Guerre au Yémen, pas d’issue en vue
Le conflit au Yémen ne montre pas de réel signe de fléchissement alors qu’il entre dans sa quatrième année, et toutes les parties continuent à commettre des atteintes.
Un conflit de plus en plus étendu
Les révoltes populaires qui ont éclaté au Yémen en 2011, alors que des soulèvements secouaient l’ensemble de la région, ont contraint le président Ali Abdullah Saleh à quitter le pouvoir après 33 ans, sur fond d’accusations de corruption et de mauvaise gestion et dans le contexte d’un conflit de longue date non résolu avec les Houthis, un groupe armé basé dans le nord du pays, dont les membres sont adeptes du zaïdisme, un courant de l’islam chiite.
Ali Abdullah Saleh a été remplacé par son vice-président, Abd Rabbu Mansour Hadi, ce qui a permis d’organiser la Conférence de dialogue national, un processus consultatif national de transition dont l’objectif était de résoudre les problèmes liés à la gestion, à la structure et à la réforme de l’État et de donner suite aux revendications formulées lors des manifestations. Après deux années de consultation, un projet de nouvelle carte fédérale a été présenté ; il divisait le Yémen en régions, sans tenir compte des doléances à caractère socio-économique ou régional concernant la répartition des ressources naturelles, les zones commerciales et agricoles, ainsi que l’accès aux ports. Il a reçu un accueil extrêmement réservé de la part de la population et a suscité une vive opposition des différentes factions, y compris les Houthis.
Les Houthis se sont appuyés sur le mécontentement général pour renforcer leur mainmise sur le gouvernorat de Saada et les zones environnantes du nord du Yémen. En septembre 2014, ils sont parvenus à étendre leur contrôle territorial en s’emparant d’un certain nombre de positions de l’armée et des forces de sécurité dans la capitale, Sanaa. L’alliance de circonstance nouvellement scellée avec l’ancien président, Ali Abdullah Saleh, contre qui ils s’étaient battus pendant des décennies, leur a facilité la tâche dans une certaine mesure.
Après la prise de Sanaa par les Houthis, au début de l’année 2015, le président Abd Rabbu Mansour Hadi et les membres de son gouvernement ont été obligés de fuir.
Le 25 mars 2015, une coalition d’États dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis est intervenue à la demande du président, en vue de réinstaller au pouvoir le gouvernement reconnu par la communauté internationale.
Cette opération, au cours de laquelle la coalition a lancé un raid aérien contre les forces houthis, a marqué le début d’un véritable conflit armé. Pendant les quatre années qui ont suivi, le conflit s’est étendu jusqu’à englober l’ensemble du territoire et les parties, dont un certain nombre de groupes armés soutenus par la coalition, se sont multipliées. Les Émirats arabes unis, par exemple, entraînent, financent et arment activement différents groupes depuis le deuxième semestre de 2015, favorisant ainsi la prolifération de milices qui ne sont pas soumises à l’obligation de rendre des comptes, comme les Forces de la ceinture de sécurité, les « Brigades des Géants » et les Forces d’élite.
En décembre 2017, les Houthis ont encore consolidé leur pouvoir après avoir assassiné leur allié, l’ancien président Ali Abdullah Saleh ; ils contrôlent toujours la plupart des centres urbains, y compris Sanaa.
Au bout de plus d’un an de combats intermittents à Hodeida et aux alentours, qui ont fait des centaines de victimes civiles, des pourparlers encouragés par les Nations unies se sont achevés en Suède à la fin de l’année 2018. Ils ont abouti à un accord sur plusieurs mesures destinées à favoriser la confiance mutuelle, parmi lesquelles un échange de prisonniers et un cessez-le-feu précaire à Hodeida.
Des violations manifestes des droits humains, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre, ont été commises et se poursuivent dans tout le pays. La population civile est prise en étau. Plus de 17 640 personnes ont été tuées ou blessées et la crise humanitaire imputable à l’homme a pris de l’ampleur : quelque 14 millions de personnes souffrent actuellement de l’insécurité alimentaire dans le pays.
Nous sommes partis à cause des bombardements et de la guerre autour de nous. Ils tiraient des mortiers au-dessus de nos têtes. Chaque jour, des morts, des corps déchiquetés autour de nous, réduits en miettes. Pouvons-nous rester là-bas ? Nous avons dû fuir pour survivre. Il nous était impossible de vivre dans un tel chaos.
Jusqu’à récemment, une grande partie du monde ignorait l’existence de ce violent conflit et n’entendait pratiquement pas parler de ses effets dévastateurs sur les personnes touchées. Depuis un an, cependant, le conflit est plus médiatisé et la pression monte pour toutes les parties. Plusieurs pays comme les Pays-Bas, la Belgique et la Grèce ont réagi sous la pression de l’opinion publique en suspendant partiellement ou totalement les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et aux autres membres de la coalition. À la suite de l’homicide du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, des États de l’Union européenne (UE), dont la Norvège, la Finlande et le Danemark, ont annoncé qu’ils allaient suspendre leurs transferts d’armes vers l’Arabie saoudite.
Il est temps de réclamer la fin des transferts d’armes qui alimentent la crise au Yémen
Halte à l’afflux d’armes vers le Yémen
Signer la pétitionLes origines du conflit
- 2004
- 2009
- 2011
- 2012
- 2014
- 2015
- 2016
- 2017
- 2018


La population civile lutte pour survivre
Les civils sont les premiers touchés par la violence du conflit au Yémen. Non seulement celui-ci a fait de nombreux morts et blessés parmi eux, mais il a aussi aggravé la crise humanitaire qui était déjà profonde après des années de pauvreté et de mauvaise gestion de l’État, entraînant une grande souffrance de la population.
Comme il s’agit d’un conflit prolongé, les mécanismes auxquels la population civile a recours pour faire face sont mis à rude épreuve. Aujourd’hui, 22 millions de Yéménites ont besoin d’une aide humanitaire pour survivre. Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), un million de fonctionnaires n’ont pas touché leur salaire depuis deux ans et 12 millions de Yéménites, y compris des enfants, seront tributaires de l’aide alimentaire en 2019.
Les conditions économiques difficiles n’ont fait qu’aggraver une crise humanitaire déjà catastrophique. Face à l’inflation du riyal yéménite et à l’impossibilité pour le gouvernement de payer les salaires des fonctionnaires, une vague de manifestations a balayé tout le sud du pays en septembre 2018 ; les manifestant·e·s protestaient contre la corruption et tenaient le gouvernement pour responsable de la dégradation de l’économie, à cause de laquelle la grande majorité des Yéménites ne sont plus en mesure d’acheter des produits de première nécessité.
Entre-temps, les combats menés par intermittence depuis la fin de l’année 2017 en vue du contrôle de Hodeida ont fait des centaines de victimes civiles ; selon les Nations unies, près d’un million de personnes ont fui le gouvernorat pendant l’année. Ces personnes ont évoqué les routes minées, les postes de contrôle houthis et les dangers disséminés le long du chemin : ce qui aurait dû être un voyage de six heures jusqu’à Aden est devenu pour certains un calvaire de trois jours.
C’était un voyage très difficile. Dieu sait que nous avons souffert. Les missiles pleuvaient sur nos têtes. Quelqu’un nous arrêtait pour nous avertir de la présence de projectiles, puis un autre nous arrêtait pour nous avertir de la présence de mines, et nous ne faisions que crier. Depuis le moment où nous sommes partis jusqu’à notre arrivée, nous avons crié et pleuré. Nous avons vu des cadavres et des corps déchiquetés. Nous ne pensions pas survivre. Nous étions persuadés que nous allions mourir… [mais] à la fin, nous espérions mourir plutôt que d’endurer ces épreuves.
Le coût humain du conflit
+ de 6 872
morts et plus de 10 768 blessés parmi la population civile depuis 2015
394 000
enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition
2,2 millions
de personnes contraintes à partir de chez elles à cause des combats
+ de 22 millions
de personnes nécessitant une aide humanitaire





Des atteintes aux droits humains commises par toutes les parties au conflit
Le 28 août, le Groupe d’éminents experts internationaux et régionaux sur le Yémen a publié son premier rapport, qui concluait que toutes les parties au conflit étaient susceptibles d’avoir commis des crimes de guerre. Ses constatations apportent des éléments supplémentaires qui prouvent que toutes les parties en présence ont agi au mépris total de la vie des civils ces quatre dernières années.
Depuis 2015, la coalition que dirigent l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a procédé à un nombre considérable de frappes aériennes disproportionnées et menées sans discrimination contre des civils et des infrastructures civiles, qui ont touché logements, écoles, hôpitaux, marchés, mosquées, mariages et enterrements. Amnesty International a rassemblé des informations sur 41 frappes aériennes de la coalition ayant, semble-t-il, enfreint le droit international humanitaire, et dont un grand nombre constituent des crimes de guerre. Ces frappes ont fait 512 morts et 433 blessés parmi la population civile.
Dans un cas analysé par Amnesty International, une bombe à guidage laser de type Raytheon Paveway fabriquée aux États-Unis a frappé le 25 août 2017 des habitations civiles dans la plus grande ville du Yémen, Sanaa. Buthaina, cinq ans, a été la seule survivante de sa famille ; elle a perdu ses deux parents et ses cinq frères et sœurs, âgés de deux à 10 ans.
La coalition a aussi utilisé des armes à sous-munitions, armes explosives meurtrières interdites au titre du droit international. Les bombes à sous-munitions libèrent des dizaines, voire des centaines, de « petites bombes » qui, souvent, n’explosent pas immédiatement et peuvent causer de terribles blessures longtemps après l’attaque initiale. Amnesty International a rassemblé des informations sur l’utilisation par la coalition de six types d’armes à sous-munitions, notamment de fabrication brésilienne, américaine et britannique dans les gouvernorats de Sanaa, Hajjah, Amran et Saada.
Des armes imprécises sont employées quotidiennement dans des zones résidentielles, faisant des victimes civiles ; ces attaques menées sans discrimination bafouent les lois de la guerre.
Nous étions en route pour Umra [un lieu de pèlerinage] lorsque nous avons été stoppés à un point de contrôle. Il [l’homme en faction] a demandé nos cartes d’identité, et au bout de quelques minutes la frappe a eu lieu. Elle a atterri entre notre bus et un autre à côté de nous. Tout à coup, nous nous sommes retrouvés au milieu d’une explosion. Il y avait des victimes partout, dont ma mère qui a péri et l’un de nos voisins. Certaines personnes avaient perdu leurs mains, d’autres leurs jambes. Tout le monde était blessé.
Des groupes armés sont également accusés de diverses atteintes aux droits humains, notamment de l’utilisation d’armes imprécises dans des zones résidentielles. Depuis 2015, Amnesty International étudie l’incidence du conflit armé prolongé à Taïz, y compris le pilonnage aveugle par les forces houthis et d’autres milices, qui a fait des centaines de victimes.
De même, en mai 2018, l’organisation s’est entretenue avec 34 civils qui étaient arrivés à Aden après avoir fui les affrontements dans plusieurs villes et villages du gouvernorat de Hodeida. Ils ont parlé de terrifiantes attaques au mortier, de frappes aériennes, de mines terrestres et d’autres dangers liés à la nouvelle offensive sur Hodeida. En outre, les forces houthis ont délibérément militarisé un hôpital en activité à Hodeida en postant des combattants sur le toit ; elles ont ainsi mis en péril la vie des nombreux civils qui se trouvaient à l’intérieur.
J’ai aussi vu un homme qui marchait aussi vite qu’il le pouvait, transportant une poche d’urine. Il s’enfuyait, son cathéter urinaire encore en place. Cette scène restera gravée dans ma mémoire le restant de ma vie. Il y avait aussi beaucoup d’enfants. Des parents portaient leurs enfants. J’en ai vu entre 10 et 12 parmi tous les gens qui partaient.
En dépit des opérations militaires, toutes les parties au conflit ont contribué activement à la crise humanitaire au Yémen. La coalition a imposé des restrictions à l’importation des biens de première nécessité et de l’aide essentielle, notamment des denrées alimentaires, du combustible et du matériel médical, tandis que les autorités houthis de facto ont fait obstruction à la circulation de l’aide humanitaire sur le territoire. Ces restrictions ont entravé l’accès des civils yéménites à des biens et services de base et indispensables, comme la nourriture et l’eau potable. Elles ont eu une incidence extrêmement négative sur les soins de santé, en partie parce que la pénurie de combustible compromettait le fonctionnement des hôpitaux.
La poursuite du conflit a engendré une situation de vide politique et d’insécurité, et créé un havre pour les milices et les groupes armés, soutenus par des gouvernements étrangers. Une enquête menée par Amnesty International a révélé que des enfants, dont certains n’avaient que huit ans, avaient été violés dans la ville de Taïz. Les agresseurs présumés, parmi lesquels figurent des membres de milices soutenues par la coalition, n’ont pas encore été traduits en justice.
Un adolescent de 16 ans, qui déclare avoir été violé à la fin du mois de décembre 2018 par un membre d’une milice alliée au parti Al Islah (Rassemblement yéménite pour la réforme) dans une zone de Taïz contrôlée par celui-ci Il m’a frappé avec la crosse de son pistolet et m’a dit : je vais te violer. Je me suis mis à pleurer. Il m’a attrapé par le cou et m’a jeté à terre. J’ai commencé à hurler. Il m’a encore frappé et m’a violé.
Détention
Toutes les parties au conflit se sont livrées à des pratiques illégales, comme la détention arbitraire, la disparition forcée, la torture et d’autres formes de mauvais traitements. Les forces houthis ont arrêté et détenu arbitrairement des détracteurs et des opposants, ainsi que des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des membres de la communauté baha’i, dont beaucoup ont subi des procès iniques, une détention au secret ou encore une disparition forcée. Amnesty International a recueilli des informations sur le cas de 10 journalistes détenus arbitrairement par les Houthis, sans inculpation ni jugement, depuis 2015. Détenus au secret, ils ont été torturés et n’ont que peu de contacts avec leur avocat et leur famille, et leur accès aux soins médicaux est limité. En février 2019, les autorités houthis de facto ont accusé ces journalistes d’infractions passibles de la peine de mort. Le gouvernement yéménite reconnu par la communauté internationale a harcelé, menacé et détenu arbitrairement des défenseur·e·s des droits humains et d’autres militant·e·s. Dans le sud du pays, les forces yéménites soutenues par les Émirats arabes unis ont mené une campagne de détentions arbitraires et de disparitions forcées. En mai, Amnesty International a enquêté au Yémen sur les cas de 51 hommes détenus dans un réseau de prisons secrètes par les Émirats arabes unis et les forces yéménites, qui agissent sans que leur propre gouvernement leur en ait donné l’ordre. Ces affaires comportent des violations manifestes, notamment des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres mauvais traitements s’apparentant à des crimes de guerre.
Les armes qui alimentent la crise
Depuis le début du conflit, un consortium d’États a fourni aux membres de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis du matériel militaire d’une valeur de plus de 15 milliards de dollars des États-Unis. Le principal destinataire a été l’Arabie saoudite mais des pays occidentaux ont également approvisionné les Émirats arabes unis en navires de guerre, avions de combat, chars, véhicules blindés, armes légères, pièces détachées et munitions, pour un montant total de plus de 3,5 milliards de dollars des États-Unis.
Malgré les éléments accablants qui prouvent que ces armes ont servi à commettre des crimes de guerre et d’autres graves atteintes au Yémen, plusieurs pays, parmi lesquels les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et d’autres pays européens, continuent de fournir des armes aux membres de la coalition, faisant ainsi fi de leurs obligations au regard du Traité sur le commerce des armes, du droit européen et de leur législation nationale.
Une enquête menée par Amnesty International à partir d’informations disponibles en libre accès a mis en évidence un danger croissant dans le conflit au Yémen du fait que les Émirats arabes unis équipent des milices avec du matériel de guerre sophistiqué sans se soucier des conséquences. Elle montre que les Émirats arabes unis sont devenus un fournisseur majeur de véhicules blindés, de mortiers, de fusils, de pistolets et de mitrailleuses, qui sont vendus illégalement à des milices agissant en dehors de tout contrôle et accusées de crimes de guerre et d’autres graves exactions.
Seuls quelques pays ont cessé de vendre et de transférer des armes à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et aux autres membres de la coalition, notamment les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark, la Finlande et la Suisse.
Amnesty International exhorte tous les États à veiller à ce qu’aucune partie au conflit au Yémen ne reçoive – directement ou indirectement – des armes, des munitions ou des équipements ou technologies militaires susceptibles d’être utilisés dans le conflit, tant que perdurent ces graves violations. Ces restrictions doivent aussi s’appliquer au soutien logistique et financier pour de tels transferts.
Des armes détournées
Détournements d’armes pas des milices au Yémen, une nouvelle menace