Il y a davantage de mouches depuis l’installation de l’usine. Quand elle est en marche, elle rejette une mauvaise odeur et les mouches se multiplient. En conséquence, nous avons eu moins de tomates et de tomates amères. Nous pensons que l’odeur de l’usine qui transforme le poisson attire les mouches, qui se posent sur les tomates et y déposent quelque chose, sans doute des œufs.
Habibatou
Habibatou, une femme qui doit avoir une cinquantaine d’années, portant une longue robe fuchsia, a parlé avec Amnesty International tout en continuant à travailler : elle tirait de l’eau au puits, se dépêchant d’aller arroser ses plantes. Elle n’avait pas le temps de s’arrêter pour parler : elle a plus de bouches à nourrir depuis que sa fille et ses petits-enfants sont revenus vivre chez elle après le décès de son gendre.
Comme beaucoup de femmes à Sanyang, village de la côte ouest de la Gambie, Habibatou travaille à cultiver la terre près de la plage. La plupart des femmes travaillent ici depuis plus de 20 ans. Elles font pousser des choux, des tomates, du riz et des concombres pour payer les études de leurs enfants.
Elle a décrit comment, un jour de 2017, les femmes qui arrivaient dans les potagers ont assisté à la destruction des rizières de la communauté par des bulldozers. Quelques semaines plus tard, la construction d’une usine de farine de poisson a démarré. Aucune des femmes interrogées par Amnesty International n’avait été consultée, ni même informée de l’arrivée de l’usine. La plupart des négociations, notamment celles à propos des compensations, ont été menées sans elles.
Personne ne nous a dit que l’usine serait construite ici. Cette usine n’est pas bonne pour nous. L’odeur affecte notre santé, et bientôt nous ne pourrons plus travailler. Ils ont vendu le terrain sans nous prévenir.
Habibatou
Cette usine fait partie des trois usines de farine et d’huile de poisson qui opèrent en Gambie. Elles transforment le poisson pélagique en huile de poisson ou en une poudre appelée farine de poisson, destinée à nourrir des animaux d’élevage ou d’autres poissons, comme le saumon, dans le cadre de l’aquaculture, généralement en Europe, en Asie et en Amérique. Il faut environ 4,5 kg de poisson pour fabriquer 1 kg de farine de poisson. L’huile de poisson est également utilisée comme complément alimentaire, sous forme de gélules. La terre qui était cultivée par Habibatou et les autres est à présent occupée par une usine de l’entreprise mauritanienne Nessim Fishing and Fish Processing Co. Ltd., la plus récente des usines de ce type en Gambie.
Les femmes cultivent à présent ce qui reste des potagers, autour de l’usine. Habibatou nous a décrit les graves conséquences sur les potagers autour de l’usine, en plus du terrain perdu. Elle a déploré le fait que les plantes semblent donner moins de fruits depuis l’arrivée de l’usine. La récolte étant moins importante, ses revenus ont progressivement baissé.
Elle est convaincue que la fumée et l’odeur émises par l’usine ont affecté la qualité de ses plantes et son bien-être. Elle doit utiliser plus de pesticides pour tenter de contrôler le nombre croissant de mouches, causé selon elle et les autres femmes par l’odeur provenant de l’usine. Les mouches pondent des œufs sur les tomates, qui sont infestées par des nuisibles. S’ajoutant à la perte des récoltes, le coût des pesticides a encore réduit les marges de bénéfices.
Sans action efficace du gouvernement pour lutter contre les dégradations de l’environnement qui ravagent la zone, l’avenir d’Habibatou paraît sombre, et celui de ses enfants et petits-enfants bien plus dramatique encore.
* Prénom modifié pour protéger la sécurité et la vie privée de la personne
En écoutant les voix de Sanyang et la souffrance des membres de la communauté, il est difficile de comprendre pourquoi les autorités gambiennes ne protègent pas les droits humains des personnes affectées par l’usine de farine de poisson et les chalutiers étrangers. Il est clair que les voix qui mettent en avant les bienfaits économiques sont plus puissantes, mais les profits n’atteignent jamais les personnes qui payent le prix de l’exploitation de masse des eaux côtières de la Gambie.
Peu importe qui crie le plus fort, les autorités gambiennes ont des responsabilités à respecter, notamment garantir les droits de leur population à l’alimentation, au travail, à la santé et à un environnement sûr.
Le gouvernement gambien doit protéger ces droits et adopter une législation imposant aux entreprises de faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains dans leurs opérations et leurs chaînes d’approvisionnement. Il doit en outre veiller à ce que les eaux gambiennes fassent l’objet d’une surveillance efficace. Il a également l’obligation de faire preuve de transparence et de permettre au public d’accéder facilement aux informations concernant les usines de farine de poisson et les chalutiers étrangers, et de mener des enquêtes sur les conséquences néfastes possibles de leurs opérations.
L’usine de farine de poisson Nessim doit faire preuve de transparence en ce qui concerne ses activités, consulter régulièrement les habitants et habitantes et suivre les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, notamment en mettant en œuvre de façon continue et proactive une procédure de diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’identifier l’incidence de l’usine sur les droits humains, de les prévenir et d’en atténuer les effets. Étant donné l’importance des conséquences que ses activités peuvent avoir sur l’économie et l’environnement, elle doit progressivement abandonner l’utilisation des espèces surexploitées listées par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, notamment la sardinelle et le bonga.
Les entreprises de la chaîne d’approvisionnement des usines de farine de poisson ont également un rôle à jouer. Elles doivent faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains et révéler publiquement leurs politiques et leurs pratiques dans ce domaine conformément aux normes internationales, mais aussi collaborer avec d’autres acteurs pertinents pour atténuer les préjudices ou de fournir des réparations.
D’autres responsables de cette situation sont à chercher plus loin. Les membres de la communauté internationale, et notamment les pays ayant conclu des accords de pêche avec la Gambie, doivent réglementer l’aquaculture afin de limiter l’utilisation de la farine et de l’huile de poisson fabriquées à partir d’espèces déjà surexploitées, et accroître la transparence quant à leurs chaînes d’approvisionnement. Ils ne peuvent pas continuer à fermer les yeux et à se boucher les oreilles sous prétexte que l’usine de Sanyang et ses odeurs sont loin d’eux. Ce qui est loin des yeux ne doit pas être ignoré pour autant.
Rejoignez les membres et les sympathisant·e·s d’Amnesty International dans leur campagne pour protéger les eaux côtières, les ressources marines et les communautés gambiennes. Agissez maintenant en envoyant un courriel au président de la Gambie, Adama Barrow, pour lui demander instamment de veiller à la mise en œuvre des recommandations d’Amnesty International.
Les voix de Sanyang : #SaveGambianSeas #ProtectGambianCommunities
Des membres des communautés affectées par la surexploitation des mers du fait des activités de l’usine de farine de poisson Nessim et des chalutiers industriels étrangers partagent leur histoire avec nous. Ces récits de première main vous permettront d’en savoir plus sur les raisons qui nous poussent à soutenir Sanyang pour sauvegarder les eaux gambiennes et protéger les droits des communautés gambiennes.