Depuis de nombreuses années, la localité de Sanyang (division de West Coast, Gambie) est considérée comme une destination idyllique. Les sites Internet de tourisme vantent son sable fin, ses lagons isolés et déserts, ses appétissantes spécialités et son magnifique ciel d’Afrique. Sanyang peut réellement se targuer de tous ces atouts, ou du moins le pouvait jusqu’à l’arrivée de gros navires de pêche commerciale au large et l’implantation d’une usine de farine et d’huile de poisson sur la plage.
Pour la population locale, qui nie fermement avoir été consultée au sujet de l’impact de ces changements, l’endroit n’a plus rien d’un paradis. Les habitant·e·s de Sanyang se sont faits à l’odeur de poisson pourri et à la fumée que dégage l’usine. Mohammed, militant écologiste, explique à Amnesty International qu’il est impossible d’échapper à l’odeur et à la fumée, qui pénètrent profondément dans la peau et les maisons. Ce nuage obscurcit aussi l’avenir.
Mohammed décrit sa frustration en ces termes : « Rien que l’odeur nous met en colère. Le fait de penser que nous nous sommes battu·e·s contre ça pendant plus de cinq ans et que ça n’a rien donné. Nous sommes très, très en colère. »
Les usines transforment le poisson pélagique en huile ou en une poudre appelée « farine », destinée à nourrir des animaux d’élevage ou d’autres poissons, comme le saumon, dans le cadre de l’aquaculture, généralement en Europe, en Asie et en Amérique. Il faut environ 4,5 kilogrammes de poisson pour fabriquer 1 kilogramme de farine. L’huile de poisson est également utilisée comme complément alimentaire, sous forme de gélules. L’usine de Sanyang, qui appartient à l’entreprise mauritanienne Nessim Fishing and Fish Processing Co. Ltd., est la plus récente des trois usines de ce type en Gambie.
Depuis quelques années, les gros chalutiers étrangers et les usines de farine et d’huile épuisent les stocks de poisson sur les côtes gambiennes à un rythme frénétique. La Gambie exporte près de 20 000 tonnes de poisson par an dans le cadre des activités des usines de farine, des navires industriels étrangers et des entreprises de transformation du poisson. En outre, la Gambie et les pays côtiers voisins, à savoir la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Leone, perdent chaque année l’équivalent de 2,3 milliards de dollars des États-Unis du fait de la pêche illégale.
Les gros chalutiers et l’usine de farine de poisson ont une empreinte environnementale dévastatrice. Cependant, l’impact de cette activité ne se limite pas à la surpêche, à la destruction des écosystèmes et à la pollution marine. L’exploitation des stocks de poisson par des bateaux de plus grande taille nuit aux moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux.
La population de Sanyang est parfaitement consciente que la situation est préjudiciable, tant à l’environnement qu’à elle-même, et n’est pas durable. Au bout d’un certain temps, les usines et les chalutiers s’en iront, emportant avec eux leurs bénéfices et laissant à la population locale un environnement et une économie ravagés, ainsi qu’une absence de perspectives, avec son lot de misère humaine et de conflits.
Mohammed souligne : « C’est en train de détruire l’écotourisme et l’emploi et de pousser les jeunes à chercher des moyens détournés [référence à la migration irrégulière]. Aujourd’hui, les pêcheurs locaux ne construisent plus de bateaux pour pêcher, mais pour vendre des billets aux jeunes qui veulent migrer. Tout récemment, 150 de nos jeunes sont partis pour l’Espagne. C’est devenu une activité commerciale parce que la pêche ne rapporte plus. »
Selon Mohammed, des habitant·e·s se sont mobilisés et ont frappé à toutes les portes pour signaler leur situation aux autorités par la voie officielle, en vain. Le fait que celles-ci ne prennent aucune mesure pour protéger les communautés locales et leurs droits à un environnement décent et à des moyens de subsistance suscite une profonde frustration, qui se mue progressivement en une colère pure et simple.
Mohammed craint que, à moins que les pouvoirs publics n’agissent en faveur des droits humains et environnementaux, l’avenir s’annonce sombre pour la population locale : « Dans cinq ans, si le régime n’a pas changé, je crois que ces entreprises seront toujours là. Les Gambien·ne·s seront encore plus en colère et plus affaiblis, ce qui provoquera davantage d’instabilité sociale et politique. »
En mars 2021, lorsqu’un jeune Gambien a été tué par un homme travaillant sur l’un des bateaux affrétés par l’usine de farine de poisson, les jeunes du village ont participé à une manifestation qui a donné lieu à des violences. Au total, 5 616 filets de pêche, 10 bateaux de pêche et 15 moteurs de bateau appartenant à des pêcheurs sénégalais ont été incendiés. L’usine a aussi été partiellement réduite en cendres. À la suite de ces événements, 50 jeunes du village ont été arrêtés, certains arbitrairement, et 22 d’entre eux ont été inculpés initialement d’infractions pénales par le tribunal de première instance de Brikama. Les poursuites ont été abandonnées par ce tribunal, mais 13 hommes ont ensuite été réinculpés et l’affaire est toujours en instance devant la Haute Cour.
Les dégradations de l’environnement à Sanyang ont occasionné des souffrances à la population locale. Or, les personnes privées de respect, de droits et d’un avenir pérenne expriment leur frustration de nombreuses manières, notamment par la violence et le conflit, lorsqu’aucun autre moyen ne leur est offert. Il est crucial que les autorités gambiennes soient à l’écoute de la situation et prennent des mesures pour que les habitant·e·s de Sanyang puissent de nouveau jouir de leurs droits, du respect qui leur est dû et d’un avenir.
*Prénom modifié pour protéger la sécurité et la vie privée de la personne.
Les voix de Sanyang : #SaveGambianSeas #ProtectGambianCommunities
Des membres des communautés touchées par la surexploitation des mers du fait des activités de l’usine de farine de poisson Nessim et des chalutiers industriels étrangers partagent leur histoire avec nous. Ces récits de première main vous permettront d’en savoir plus sur les raisons qui nous poussent à soutenir Sanyang pour sauvegarder les eaux gambiennes et protéger les droits des populations de ce pays.