Je n’ai pas d’autre activité, j’ai passé toute ma vie dans le secteur du tourisme… J’ai ouvert cet endroit parce que je voulais transmettre mes compétences à ma communauté, aux jeunes, et ça fonctionne.
Barry*
Barry retient ses larmes quand il explique à Amnesty International ce qui est arrivé à son rêve pour l’avenir, non seulement le sien mais aussi celui des générations futures. Le tourisme est une source de revenus majeure pour la Gambie, mais pour que ce secteur puisse faire découvrir les beautés naturelles de la côte gambienne, les plages et les paysages fabuleux doivent être protégés. Et aujourd’hui, tout cela est menacé.
En 2006, Sanyang a commencé à développer son potentiel touristique. Des membres de la communauté locale ont investi dans des hôtels et des restaurants pour accueillir les touristes désirant profiter des plages spectaculaires, de la nature intacte et de la cuisine locale à base de poisson frais. Beaucoup, comme Barry, ont vu cette activité comme une occasion d’investir dans leur communauté, en formant les jeunes pour leur offrir la possibilité de gagner leur vie et les décourager d’entreprendre de dangereux voyages vers l’Europe dans l’espoir d’une vie meilleure. Un secteur du tourisme prospère promettait d’aider à mettre un terme aux migrations irrégulières qui privent les communautés de leurs jeunes et donc de leur futur. Barry a investi dans ce rêve.
Dans les années 1990, Barry a décidé de quitter son emploi dans un hôtel cinq étoiles à Banjul et de revenir à Sanyang pour monter sa propre entreprise. Depuis, il a formé de nombreux jeunes de la communauté, il a investi en eux et leur a offert des opportunités et des emplois. En 2018, son rêve a volé en éclat.
Je ne regrette pas d’être venu ici, mais si j’avais pu prévoir l’arrivée de l’usine, je ne serais pas là… Maintenant, le tourisme a moins de chances de survivre et il y a moins d’opportunités pour les jeunes au sein de la communauté. »
Barry*
Nessim Fishing and Fish Processing Co., Ltd (Nessim) a installé son usine à 100 mètres de son restaurant. Selon les membres de la communauté, ils n’ont pas été consultés ni suffisamment informés de l’impact que cela pourrait avoir sur eux, et les emplois promis aux locaux au sein de l’entreprise se sont révélés illusoires. Les conséquences pour Barry ont été dévastatrices. L’idylle touristique a viré au cauchemar financier et écologique : odeurs nauséabondes, fumée, poissons morts sur le rivage.
Trois usines de ce type exercent leurs activités en Gambie. Elles transforment des espèces pélagiques en huile de poisson ou en une poudre appelée farine de poisson, destinée à nourrir des animaux d’élevage ou d’autres poissons, comme le saumon, dans le cadre de l’aquaculture, généralement en Europe, en Asie et en Amérique. Il faut environ 4,5 kg de poisson pour fabriquer 1 kg de farine de poisson. L’huile de poisson est également utilisée comme complément alimentaire, sous forme de gélules. Nessim, une entreprise mauritanienne, est la plus récente de ces trois usines ayant ouvert en Gambie.
De bien des façons, l’impact sur Sanyang et sa population a été profond, et la quantité de poisson nécessaire pour alimenter ces usines, qui atteint des niveaux non viables, a sur la région et la communauté des conséquences dévastatrices qui risquent de devenir irréversibles. Barry n’est pas le seul à se sentir impuissant et frustré. Tous les propriétaires d’hôtelset de restaurants avec qui Amnesty International a échangé ont raconté des histoires similaires, notamment leur prise de conscience collective que les autorités gambiennes n’en font pas assez pour les protéger et remédier à cette situation.
La surpêche de l’usine et des chalutiers étrangers causent une pénurie de poisson et donc une hausse des prix, ce qui met en danger la viabilité économique de l’entreprise de Barry et des autres acteurs du secteur du tourisme. Mais les conséquences sont bien plus importantes que ça. L’usine démolit petit à petit le rêve de Barry d’une communauté vivante et animée.
Il est vital que le gouvernement mette en place des actions rapides et efficaces pour remédier aux problèmes de Barry et des autres acteurs du secteur du tourisme pour éviter des dégâts irréversibles sur l’environnement, la population, et leur avenir. Ces actions n’ont pas encore été entreprises.
* Prénom modifié pour protéger la sécurité et la vie privée de la personne.
En écoutant les voix de Sanyang et la souffrance des membres de la communauté, il est difficile de comprendre pourquoi les autorités gambiennes ne protègent pas les droits humains des personnes affectées par l’usine de farine de poisson et par les chalutiers étrangers. Il est clair que les voix qui mettent en avant les bienfaits économiques sont plus puissantes, mais les profits n’atteignent jamais les personnes qui payent le prix de l’exploitation de masse des eaux côtières de la Gambie.
Peu importe qui crie le plus fort, les autorités gambiennes ont des responsabilités à respecter, notamment garantir les droits de leur population à l’alimentation, au travail, à la santé et à un environnement sûr.
Le gouvernement gambien doit protéger ces droits et adopter une législation imposant aux entreprises de faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains dans leurs opérations et leurs chaînes d’approvisionnement. Il doit en outre veiller à ce que les eaux gambiennes fassent l’objet d’une surveillance efficace. Il a également l’obligation de faire preuve de transparence et de permettre au public d’accéder facilement aux informations concernant les usines de farine de poisson et les chalutiers étrangers, et de mener des enquêtes sur les conséquences néfastes possibles de leurs opérations.
L’usine de farine de poisson Nessim doit faire preuve de transparence en ce qui concerne ses activités, consulter régulièrement les habitants et habitantes et suivre les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, notamment en mettant en œuvre de façon continue et proactive une procédure de diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’identifier l’incidence de l’usine sur les droits humains, de les prévenir et d’en atténuer les effets. Étant donné l’importance des conséquences que ses activités peuvent avoir sur l’économie et l’environnement, elle doit progressivement abandonner l’utilisation des espèces surexploitées listées par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, notamment la sardinelle et le bonga.
Les entreprises de la chaîne d’approvisionnement des usines de farine de poisson ont également un rôle à jouer. Elles doivent faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains et révéler publiquement leurs politiques et leurs pratiques dans ce domaine conformément aux normes internationales, mais aussi collaborer avec d’autres acteurs pertinents pour atténuer les préjudices ou fournir des réparations.
D’autres responsables de cette situation sont à chercher plus loin. Les membres de la communauté internationale, et notamment les pays ayant conclu des accords de pêche avec la Gambie, doivent réglementer l’aquaculture afin de limiter l’utilisation de la farine et de l’huile de poisson fabriquées à partir d’espèces déjà surexploitées, et accroître la transparence quant à leurs chaînes d’approvisionnement. Ils ne peuvent pas continuer à fermer les yeux et à se boucher les oreilles sous prétexte que l’usine de Sanyang et ses odeurs sont loin d’eux. Ce qui est loin des yeux ne doit pas être ignoré pour autant.
Rejoignez les membres et les sympathisant·e·s d’Amnesty International dans leur campagne pour protéger les eaux côtières, les ressources marines et les communautés gambiennes. Agissez maintenant en envoyant un courriel au président de la Gambie, Adama Barrow, pour lui demander instamment de veiller à la mise en œuvre des recommandations d’Amnesty International.
Les voix de Sanyang : #SaveGambianSeas #ProtectGambianCommunities
Des membres des communautés affectées par la surexploitation des mers du fait des activités de l’usine de farine de poisson Nessim et des chalutiers industriels étrangers partagent leur histoire avec nous. Ces récits de première main vous permettront d’en savoir plus sur les raisons qui nous poussent à soutenir Sanyang pour sauvegarder les eaux gambiennes et protéger les droits des communautés gambiennes.