Le monde a-t-il essayé de «reconstruire en mieux» à la suite de la pandémie de COVID-19 ?
Sur le plan des droits humains, 2021 aura principalement été une vaste histoire de trahison dans les allées du pouvoir.
Le rapport d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde en 2021, publié en mars 2022, montre que les promesses de « reconstruire en mieux » après la pandémie de COVID-19 se sont révélées creuses. Les espoirs d’une coopération mondiale ont périclité face à la rétention des vaccins et à l’avidité des grandes entreprises.
Les États ont continué de réprimer les voix indépendantes et critiques, certains se servant même de la pandémie comme prétexte pour réduire encore l’espace civique. De nouveaux conflits ont éclaté, d’autres se sont poursuivis. Les personnes contraintes de fuir ont été soumises à d’innombrables atteintes à leurs droits fondamentaux, notamment à des renvois forcés illégaux (pushbacks) de la part de pays du Nord mondial.
Mais l’espoir d’un monde meilleur pour l’après-pandémie a été entretenu par des personnes, des mouvements sociaux et des organisations de la société civile qui ont su faire preuve de courage.
2021 aurait dû être une année de guérison et de redressement. Au lieu de cela, elle est devenue un incubateur d’inégalité et d’instabilité croissantes.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Le Rapport 2021/22 d’Amnesty International met en lumière ces dynamiques aux niveaux mondial, régional et national, et rend compte de la situation des droits humains en 2021 dans
pays.
Carte de la situation des droits humains
La carte interactive ci-dessous met en lumière les principaux thèmes abordés dans la préface et l’analyse mondiale du rapport annuel d’Amnesty International : la santé et les inégalités, l’espace civique, les conflits, et les personnes réfugiées ou migrantes. Elle propose pour cela des extraits des résumés concernant quatre pays de chacune des cinq régions traitées dans le rapport.
Consultez les pages pays pour en lire davantage sur la situation en matière de droits humains en 2021 dans chaque pays analysé. Vous pouvez également télécharger le rapport complet au format PDF, disponible dans plusieurs langues. Enfin, vous pouvez lire notre communiqué de presse.
Téléchargez le Rapport 2021/22 d’Amnesty International
Statistiques mondiales
Le travail d’observation que nous avons mené en 2021 dans 154 pays révèle un niveau de répression particulièrement inquiétant dans le monde en ce qui concerne les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Notre analyse montre que cela s’est produit notamment dans les pays où :
- une nouvelle législation restreignant la liberté d’expression, d’association ou de réunion pacifique a été adoptée ;
- des allégations crédibles ont fait état de cas de recours excessif ou inutile à la force par les forces de sécurité contre des manifestant·e·s ;
- des défenseur·e·s des droits humains ont été arrêtés arbitrairement.
Ces informations sont présentées sous forme de pourcentages dans les infographies ci-dessous :
Analyse mondiale
Notre analyse mondiale de 2021 est axée sur trois thèmes : la santé et les inégalités, l’espace civique, et les personnes réfugiées ou migrantes.
Santé et inégalités
Les vaccins ont fait naître l’espoir de voir enfin se terminer une pandémie qui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avait fait au moins 5,5 millions de morts à la fin de l’année 2021, certaines estimations donnant même des chiffres deux à trois fois supérieurs.
De nombreux États ont promis de contribuer à la couverture vaccinale mondiale, et le G7 et le G20 ont pris des engagements importants. Néanmoins, en dépit des efforts déployés, en particulier par certains pays du Sud, la coopération internationale n’a pas été à la hauteur des attentes.
Les pays à revenu élevé ont accumulé des millions de doses – bien plus que ce qu’ils pouvaient utiliser. Certains se sont ainsi retrouvés avec de quoi vacciner trois à cinq fois leur population.
Ainsi, à la fin de l’année, moins de 8 % des 1,2 milliard d’habitant·e·s que comptait l’Afrique présentaient un schéma vaccinal complet, ce qui faisait de ce continent le moins vacciné au monde, bien loin de l’objectif de 40 % fixé par l’OMS pour la fin de l’année 2021. Ces inégalités mondiales dans l’accès aux vaccins n’ont fait qu’enraciner davantage l’injustice raciale.
Espace civique
Au lieu de proposer un espace d’échange et de débat sur la meilleure façon de relever les défis de 2021, les États ont continué de réprimer les voix indépendantes et critiques, certains se servant même de la pandémie comme prétexte pour réduire encore l’espace civique.
Pendant l’année, de nombreux gouvernements ont redoublé d’efforts pour imposer et/ou appliquer des mesures répressives contre leurs détracteurs et détractrices, souvent sous le prétexte officiel d’enrayer la mésinformation au sujet du COVID-19.
En Chine, en Iran et ailleurs, les autorités ont arrêté et poursuivi des personnes qui critiquaient ou remettaient en question leur gestion de la crise sanitaire. Aux quatre coins du monde, des États ont empêché et dispersé abusivement des manifestations, parfois sous couvert de la réglementation visant à prévenir la propagation du coronavirus.
Plusieurs États, notamment en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, ont bloqué ou fortement restreint l’accès à Internet et aux réseaux sociaux.
Les personnes réfugiées ou migrantes rejetées par les pays du Nord
Des déplacements de grande ampleur ont eu lieu en 2021, sous l’effet de crises nouvelles ou persistantes. La situation en Afghanistan, en Éthiopie et au Myanmar, entre autres, a entraîné de nouvelles vagues de déplacements.
Cette année encore, des milliers de personnes ont quitté le Venezuela, et le conflit persistant en République démocratique du Congo a conduit, à lui seul, 1,5 million de personnes à abandonner leur domicile en 2021. Au niveau mondial, des millions de personnes ont continué de fuir leur pays en raison de violations des droits humains liées aux conflits et à la violence, aux inégalités, au changement climatique et aux dégradations de l’environnement, les minorités ethniques étant parmi les groupes les plus touchés.
Selon le HCR, à la mi-2021, on comptait à travers le monde 26,6 millions de personnes réfugiées et 4,4 millions de personnes demandeuses d’asile. La communauté internationale n’a pas apporté un soutien suffisant et, pire encore, a restreint l’accès aux lieux sûrs. Trop souvent, les personnes en mouvement étaient également victimes de tout un éventail de violences, et l’impunité était la norme pour les auteurs des violations généralisées subies par ces personnes, comme les renvois forcés illégaux (pushbacks), la torture et les violences sexuelles.
Chronologie
La chronologie ci-dessous présente des événements de 2021 qui font écho aux principaux thèmes abordés dans la préface et l’analyse mondiale du rapport annuel d’Amnesty International : la santé et les inégalités, l’espace civique, les conflits, et les personnes réfugiées ou migrantes.
Études de cas
Le rapport annuel d’Amnesty International rend compte d’atteintes systématiques des droits humains dans de nombreux pays et régions, telles que la répression meurtrière de manifestations. Toutefois, derrière chaque atteinte aux droits fondamentaux se joue un drame humain. Un exemple parmi tant d’autres est celui de Kevin Agudelo, qui a été abattu lors d’une veillée dédiée aux victimes de violences policières en Colombie.
Analyses régionales du rapport annuel
Les cinq résumés régionaux du rapport annuel s’attardent non seulement sur les principaux thèmes abordés dans la préface et l’analyse mondiale (santé et inégalités, espace civique, conflits, et réfugié·e·s et migrant·e·s), mais aussi sur d’autres problématiques spécifiques à chaque région. En voici quelques exemples.
Impunité
Dans presque tous les pays, les responsables de crimes de droit international et d’autres graves atteintes aux droits humains jouissaient de l’impunité.
Droit à l’éducation
Les fermetures d’écoles et les autres perturbations de l’apprentissage imputables à la pandémie ont continué à susciter de vives inquiétudes. Au Tchad, le taux de scolarisation des filles dans l’enseignement secondaire est passé de 31 % en 2017 à 12 % en 2021, en raison des fermetures d’établissements et du taux élevé de mariages précoces ou forcés. En Afrique du Sud, environ 750 000 enfants avaient abandonné l’école en mai, soit au bas mot trois fois plus que les 230 000 d’avant la pandémie. En Ouganda, où les écoles ont commencé à rouvrir progressivement en février, avant de fermer à nouveau en juin, l’Autorité nationale de la planification a estimé que plus de 30 % des élèves ne retourneraient pas à l’école. Dans les pays en proie à un conflit, les enfants éprouvaient des difficultés particulières et profondes en matière d’accès à l’éducation.
Droits en matière de logement
En dépit de la pandémie de COVID-19, des expulsions forcées ont eu lieu dans plusieurs pays et fait des dizaines de milliers de sans-abri. Sur une note plus positive, des tribunaux au Kenya et en Ouganda ont fait respecter le droit au logement et condamné des expulsions forcées. La Cour suprême du Kenya a jugé que l’expulsion, en 2013, des habitant·e·s de City Carton, un bidonville de Nairobi, la capitale du pays, constituait une violation du droit au logement de ces personnes. En Ouganda, la Cour constitutionnelle a jugé que l’Autorité de la flore et de la faune sauvage (UWA) avait expulsé illégalement les Pygmées batwas, un peuple autochtone, de leurs terres ancestrales situées dans la forêt de Mgahinga, dans le sud-ouest du pays.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Cette année encore, des personnes LGBTI ont été harcelées, arrêtées et poursuivies en justice en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelles ou présumées dans de nombreux pays d’Afrique. Au Bénin, trois femmes transgenres ont été forcées à se dévêtir avant d’être rouées de coups et dévalisées par un groupe d’hommes à Cotonou ; cette agression a été filmée et la vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. De nombreuses agressions visant des personnes LGBTI ont aussi été filmées au Sénégal. Une nouvelle loi adoptée au Nigeria contenait une disposition prévoyant la réclusion à perpétuité pour les personnes transgenres.
Droits sexuels et reproductifs
De nombreux gouvernements n’ont pas fait suffisamment pour promouvoir la santé sexuelle et reproductive. Certains services essentiels étaient inexistants et dans la plupart des pays la pratique d’un avortement sûr restait passible de sanctions pénales. Haïti, le Honduras, la Jamaïque, le Nicaragua, la République dominicaine et le Salvador maintenaient une interdiction totale de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
Si l’Argentine a franchi un pas historique à la fin de 2020 en dépénalisant l’avortement (désormais légal dans les 14 premiers mois de la grossesse), d’autres pays n’ont pas suivi ce mouvement. Au Chili, une proposition de loi visant à dépénaliser l’IVG dans les 14 premières semaines de grossesse a été rejetée.
Droits des peuples autochtones
Les peuples autochtones des Amériques n’avaient toujours pas accès de manière satisfaisante à leurs droits à l’eau, à l’assainissement, à la santé et à la protection sociale, et pâtissaient de l’absence de mécanismes adaptés à leur culture pour protéger leurs droits à la santé et leurs moyens d’existence, autant de facteurs qui ont aggravé les conséquences de la pandémie de COVID-19
Violences faites aux femmes et aux filles
Sur l’ensemble de la région, trop peu de mesures étaient prises pour protéger les femmes et les filles. Par ailleurs, les enquêtes concernant les cas de violences fondées sur le genre étaient souvent défaillantes. Les violences contre les femmes restaient ainsi très répandues au Mexique, où 3 427 homicides commis sur la personne de femmes ont été recensés pendant l’année ; 887 faisaient l’objet d’une enquête en tant que féminicides. En Colombie, où l’Observatoire des féminicides a fait état de 432 féminicides au cours des huit premiers mois de l’année, les forces de sécurité se livraient elles aussi régulièrement à des actes de violence sexuelle contre des femmes. Le Paraguay et Porto Rico ont instauré l’état d’urgence pour faire face à la hausse des violences à l’égard des femmes, qui ont également augmenté de manière significative au Pérou et en Uruguay.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Des progrès limités ont été enregistrés dans la région en matière de reconnaissance des droits des personnes LGBTI, mais des lois de portée générale faisaient toujours défaut et les personnes LGBTI continuaient à être la cible de discriminations, de violences et d’homicides dans plusieurs pays. En Argentine, les autorités ont instauré une nouvelle carte d’identité reconnaissant les personnes qui s’identifiaient comme non binaires ; en outre, le Congrès a adopté en juin une loi visant à promouvoir l’emploi des personnes transgenres. Aux États-Unis, le gouvernement de Joe Biden a pris des mesures pour mettre un terme aux politiques discriminatoires du précédent gouvernement à l’égard des personnes LGBTI. Cependant, des centaines de propositions de loi qui restreindraient les droits des personnes LGBTI ont été présentées au niveau des États pendant l’année.
Droits des travailleuses et travailleurs
La pandémie a continué d’exercer une pression énorme sur les professionnel·le·s de santé dans toute la région. Dans de nombreux pays, ils travaillaient dans des conditions intolérables, sans protection ni rémunération suffisantes. En Mongolie, des professionnel·le·s de santé ont été agressés physiquement par les autorités et certain·e·s ont été agressés par des patient·e·s contrariés ou désespérés. En Inde, les auxiliaires de santé locaux étaient insuffisamment payés et ne disposaient pas d’équipements de protection personnelle en quantités suffisantes. En Indonésie, le versement de primes aux professionnel·le·s de santé, en reconnaissance de leur action pendant la pandémie de COVID-19, a été retardé. Les conséquences socioéconomiques de la pandémie et les restrictions liées à celle-ci se sont cette année encore fait durement ressentir, touchant de manière disproportionnée les personnes déjà marginalisées, notamment celles qui ne bénéficiaient pas de la sécurité de l’emploi et de revenus réguliers.
Droits des femmes et des filles
Les droits des femmes et des filles ont subi de graves revers dans la région. En Afghanistan, les 20 années d’avancées vers une meilleure protection et une meilleure promotion des droits des femmes ont été effacées du jour au lendemain. Les violences sexuelles et liées au genre, déjà endémiques dans de nombreux pays de la région, se sont aggravées sur fond de mesures liées au COVID-19 adoptées par les États. Les demandes visant à ce que les responsables de violences à l’égard des femmes rendent des comptes et à ce que les victimes soient mieux protégées n’ont guère amené de résultats. Le gouvernement chinois a mené une campagne de dénigrement contre des femmes vivant en exil qui avaient été détenues dans la région du Xinjiang et qui dénonçaient les violences sexuelles perpétrées dans les prétendus « centres de rééducation ». Au Pakistan, le Parlement a adopté un projet de loi sur la violence domestique, mais l’opposition des partis conservateurs aurait conduit le gouvernement à demander à une instance consultative religieuse d’en examiner le texte.
Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes
Les personnes LGBTI étaient, dans de nombreux pays de la région, toujours persécutées ou soumises à une discrimination dans la législation et dans la pratique. Dans un certain nombre de pays, la loi sanctionnait toujours pénalement les relations sexuelles librement consenties entre personnes du même sexe. Des campagnes hostiles aux personnes LGBTI ont été menées dans plusieurs pays. En Malaisie, plus de 1 700 personnes ont été envoyées dans des camps de réadaptation administrés par l’État, dans le but de modifier leur « style de vie » et leur « orientation sexuelle ». Les autorités chinoises ont continué de mener une campagne visant à « nettoyer » Internet de toute représentation LGBTI. Les hommes d’apparence efféminée ont été interdits d’antenne à la télévision et les comptes des organisations LGBTI sur les réseaux sociaux ont été fermés. En Afghanistan, les talibans ont clairement fait comprendre qu’ils ne respecteraient pas les droits des personnes LGBTI. À Taiwan, quelques progrès ont été enregistrés en matière de reconnaissance du mariage entre partenaires du même sexe, mais les personnes LGBTI faisaient toujours l’objet d’une discrimination.
Torture et autres mauvais traitements
Des progrès limités ont été enregistrés en matière de prévention de la torture et des autres formes de mauvais traitements, qui restaient endémiques dans bon nombre de pays de la région. Des initiatives ont été prises aussi bien au Pakistan qu’en Thaïlande pour criminaliser la torture. La proposition de loi examinée dans ce dernier pays n’était cependant pas totalement conforme aux normes internationales en la matière. Au Sri Lanka, la nouvelle réglementation mise en place au titre de la Loi relative à la prévention du terrorisme risquait d’avoir pour effet d’accroître le risque de torture pour les personnes détenues. La torture et d’autres formes de mauvais traitements ont continué d’être signalés dans ces pays, comme ailleurs dans la région.
Érosion de l’indépendance de la justice
Les mesures abusives prises par les États se sont tout particulièrement traduites par une érosion de l’indépendance de la justice. La Pologne a continué d’ignorer les injonctions des organisations européennes qui tentaient d’enrayer la perte d’indépendance de la justice polonaise, confrontant l’EU à la plus grave crise de son histoire en matière d’état de droit. La situation était plus grave encore au Bélarus, où les autorités se servaient de la justice comme d’une arme pour punir les victimes de la torture et les personnes témoins de violations des droits humains. En Géorgie, l’arrestation de dirigeant·e·s d’opposition, dont l’ancien président Mikheil Saakachvili, puis leur détention dans des conditions dégradantes, suscitaient une vive inquiétude quant à l’indépendance de la justice. Plusieurs organisations multilatérales ont relevé que la nouvelle Constitution du Kirghizistan risquait de porter atteinte à l’indépendance du système judiciaire dans ce pays.
Discrimination
Le racisme et la discrimination contre les personnes noires, musulmanes, roms ou juives sont devenus de plus en plus manifestes dans de nombreux contextes. Au Royaume-Uni, un rapport du gouvernement a rejeté toute accusation de racisme institutionnel dans le pays, tandis qu’un nouveau projet de loi sur la police faisait craindre un renforcement de la discrimination contre les noir·e·s, les Tsiganes, les Roms et les gens du voyage (Travellers). Les autorités danoises ont fait disparaître de la législation toute référence à des « ghettos », mais elles ont maintenu les restrictions existantes en matière d’accès aux logements sociaux pour les personnes ayant « des origines non occidentales ». Sous couvert de lutte contre la radicalisation et le terrorisme, l’Autriche et la France ont renforcé la surveillance des musulman·e·s, mené des opérations contre des mosquées ou dissous des organisations de lutte contre l’islamophobie. En Allemagne, 1 850 actes antisémites et autres crimes de haine contre des personnes de confession juive ont été officiellement signalés entre le 1er janvier et le 5 novembre 2021. Ce chiffre est le plus élevé depuis 2018. Une forte hausse des événements de ce type a aussi été enregistrée en Autriche, en France, en Italie et au Royaume-Uni.
Droits sexuels et reproductifs
L’accès à des services d’interruption de grossesse sûrs et légaux restait une préoccupation centrale en matière de droits humains dans plusieurs pays. Des droits ont été remis en question en Andorre, à Malte, en Pologne et ailleurs. En Pologne, un arrêt de la Cour constitutionnelle disposant que l’avortement pour cause de malformation grave du fœtus était inconstitutionnel est entré en vigueur. Dans l’année qui a suivi cet arrêt, 34 000 femmes ont pris contact avec l’ONG Avortement sans frontières, qui aidait les femmes à se rendre à l’étranger pour y recevoir des soins et des conseils en matière d’interruption volontaire de grossesse. En Andorre, une défenseure des droits humains qui s’était inquiétée devant l’ONU de l’interdiction totale de l’avortement dans le pays était toujours sous le coup d’une inculpation pour diffamation. Saint-Marin a en revanche légalisé par voie de référendum l’interruption volontaire de grossesse.
Violences faites aux femmes et aux filles
Le bilan général restait mitigé en matière de violences faites aux femmes. La Turquie s’est retirée de la Convention d’Istanbul, traité historique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, mais le Liechtenstein et la Moldavie l’ont ratifiée. Par ailleurs, la Slovénie a modifié sa loi sur le viol afin qu’elle soit fondée sur la notion de consentement. En Espagne, aux Pays-Bas et en Suisse, des réformes de la législation sur le viol étaient également en cours. La violence contre les femmes restait néanmoins un phénomène très courant. Une étude réalisée par l’ONG russe Consortium a révélé que 66 % des femmes tuées entre 2011 et 2019 avaient été victimes de violence domestique. Le ministère de l’Intérieur d’Ouzbékistan a rejeté une demande de l’ONG NeMolchi, qui souhaitait obtenir des informations sur les poursuites engagées pour des violences contre des femmes, estimant cette requête « inutile ». En Azerbaïdjan, des militant·e·s des droits des femmes et des journalistes ont fait l’objet de chantage et de campagnes de dénigrement fondées sur le genre, tandis que des rassemblements de femmes destinés à dénoncer la violence domestique étaient violemment dispersés. En Ukraine, les agressions homophobes se sont poursuivies et, selon certaines informations, les services d’aide manquaient pour les victimes de violences domestiques qui vivaient dans les zones du Donbass échappant au contrôle des autorités centrales.
Torture et autres mauvais traitements
Dans 18 pays au moins, des actes de torture et d’autres mauvais traitements ont cette année encore été commis dans des lieux de détention officiels et non officiels, notamment lors d’interrogatoires (pour arracher des « aveux ») et dans le cadre d’un maintien à l’isolement dans des conditions très dures. En Arabie saoudite, en Égypte, en Iran et en Libye, les autorités ont manqué à leur obligation d’enquêter sur les causes et les circonstances de décès en détention survenus dans des conditions suspectes, alors même que des allégations de torture, y compris de refus délibéré de soins, avaient été formulées. Au Liban, 26 réfugié·e·s·syriens, dont quatre enfants, détenus sur la base d’accusations liées au terrorisme ont été soumis à la torture, entre autres aux mains d’agents des services militaires, selon des informations recueillies par Amnesty International. Les autorités n’ont pas mené d’enquête sur ces allégations de torture, même lorsque les personnes concernées ont déclaré au juge qu’elles avaient été torturées. Personnalité bien connue qui ne ménageait pas ses critiques à l’égard des autorités palestiniennes, Nizar Banat est mort en détention aux mains des Forces de sécurité préventive, après avoir été arrêté et torturé par celles-ci à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie. L’autopsie a mis en évidence des fractures, des ecchymoses et des écorchures sur tout le corps.
Droits des travailleuses et travailleurs
Dans toute la région, les autorités ont manqué à leur devoir de protection des travailleuses et travailleurs faiblement rémunérés contre la perte d’emploi ou de salaire, y compris lorsque cette perte résultait des conséquences économiques de la pandémie. Les gouvernements ont en outre réprimé le droit de grève et n’ont rien fait pour protéger des personnes injustement licenciées après avoir participé à une grève. En Égypte, les autorités ont sanctionné cette année encore des travailleuses et travailleurs qui avaient exprimé leurs opinions ou qui étaient simplement perçus comme n’étant pas d’accord avec la majorité. Aux termes d’une loi promulguée cette année, les salarié·e·s du secteur public qui figuraient sur la « liste de terroristes » étaient automatiquement licenciés. Par ailleurs, un tribunal a validé le licenciement sans indemnités d’un salarié d’une entreprise publique qui avait « exprimé publiquement ses opinions politiques ». Plusieurs pays ont en revanche annoncé des réformes visant à améliorer la protection des travailleuses et travailleurs migrants, notamment des États du Golfe, où les personnes migrantes représentaient une très forte proportion de la main-d’œuvre.
Droits des femmes et des filles
Dans l’ensemble de la région, les violences contre les femmes et les filles ne donnaient le plus souvent pas lieu à des sanctions pénales. Des crimes d’« honneur » ont été commis cette année encore en Irak, en Jordanie, au Koweït et en Palestine, sans que les auteurs présumés de ces actes soient poursuivis en justice par les autorités. En Iran, un projet de loi sur la lutte contre les violences faites aux femmes contenait des mesures bienvenues, comme la création de foyers d’accueil, mais ne définissait pas la violence domestique comme une infraction à part entière, n’érigeait pas en infraction le viol conjugal ni le mariage des enfants, et privilégiait la réconciliation plutôt que l’obligation de rendre des comptes dans les affaires de violence domestique. D’autres dispositions législatives adoptées en Iran dans le courant de l’année ont restreint fortement l’accès à la contraception, aux services de stérilisation volontaire et à l’information dans ce domaine, ce qui portait atteinte aux droits reproductifs des femmes. En Libye, les autorités ont failli à leur devoir d’assurer la protection des femmes et des filles contre les violences sexuelles ou fondées sur le genre, ainsi que contre les homicides, les actes de torture et la privation illégale de liberté dont les milices, les groupes armés et d’autres acteurs non étatiques se rendaient responsables, et de faire en sorte que les victimes obtiennent réparation.
Minorités ethniques et religieuses
Dans toute la région, les membres de minorités religieuses étaient en butte à une discrimination profondément enracinée, en droit et en pratique, notamment en ce qui concerne le droit de pratiquer leur culte. Dans certains pays, notamment en Égypte et en Iran, des membres de minorités religieuses et des personnes n’adhérant pas à la foi musulmane alors que leurs parents étaient considérés comme musulmans par les autorités ont été arrêtés, poursuivis et détenus arbitrairement pour avoir professé leur foi ou exprimé des convictions qui n’étaient pas tolérées par les autorités. En Iran, trois hommes convertis au christianisme ont été condamnés à des peines d’emprisonnement en vertu de nouvelles dispositions législatives qui prévoyaient jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour outrage aux « religions divines » et pour « prosélytisme ». Les minorités ethniques en Iran et en Libye étaient en butte à des discriminations qui limitaient leur accès à l’emploi, aux fonctions politiques et aux services essentiels, notamment l’éducation et la santé, et bafouaient leurs droits linguistiques et culturels. En Iran, les minorités ethniques étaient toujours représentées de manière disproportionnée parmi les personnes condamnées à mort pour des infractions définies en des termes vagues, comme l’« inimitié à l’égard de Dieu ».
Afin de tenir leurs promesses, les États et les institutions doivent ancrer fermement leurs mesures de redressement pour l’après-pandémie et leurs interventions destinées à faire face à la crise dans un cadre axé sur les droits humains, et favoriser un véritable dialogue avec la société civile, dont ils doivent faire un partenaire dans la recherche de solutions.
Le rapport annuel d’Amnesty International formule une série de recommandations aux gouvernements et à d’autres organes sur les principales problématiques abordées dans son analyse mondiale (santé et inégalités, espace civique, et réfugié·e·s et migrant·e·s) ainsi que sur d’autres thèmes traités dans ses cinq résumés régionaux.
Le rapport annuel d’Amnesty International a pour objet d’aider à étayer le travail de plaidoyer auprès des gouvernements du monde entier, tout au long de l’année.