas s’arrêter. Nous ne nous arrêterons pas, nous devons continuer […] Enlever une pierre de la montagne vaut mieux que de laisser la montagne telle qu’elle est… »
Il purge actuellement une peine de 10 ans de prison.
ARABIE SAOUDITE
Salman al Awda, dignitaire religieux réformiste de 63 ans arrêté en septembre 2017, encourt la peine de mort dans le cadre de son procès devant le Tribunal pénal spécial.
Salman al Awda réclame des réformes politiques et démocratiques en Arabie saoudite et dans d’autres pays arabes depuis le début des années 1990. Il a été arrêté en 1994 et maintenu en détention sans inculpation ni procès pendant cinq ans avant d’être relâché en 1999. Il a depuis poursuivi son combat.
Le 7 septembre 2017, des agents de la sûreté de l’État ont arrêté Salman al Awda à son domicile sans mandat, quelques heures après que cet homme a publié sur Twitter un message encourageant les autorités qatariennes et saoudiennes à mettre fin à leur bras de fer diplomatique. « Que Dieu mette leurs cœurs en harmonie pour le bien des peuples », a-t-il écrit. D’après sa famille, les autorités ont demandé à cet homme et d’autres personnalités de poster des tweets en soutien au gouvernement saoudien durant la crise avec le Qatar, ce qu’il avait refusé. Il a été détenu au secret et à l’isolement pendant les cinq premiers mois, sans avoir accès à sa famille ou un avocat, à l’exception d’un bref appel téléphonique un mois après son arrestation.
En août 2018, Salman al Awda a comparu devant le Tribunal pénal spécial lors d’une audience secrète, où il a été accusé de 37 chefs d’inculpation, dont l’appel à des réformes politiques et judiciaires et à la liberté d’expression dans le royaume. Il a également été accusé de plaider en faveur de réformes gouvernementales et d’un « changement de régime » dans le monde arabe. En mai 2019, il a à nouveau comparu lors d’une audience secrète, à la suite de laquelle son avocat a informé sa famille que le procureur avait requis la peine de mort. Son procès est en cours.
En savoir plus sur la vague d’arrestations de 2017, destinée à s’attaquer aux derniers vestiges de la liberté d’expression en Arabie saoudite.
Envoyez un tweet à @salman_alodah pour manifester votre soutien et réclamer sa libération immédiate et sans condition.