Les États d’Afrique subsaharienne doivent protéger les détenu·e·s du COVID-19

Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, les prisons sont surpeuplées. Les détenu·e·s vivent souvent dans des conditions sordides et les systèmes de santé au sein des prisons sont extrêmement précaires. Les détenu·e·s sont particulièrement vulnérables et exposés à la pandémie de COVID-19. Cette pandémie exige des États qu’ils prennent rapidement des mesures pour résoudre les problèmes liés à leurs systèmes de détention, afin d’éviter de faire des centres de détention des épicentres de l’épidémie.

Les personnes en détention provisoire représentent 50 à 90 % de la population carcérale dans la plupart des pays du continent. Les systèmes carcéraux font face à de nombreux problèmes systémiques, qui s’aggraveront avec la pandémie de COVID-19.

Les conditions de vie dans les prisons sont très difficiles et très souvent insalubres. Des cas de tuberculose et de VIH/sida ont été constatés dans de nombreux centres de détention. Les médicaments sont une ressource rare et il est difficile de consulter un médecin ou des infirmiers ou infirmières.

Des centaines de cas de COVID-19 ont déjà été recensés dans des prisons d’Afrique subsaharienne. En Afrique du Sud, au Cameroun ou en Guinée, les centres de détention deviennent rapidement des épicentres de la pandémie.

Nombre de cas de COVID-19 dans les prisons d’Afrique subsaharienne

1,814

À la date du 25 juin 2020, nous avons recensé au moins 18 décès en détention liés au COVID-19. Cependant, certains États ne divulguent pas le nombre de cas ni de morts imputables à ce coronavirus dans les prisons.

“Ça va se propager comme un incendie. Dès que quelqu’un attrapera le virus, nous l’attraperons tous en quelques heures.”

Un détenu de la prison Munzenze, à Goma (RDC)

Il faut endiguer la propagation du COVID-19 dans les prisons

Réclamez que les centres de détention soient désengorgés et les détenus protégés

Au Cameroun, dans l’attente interminable d’un procès

La capacité d’accueil de la prison de Kondengui, principal établissement pénitentiaire de la capitale, est de 1 500 détenu·e·s. Cependant, avant que le gouvernement ordonne la libération de certains prisonniers et prisonnières, il y avait plus de 6 000 détenu·e·s.

Les personnes en détention provisoire représentent jusqu’à 55 % de la population carcérale au Cameroun. De nombreuses personnes actuellement en détention provisoire dans le cadre d’affaires liées à la crise séparatiste des régions anglophones ne bénéficieront pas des mesures gouvernementales. D’autres, à l’instar d’Ivo Fomusoh et de deux de ses amis, qui ont été condamnés à 10 ans d’emprisonnement pour avoir fait circuler une plaisanterie par SMS, demeureront aussi derrière les barreaux.

L’accès limité aux soins médicaux est également caractéristique des conditions de vie déplorables dans les prisons. Il n’y a qu’un médecin pour 1 335 détenu·e·s. Les détenu·e·s souffrent de malnutrition et au moins 15 % d’entre eux sont atteints de tuberculose. La situation est plus ou moins identique dans les autres prisons du Cameroun. À la prison de Maroua (région de l’Extrême-Nord) – dont le taux d’occupation est de 230 % –, de nombreux décès imputables aux rudes conditions de détention ont été enregistrés.

Au Tchad, des conditions intenables

Les prisons tchadiennes sont remplies à 232 % de leur capacité. Les conditions d’hygiène et le système de santé sont extrêmement précaires. Chaque jour, des détenu·e·s meurent de diverses maladies, notamment de la tuberculose et d’infections sexuellement transmissibles (IST). Les infirmeries servent souvent de cellule lorsque la prison est extrêmement surpeuplée ou lorsqu’il n’y a pas de matériel médical. Des personnes dorment dans des cellules mal ventilées, la plupart du temps à même le sol et les unes contre les autres. Entre mars et mai, quand les températures peuvent grimper jusqu’à 45 °C, cela devient insupportable.

Au Bénin, accès limité à un système de santé défaillant

Plus de 94 % des personnes détenues dans les 11 prisons en fonctionnement du Bénin déclarent ne pas exercer leur droit aux soins médicaux. Les raisons invoquées sont souvent l’accès limité voire inexistant, les faibles effectifs médicaux, la pénurie de médicaments ou la délivrance de médicaments périmés. Il existe, semble-t-il, une économie parallèle pour les détenu·e·s qui ont les moyens de payer leurs soins de santé. Les problèmes médicaux sous-jacents ne sont pas traités. Néanmoins, de nombreuses améliorations ont été apportées depuis 2015, bien que les mesures prises demeurent insuffisantes.

Les prisons béninoises sont surpeuplées : le taux d’occupation est supérieur à 151 %. Elles comptent au total plus de 8 500 détenu·e·s, dont plus de 75 % sont en détention provisoire. Le 6 mai, les autorités ont libéré plus de 400 détenu·e·s afin d’empêcher la propagation du COVID-19 dans les prisons.

À Madagascar, des procès tardifs pour les mineurs et les femmes

À Madagascar, le recours excessif à la détention provisoire touche de manière disproportionnée les personnes pauvres et marginalisées. Des personnes, y compris des mineurs, accusées d’infractions sans gravité sont contraintes à séjourner dans des prisons surpeuplées et insalubres. Elles n’ont pas accès à une alimentation convenable, à des soins de santé adaptés ni à un avocat.

Dans la plupart des prisons, il y a plus de personnes dans l’attente de leur procès que de personnes condamnées ; le système judiciaire défaillant peut retarder les procès pendant des années. Dans plusieurs prisons visitées par une délégation d’Amnesty International, 100 % des mineurs attendaient leur procès et la majorité d’entre eux étaient accusés d’infractions non violentes et sans gravité, qui ne justifiaient pas une incarcération (vol de téléphone ou de poisson, par exemple). À l’échelle nationale, 80 % des mineurs et 70 % des femmes qui sont incarcérés sont en détention provisoire.

De ce fait, les prisons du pays accueillent près de trois fois plus de détenu·e·s que leur capacité ne le permet. En juin 2019, il y avait 28 045 détenu·e·s dans les prisons malgaches, dont la capacité cumulée est de 10 360 personnes. Les conditions de détention y sont inhumaines : les détenu·e·s, y compris les mineurs, sont souvent contraints à dormir sur un sol en ciment, sans matelas ni drap, serrés dans de grandes cellules sombres et mal ventilées.

Puni parce qu’il était pauvre (vidéo en anglais)

Envoyez un courriel aux chefs d’État concernés

Demandez-leur de décongestionner les prisons d’Afrique subsaharienne

Au Mozambique, les personnes réfugiées ou demandeuses d’asile doivent aussi être libérées

Le 6 avril 2020, le Parlement mozambicain a adopté une loi d’amnistie, qui concernera quelque 5 300 détenu·e·s condamnés à une peine d’un an au maximum, associée ou non à une amende. Ce texte vise à réduire la population carcérale et à atténuer le risque de propagation du COVID-19 dans le pays.

Cependant, des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile venues de République démocratique du Congo (RDC) ou d’Éthiopie sont encore détenues arbitrairement à Pemba (province de Cabo Delgado), dans le nord du Mozambique. Elles sont en détention provisoire depuis plus de 15 mois et n’ont pas encore été déférées à un tribunal. Elles n’ont même pas été inculpées d’une quelconque infraction et ne bénéficieront donc pas de la loi d’amnistie.

Les 16 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile concernées sont détenues dans des conditions déplorables, sans eau courante, savon ni gel hydroalcoolique, et reçoivent une alimentation insuffisante. Dans ces conditions, elles sont plus exposées aux maladies, y compris au COVID-19.

Les prisons du pays sont surpeuplées. Elles sont remplies à plus de 200 % de leur capacité officielle.

En RDC, des personnes sont détenues dans des « mouroirs »

Chaque jour, des détenu·e·s meurent dans les prisons de RDC du fait des conditions de vie déplorables. Selon Prison Insider, plus de 60 personnes sont mortes de faim à la prison de Makala entre janvier et février 2020. En outre, au moins quatre sont décédées au centre de détention de Matadi entre le 9 et le 13 avril.

Les principales prisons du pays abritent au moins quatre à six fois plus de personnes que leur capacité officielle ne le permet et 73 % des détenu·e·s y sont incarcérés à titre provisoire.

Les autorités ont pris des mesures pour réduire la population carcérale en ajustant les peines. En conséquence, 1 200 personnes ont déjà été libérées et d’autres vont l’être prochainement. Par ailleurs, les juges ont reçu la consigne de ne prononcer des peines de détention que lorsqu’il n’y a pas d’autre solution envisageable. En revanche, d’autres mesures visant à prévenir la propagation du COVID-19 dans les prisons peuvent être préjudiciables aux personnes détenues : en effet, plus de 80 % de celles-ci comptent sur la nourriture que leur apportent leurs proches ou des associations locales et ne recevront donc plus ces repas, dont leur survie dépend.

Pour de nombreux spécialistes, les principales prisons de RDC sont des mouroirs. Les détenu·e·s restent des jours sans manger. Le manque de médicaments est un problème généralisé. Les conditions de vie sordides, la tuberculose, le manque d’espace dans les cellules, l’utilisation de morceaux de matelas en mousse par les femmes détenues en guise de protection périodique, l’absence de fonds pour la prise en charge des personnes détenues et les problèmes systémiques de grande ampleur qui caractérisent le système carcéral sont des difficultés qui ne feront que s’aggraver avec la pandémie de COVID-19. Il y a déjà plus de 110 cas confirmés à la prison militaire de Ndolo, à Kinshasa.

En Érythrée, des conteneurs en guise de cellules

L’état du système carcéral érythréen est l’un des secrets les mieux gardés. Nous en savons très peu sur les centres de détention et les personnes qui s’y trouvent. Les autorités érythréennes sont connues pour avoir fréquemment recours à la détention au secret et pour utiliser des conteneurs en guise de cellules. La détention arbitraire et les disparitions forcées sont des problèmes qui perdurent. Beaucoup de familles de personnes incarcérées tentent désespérément d’obtenir des informations.

Amnesty International a recueilli des éléments faisant état des mauvaises conditions de détention dans le pays, qui s’apparentent parfois à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

L’Érythrée compte des centaines de prisonniers et prisonnières d’opinion. Onze personnalités politiques et 17 journalistes, arrêtés arbitrairement en 2001 après avoir critiqué le gouvernement du président Isaias Afwerki, attendent toujours d’être jugés équitablement ou libérés.

Coup de projecteur sur les prisons oubliées d’Érythrée (vidéo en anglais)

Au Sénégal, les détenu·e·s dorment tête-bêche

Dans le cadre des mesures de prévention relatives à la pandémie de COVID-19, 2 000 personnes ont été libérées de prison. Au Sénégal, 11 547 personnes étaient incarcérées dans 37 prisons, d’une capacité totale de 4 224 détenu·e·s.

Pour les personnes maintenues en détention, la vie quotidienne en prison comporte encore des risques. Selon les informations dont dispose Amnesty International, il y aurait moins de cinq médecins dans l’équipe médicale des services pénitentiaires sénégalais. L’hygiène et l’accès aux toilettes demeurent insuffisants. Les cellules, qui sont conçues pour 40 personnes, en contiennent souvent deux ou trois fois plus. La plupart des détenu·e·s dorment à même le sol, tête-bêche, selon un schéma qu’ils appellent « paketasse ». Ils sont parfois obligés de dormir à tour de rôle.

Au Niger, des détenu·e·s isolés du monde

Dans le cadre des mesures préventives prises par le gouvernement pour endiguer la propagation du COVID-19, les visites aux détenu·e·s sont supprimées pour les trois prochains mois. Les défenseur·e·s des droits humains et les militant·e·s qui ont été la cible des récentes vagues d’arrestations arbitraires languissent en prison, sans aucun moyen de contacter leur famille ni leur avocat. Les mesures de lutte contre la pandémie empêchent la plupart des détenu·e·s de recevoir de la nourriture ou d’autres produits de l’extérieur.

Officiellement, le taux d’occupation des prisons au Niger est de 93 %. En réalité, nos contacts dans le milieu carcéral nous indiquent que les cellules sont surpeuplées. Plus de 53 % des personnes qui s’y trouvent sont en détention provisoire. Les autorités ont également pris la décision de libérer plus de 1 500 détenu·e·s, y compris Hama Amadou, une personnalité de l’opposition tristement célèbre, qui était incarcéré pour trafic de bébés. Malheureusement, de nombreux défenseur·e·s des droits humains et militant·e·s sont toujours derrière les barreaux et resteront totalement isolés pendant au moins les trois prochains mois.

En Tanzanie, des efforts constants pour décongestionner les prisons

Depuis 2015, au moins 9 000 détenu·e·s ont été graciés. Les autorités déploient des efforts constants pour décongestionner les prisons. Récemment, elles ont ainsi donné aux juges la consigne de ne prononcer des peines de détention qu’en dernier recours. Les résultats sont tangibles. Le taux d’occupation des prisons est tombé à moins de 115 %. Il y a 20 ans, les centres de détention abritaient deux ou trois fois plus de détenu·e·s que leur capacité officielle ne le permettait.

Néanmoins, les propos du président John Magufuli au sujet du traitement qui devrait être réservé aux détenu·e·s sont préoccupants. Souvent critiqué pour son style autoritaire, qui s’appuie notamment sur la répression des libertés, celui-ci a déclaré que les personnes détenues devraient être forcées à travailler gratuitement jour et nuit. Il a ajouté : « C’est une honte que le pays continue à nourrir les prisonniers et prisonnières. Toutes les prisons ont des champs, les détenu·e·s devraient les cultiver. »

En outre, le gouvernement tente de réduire au silence ses détracteurs en les maintenant derrière les barreaux. Tito Magoti, un avocat spécialiste des droits humains, et Theodory Giyani sont détenus depuis le 20 décembre 2019 pour des charges fallacieuses : direction d’un réseau de criminalité organisée, possession d’un programme informatique conçu pour commettre une infraction et blanchiment d’argent. Ils sont détenus dans des conditions absolument déplorables. Nous nous inquiétons fortement pour leur santé dans le contexte du COVID-19, en particulier à cause de la surpopulation, des restrictions alimentaires et de l’accès insuffisant à l’eau et aux installations sanitaires.