Irak. Les autorités doivent contrôler les agissements des forces alors que des allégations font état de tortures et de morts en détention

Les autorités irakiennes doivent contrôler toutes les forces qui participent à la reconquête de Falloujah, a déclaré Amnesty International mercredi 8 juin, alors que des informations signalent que des hommes et des garçons fuyant le groupe armé qui se fait appeler État islamique (EI) ont été torturés ou autrement maltraités par des milices soutenues par le gouvernement, et qu’au moins trois d’entre eux sont morts des suites de tortures.

Amnesty International s’est entretenue avec des victimes qui ont décrit les tortures et les autres mauvais traitements qu’elles ont subis en détention, et qui affirment avoir été témoins d’homicides.

« Les civils qui risquent leur vie pour échapper aux atrocités d’EI doivent être protégés et recevoir l’aide humanitaire dont ils ont absolument besoin. Or, certaines de ces personnes sont apparemment victimes de nouvelles violences et de représailles », a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

Les civils qui risquent leur vie pour échapper aux atrocités d'EI doivent être protégés et recevoir l'aide humanitaire dont ils ont absolument besoin. Or, certaines de ces personnes sont apparemment victimes de nouvelles violences et de représailles

Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International

Des responsables de la province d’Anbar, où se trouve Falloujah, ont dit à Amnesty International que le 5 juin, 605 hommes et garçons ont été remis au conseil provincial et qu’un grand nombre d’entre eux étaient blessés, avec des fractures, des contusions, des marques et des blessures ouvertes résultant de coups. Trois corps ont également été remis aux autorités, et un autre détenu est apparemment mort après son transfert à Amariyat al Falloujah.

Ces personnes venaient de Saqlawiya, à neuf kilomètres au nord-est de Falloujah, et étaient détenues depuis plusieurs jours par des membres de milices majoritairement chiites soutenues par le gouvernement appelées les Unités de mobilisation populaire.

Amnesty International a parlé avec plusieurs d’entre elles, qui ont dit avoir été détenues dans une base militaire de la province d’Anbar baptisée Mazraat Tarek (la ferme de Tarek) pendant quatre jours environ, après avoir fui les combattants d’EI le 2 juin.

Un détenu d’une quarantaine d’années a dit à Amnesty International :

« Nous avons été très mal traités […] on ne nous donnait ni à boire ni à manger […] Certains ont bu leur urine. Quatre ou cinq hommes entraient dans la pièce et frappaient les gens avec des bâtons et des tuyaux en métal. Je ne sais pas ce qui est arrivé à mon frère et à mes deux neveux qui étaient détenus avec moi. Je ne sais pas s’ils sont morts ou toujours détenus à la ferme ou s’ils ont été transférés ailleurs […] Ceux qui ont été libérés sont blessés et souffrent de déshydratation, eux aussi. Certains ont perdu connaissance. »

Quatre ou cinq hommes entraient dans la pièce et frappaient les gens avec des bâtons et des tuyaux en métal. Je ne sais pas ce qui est arrivé à mon frère et à mes deux neveux qui étaient détenus avec moi. Je ne sais pas s'ils sont morts

Ancien détenu

Les détenus ont expliqué qu’ils avaient été entassés dans de petites pièces, les poignets attachés dans le dos, insultés parce qu’ils avaient soi-disant soutenu EI, et frappés à coups de pied et avec divers objets comme des tuyaux de caoutchouc et des barres de métal. Ils ont aussi dit qu’ils avaient été privés d’eau, de nourriture et d’accès à des installations sanitaires.

Certains affirment que plusieurs détenus sont morts des suites des coups qu’ils avaient reçus, notamment des coups à la tête portés avec des objets métalliques acérés.

Ces personnes sont actuellement détenues à Amariyat al Falloujah à des fins de contrôles de sécurité et d’enquête. Plusieurs d’entre elles ont dit que les Unités de mobilisation populaire leur avaient confisqué leurs papiers d’identité.

Le 5 juin, le Premier ministre irakien, Haydar al Abadi, a reconnu lors d’une interview télévisée avec la chaîne Iraqiya TV que des « erreurs » avaient été commises par des combattants durant la bataille de Falloujah, et il s’est engagé à ne pas tolérer les violations des droits humains.

Son porte-parole a par la suite annoncé la création d’une commission des droits humains chargée d’enquêter sur les atteintes à ces droits.

« Cette promesse d’investigations sur les atteintes aux droits humains est une première étape très appréciable, mais des mesures supplémentaires doivent être prises pour empêcher d’autres violences et déférer à la justice les responsables présumés de tels agissements, a déclaré Philip Luther.

« Les opérations de sécurité menées par les forces irakiennes doivent toutes être conformes au droit international relatif aux droits humains, et les personnes privées de liberté doivent toutes être protégées contre une disparition forcée, la torture et d’autres formes de mauvais traitements. Les personnes raisonnablement soupçonnées d’avoir commis des infractions pénales doivent être rapidement déférées aux autorités judiciaires et jugées dans le cadre d’un procès équitable conforme aux normes internationales. Les autres personnes doivent être remises en liberté. »

Amnesty International demande aux autorités irakiennes de mener des enquêtes exhaustives, impartiales et indépendantes sur les allégations de tortures et d’homicides illégaux perpétrés par des membres des Unités de mobilisation populaire, afin que les responsables présumés soient jugés dans le cadre de procès équitables.

Dans l’attente d’enquêtes et de poursuites judiciaires, toutes les personnes raisonnablement soupçonnées d’avoir commis des violences doivent être exclues des rangs. Le lieu où se trouvent les personnes qui ont été soumises à une disparition et le sort qui leur a été réservé doivent être immédiatement révélés.

Complément d’information

Depuis le début de l’offensive militaire lancée le 23 mai par les forces irakiennes pour reprendre à EI la ville de Falloujah, près de 10 000 personnes ont réussi à s’enfuir, principalement à la périphérie de la ville, selon les estimations d’agences de l’ONU.

Environ 50 000 civils sont apparemment toujours bloqués dans la ville, où ils subissent des bombardements et une famine. Des civils qui ont pu s’enfuir ont dit à Amnesty International que des combattants d’EI ont empêché des civils qui se trouvaient dans le centre de Falloujah de quitter la ville, et ont emmené de force dans le centre des civils qui vivaient à la périphérie de la ville.

Des informations ont également fait état de l’homicide illégal de 17 hommes et garçons de la ville Karma, à environ 20 kilomètres au nord-est de Falloujah ; Amnesty International enquête sur ces allégations.