L’importance du poisson pour la Gambie et sa population
Le poisson est une ressource essentielle pour la Gambie et sa population. Le secteur de la pêche joue un rôle crucial dans l’économie gambienne, comme c’est généralement le cas dans les pays d’Afrique de l’Ouest.
Les populations des villes côtières comme Sanyang dépendent fortement des poissons pélagiques pour leur apport quotidien en protéines, ainsi que pour leurs activités économiques. Sanyang, connu pour être un centre touristique, dépend du marché du poisson pour approvisionner les propriétaires d’hôtels et de restaurants.
Cependant, le secteur de la pêche dans le pays fait depuis quelques années face à des sollicitations croissantes et concurrentes, ce qui entraîne une surpêche aux effets socioéconomiques et environnementaux dévastateurs. Des chalutiers industriels étrangers et des usines de farine et d’huile de poisson, s’ajoutant aux pêcheurs traditionnels qui fournissent du poisson à la communauté, ont accentué la pression qui pèse sur les ressources halieutiques.
La somme que la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée-Bissau, la Guinée, la Sierra Leone et la Gambie perdent par an à cause de la pêche illégale est estimée à :
dollars américains
APERÇU DES ACTIVITÉS DE Nessim Fishing and Fish Processing À SANYANG
Amnesty International a mené des recherches approfondies à Sanyang et à Banjul, de juin 2021 à avril 2022. L’enquête avait pour but d’évaluer l’impact sur les droits humains de la surpêche à Sanyang, et le rôle des usines de farine de poisson. La délégation a interrogé différentes parties prenantes, notamment le chef du village, des pêcheurs, des personnes qui transforment le poisson, des personnes travaillant dans l’hôtellerie, des travailleurs journaliers embauchés par Nessim Fishing And Fish Processing Co., et l’Agence nationale pour l’environnement. Amnesty International a également demandé des informations aux ministères concernés, mais n’a pas reçu de réponses de leur part. La délégation n’a pas pu rencontrer le dirigeant de Nessim Trading Company à Banjul, mais l’entreprise a donné une réponse partielle lorsque Amnesty lui a demandé des informations. Amnesty International a contacté les autorités concernées et les usines de farine de poisson afin de respecter leur droit de réponse. Seule l’entreprise Nessim a répondu.
Lire notre communiqué de presse à propos du lancement du rapport. Vous pouvez également télécharger le rapport complet au format PDF, disponible en anglais.
Ce rapport présente les différents acteurs de la pêche en Gambie, en particulier à Sanyang, qui participent à la mise sous pression des ressources halieutiques. Le gouvernement gambien a conclu des accords de pêche avec l’Union européenne (UE) et plusieurs pays, notamment le Sénégal, permettant à des bateaux étrangers de pêcher dans les eaux gambiennes. Le gouvernement est également aux prises avec un autre problème : la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (pêche INDNR). Le rapport met aussi en évidence l’émergence des usines de farine et d’huile de poisson, qui transforment des espèces pélagiques en produits exportés pour nourrir des animaux d’élevages ou fabriquer des compléments alimentaires. Le secteur a besoin de poisson en grande quantité pour sa production : il en faut environ 4,5 kg pour fabriquer 1 kg de farine de poisson. Le manque de transparence dans la chaîne d’approvisionnement et l’exportation des produits nourrit des craintes quant au respect des droits humains et des normes environnementales.
Impact socioéconomique sur les communautés locales
Les activités de pêche de tous les acteurs, notamment les navires industriels étrangers et l’usine de farine de poisson, menacent les droits économiques et sociaux des communautés locales. Les pêcheurs artisanaux subissent des pertes économiques car leurs filets sont déchirés par les bateaux étrangers qui pêchent illégalement près de la côte. Ces navires industriels épuisent les ressources halieutiques et forcent les pêcheurs artisanaux à s’aventurer plus loin en mer. Les transformateurs artisanaux de poisson et les commerçants souffrent également de la raréfaction du poisson et de l’augmentation des coûts. Les usines de farine de poisson sont en concurrence directe avec eux et menacent leurs moyens de subsistance. La réduction des ressources halieutiques causée par la surpêche contribue au risque d’insécurité alimentaire dans le pays. Les propriétaires locaux de restaurants, d’hôtels et de bars à jus souffrent également de la pénurie de poisson, de l’augmentation des prix et des odeurs nauséabondes dégagées par l’usine, ayant provoqué une baisse de leurs activités.
Je suis pêcheur professionnel depuis 1994. […] Les choses ont drastiquement changé depuis […] 2017, et j’ai entendu dire que le gouvernement avait signé un contrat avec les entreprises de tous ces gros navires.
Morro Camara, pêcheur de Sanyang
Impact sur les activités de pêche artisanale
Le secteur de la pêche en Gambie rencontre des difficultés en raison de l’augmentation du nombre de chalutiers industriels étrangers, ce qui a des conséquences négatives sur les pêcheurs artisanaux de la région. Ces chalutiers empiètent sur les zones réservées à la pêche artisanale, provoquant ainsi d’importantes pertes pour les pêcheurs locaux dont les filets sont fréquemment déchirés.
Le problème s’est accentué au cours des dernières années, et les pêcheurs remarquent que les chalutiers s’approchent de la côte, parfois à moins de 8 km du rivage, alors que la zone réservée à la pêche artisanale s’étend jusqu’à neuf milles marins (soit environ 16 km). Ces navires étrangers pêchent sans aucune distinction, épuisant les ressources halieutiques et forçant les pêcheurs traditionnels à s’aventurer plus loin en mer à la recherche de prises. La concurrence avec les bateaux étrangers complique la pêche, le nombre de poissons étant en nette diminution.
L’utilisation de filets plus fins qu’autorisés et les pratiques de pêches illégales près de la côte sont des problèmes récurrents, car la marine gambienne n’a pas suffisamment de ressources pour contrôler efficacement toute la côte.
Des employés de la marine ont confirmé recevoir fréquemment des plaintes de la part de pêcheurs dont les filets ont été déchirés, notamment dans les zones côtières.
Le gouvernement doit s’attaquer à ce problème en indemnisant les pêcheurs artisanaux affectés et en fournissant de meilleures ressources à la marine pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INDNR).
Garantir le droit des pêcheurs artisanaux à des conditions de travail sûres et saines, conformément aux normes régionales et internationales relatives aux droits humains, devrait être une priorité pour le gouvernement gambien.
IMPACT SUR LES COMMERÇANTS ET TRANSFORMATEURS ARTISANAUX DE POISSON
Les personnes qui pratiquent une activité artisanale de transformation de poisson en Gambie, notamment celles et ceux qui fument et sèchent le poisson, rencontrent d’importantes difficultés. La majorité sont des femmes : elles représentent environ 80 % des personnes qui transforment le poisson et 50 % des petits marchands de poisson.
Les fumeurs et fumeuses de poisson l’achètent et le fument pour le vendre, tandis que les sécheurs et sécheuses le font sécher au soleil. Cependant, le poisson s’est fait de plus en plus rare et les prix ont augmenté, affectant les moyens de subsistance de ces travailleurs et travailleuses, et par conséquent ceux des commerçant·e·s.
Les bateaux industriels étrangers et les usines de farine de poisson ont contribué à la diminution du nombre de poissons. En raison de la concurrence avec les vendeurs qui approvisionnent les marchés locaux et les usines de farine de poisson, les fumeurs et fumeuses de poisson ont du mal à maintenir leurs activités. La Commission européenne a estimé que leur bénéfice opérationnel net était négatif.
Le prix du bonga en Gambie a également beaucoup augmenté depuis l’arrivée des usines de farine de poisson en 2017. Les fumeurs et fumeuses de poisson qui se spécialisaient dans le bonga et la sardinelle subissent une rude concurrence, car ces espèces sont capturées en grande quantité par les bateaux industriels qui les exportent et les pirogues qui travaillent avec l’usine de farine de poisson.
La pandémie de COVID-19 a encore aggravé la situation des transformateurs artisanaux de poisson, car ils ont dû s’adapter à des restrictions qui ne s’appliquaient pas à la pêche industrielle.
Le gouvernement gambien doit protéger les droits de ces travailleurs et travailleuses en s’attaquant à la pêche illégale, en limitant la pêche du bonga et de la sardinelle par les navires étrangers, et en garantissant des conditions de travail équitables et satisfaisantes. La surpêche menace les ressources en poisson et la sécurité alimentaire : des pratiques de pêche durables sont nécessaires.
Avant, ce n’était pas difficile d’obtenir du poisson, maintenant, il est difficile d’en trouver, et il y a une énorme différence de prix. Entre 2014 et 2016, trois poissons-chats coûtaient 25 dalasis, maintenant c’est 100 dalasis les quatre, et les plus gros coûtent même 100 dalasis chacun.
Adama Jatta, fumeur de poisson
L’usine de farine de poisson a des conséquences sur mon commerce bien plus néfastes que le COVID.
« Mohammed », propriétaire d’un hôtel à Sanyang
Impact sur le tourisme et les commerces connexes
Le secteur du tourisme à Sanyang, Gambie, a souffert des effets cumulés de la pandémie de COVID-19 et de la présence de l’usine de farine de poisson.
La pandémie a provoqué une brusque diminution des visites touristiques, ce qui a causé des difficultés financières pour le secteur de l’hôtellerie. De plus, les locaux affirment que les odeurs nauséabondes s’échappant de l’usine ont découragé les touristes de venir ou revenir dans la région.
Les activités de l’usine ont eu une influence négative sur les revenus, la santé et plus généralement sur la situation des propriétaires d’hôtels et de restaurants. À Sanyang, la saison touristique coïncide avec les activités de l’usine, ce qui exacerbe le problème. L’augmentation des prix et la rareté du poisson ont encore plus affecté les propriétaires de restaurants qui ont besoin de fruits de mer pour leur activité. Les pêcheurs locaux sont en concurrence avec les navires industriels étrangers, ce qui diminue la quantité de poisson disponible.
Le gouvernement est critiqué pour son incapacité à régler ces problèmes et à protéger, conformément à ses obligations légales internationales, les droits des populations touchées. Parmi les suggestions faites pour améliorer la situation, on trouve la mise en œuvre de mesures de protection sociale pour la communauté touchée, l’allocation de ressources pour lutter contre la pêche illégale, et une réflexion sur une possible relocalisation de l’usine.
L’usine de farine de poisson devrait elle-même régler le problème de la pollution olfactive, en trouvant des moyens de limiter l’odeur. Si elle n’y parvient pas, elle devrait réfléchir à une relocalisation ou à des compensations.
IMPACT SUR LES MARAÎCHÈRES LOCALES ET LEURS CULTURES
Les femmes qui cultivent les potagers derrière l’usine de farine de poisson Nessim à Sanyang, en Gambie, ont déclaré faire face à des difficultés depuis l’installation de l’usine.
Celles avec qui Amnesty International a parlé n’ont pas été consultées avant la construction de l’usine, et ont remarqué une augmentation des nuisibles, notamment des mouches noires et des insectes blancs/verdâtres, qu’elles attribuent à l’odeur de l’usine. Elles doivent à présent utiliser davantage de pesticides, ce qui augmente leurs coûts et réduit leur productivité. Les nuisibles abîment les légumes, en particulier les tomates, ce qui cause des pertes importantes.
Les femmes s’inquiètent également des conséquences de la fumée sur leur santé, car elles travaillent très près de l’usine pendant de longues heures.
Amnesty International a demandé que soit menée une enquête sur les potentielles violations du droit à l’alimentation et à la santé, et que soient mises en place des lois et réglementations environnementales. Nessim doit coopérer pleinement à l’enquête et prendre des mesures appropriées, notamment de potentielles compensations ou une relocalisation, si l’entreprise est jugée responsable de l’influence négative sur les cultivatrices.
C’est la fumée qui nous inquiète. Elle est très sombre et cause des problèmes à la poitrine.
Manneh, maraîchère
L’impact sur l’environnement
La dégradation de l’environnement causée par la surpêche est un grave problème en Gambie. Certaines espèces, notamment le mérou, la crevette rose d’eau profonde, la seiche, la sardinelle et le bonga, sont déjà surexploitées. Les chalutiers industriels et les usines de farine de poisson participent à cette surexploitation.
Lorsque les usines refusent les prises des pêcheurs qui travaillent exclusivement pour elles, bien souvent ils retournent en mer pour rejeter ces poissons qu’ils ne peuvent pas vendre. À Sanyang, les médias ont signalé à au moins trois reprises une grande quantité de poissons morts échoués sur la plage.
De plus, le traitement des eaux usées par l’usine Nessim suscite de graves préoccupations en matière d’environnement.
Le problème des eaux usées
Selon l’Agence nationale pour l’environnement (NEA), chargée de vérifier le respect du système d’Évaluations de l’impact sur l’environnement (EIA), les trois usines de farine de poisson en Gambie ont rencontré des difficultés de traitement des eaux usées. Ces usines doivent obtenir un permis de rejet dans l’environnement, et avoir un système intégré de traitement des eaux usées.
L’usine de farine de poisson Nessim a notamment été sanctionnée plusieurs fois par la NEA. En 2018, son permis a été suspendu car elle avait prétendu avoir une station d’épuration qui n’existait pas. La Commission sur l’Environnement de l’Assemblée nationale a visité l’usine et a recommandé une suspension des activités en raison du mauvais traitement des eaux usées. L’usine a été accusée de polluer et de rejeter les déchets sur la route. En réaction, les jeunes de Sanyang ont manifesté contre l’usine, affirmant qu’elle polluait l’environnement et les potagers. Après une fermeture de six mois durant laquelle un système de traitement des déchets et un tuyau d’évacuation allant directement vers la mer ont été construits, Nessim a été autorisé à rouvrir l’usine.
Selon le microbiologiste Ahmed Manjang, un échantillon des eaux usées de l’usine prélevé en 2018 contenait un taux trop élevé de phosphate et une quantité anormalement élevée d’arsenic, élément cancérogène. Une enquête menée par l’organisation Changing Market en 2019 a affirmé que le tuyau d’évacuation ne rejetait pas les eaux usées à 350 m au large, comme imposé, mais à seulement 50 m. La direction de Nessim n’a pas confirmé la longueur du tuyau mais a affirmé suivre les recommandations de la NEA. Ahmed Manjang a déclaré que l’évacuation endommagerait l’écosystème même si le tuyau mesurait 350 m.
L’usine Nessim a reçu des amendes de la NEA en 2020 pour mauvais traitement des eaux usées, et en 2021 pour avoir construit une plateforme le long de la plage sans autorisation. Selon la NEA, l’usine possède un système intégré de traitement des eaux, et le Département des Ressources en Eau procède tous les trimestres à des analyses de l’eau.
Les militant·e·s locaux et membres de la communauté se sont plaints de l’odeur nauséabonde émanant de l’usine. L’odeur serait insupportable et, en fonction de la direction du vent, atteindrait même le village. Les commerces locaux et notamment les restaurants ont déclaré des pertes, et dénoncent la menace qui pèse sur l’écotourisme à cause de la puanteur. Amnesty International demande l’ouverture d’une enquête sur cette odeur et sur la potentielle violation du droit à la santé et à un environnement sain.
De plus, l’entreprise Nessim devrait mettre en place, dans le cadre de sa diligence requise, des processus permettant de remédier aux incidences négatives sur les droits humains qu’elle cause ou auxquelles elle contribue. L’entreprise affirme qu’elle respecte les lois relatives aux droits humains, mais n’a pas réglé le problème de l’odeur nauséabonde. Amnesty International exhorte les autorités à être transparentes et à publier les résultats de l’enquête sur les potentielles violations commises par l’usine, et appelle la NEA à faire respecter les lois et réglementations environnementales durant ses inspections.
Les voix de Sanyang : #SaveGambianSeas #ProtectGambianCommunities
Des membres des communautés affectées par la surexploitation des mers du fait des activités de l’usine de farine de poisson Nessim et des chalutiers industriels étrangers partagent leur histoire avec nous. Ces récits de première main vous permettront d’en savoir plus sur les raisons qui nous poussent à soutenir Sanyang pour sauvegarder les eaux gambiennes et protéger les droits des communautés gambiennes.