Brésil. À tout juste un an des Jeux olympiques de Rio, les victimes de la police militaire se comptent par centaines

La police militaire de Rio de Janeiro, dont la stratégie semble être de « tirer dabord, et poser des questions ensuite », contribue à la forte augmentation du taux dhomicides mais fait rarement lobjet denquêtes et de poursuites judiciaires, écrit Amnesty International à loccasion de la publication de statistiques et danalyses exclusives, tout juste un an avant louverture des Jeux olympiques de Rio en 2016.

Intitulé “You killed my son”: Killings by military police in Rio de Janeiro, le nouveau rapport de lorganisation révèle quau moins 16 % des homicides enregistrés dans la ville ces cinq dernières années sont imputables à des policiers en service – soit 1 519 au total. Dans la seule favela dAcari, dans le nord de la ville, Amnesty International a recueilli des éléments qui tendent fortement à prouver que, dans au moins neuf cas sur 10, les homicides commis par la police militaire en 2014 étaient des exécutions extrajudiciaires.

« Rio de Janeiro est une ville au double visage : dun côté, le faste et le glamour destinés à impressionner le monde, et de lautre des interventions policières répressives qui déciment considérablement une génération de jeunes hommes noirs et pauvres », a déclaré Atila Roque, directeur dAmnesty International Brésil.

Rio de Janeiro est une ville au double visage : d’un côté, le faste et le glamour destinés à impressionner le monde, et de l’autre des interventions policières répressives qui déciment considérablement une génération de jeunes hommes noirs et pauvres.

Atila Roque, directeur d’Amnesty International Brésil

« La stratégie brésilienne qui consiste à mener une « guerre contre la drogue » afin de remédier au problème bien réel de linsécurité publique produit des effets contraires à ceux attendus, semant derrière elle souffrance et dévastation. La violence et le manque de moyens de la police, les populations si pauvres et si marginalisées quelles en deviennent presque invisibles, et lincapacité systématique du système judiciaire à rendre justice et à offrir des réparations pour les violations des droits humains forment un cocktail explosif qui cause la perte dun bien trop grand nombre de vies. »

Les recherches dAmnesty International montrent que la police militaire a régulièrement recours à une force injustifiée et excessive lors dopérations de sécurité dans les favelas (bidonvilles) de Rio de Janeiro. Dans la majorité des homicides commis par la police enregistrés entre 2010 et 2013, les victimes étaient des jeunes hommes noirs âgés de 15 à 29 ans.

La stratégie brésilienne qui consiste à mener une « guerre contre la drogue » afin de remédier au problème bien réel de l’insécurité publique produit des effets contraires à ceux attendus, semant derrière elle souffrance et dévastation.

Atila Roque

Ces homicides ne font pratiquement jamais lobjet dune enquête. Quand une personne est tuée lors dune intervention policière, un membre de la police civile établit un rapport administratif pour déterminer sil sagissait dun cas de légitime défense ou sil convient dengager des poursuites pénales. Dans la pratique, la plupart des cas sont classés dans la catégorie « résistance suivie de mort », qui empêche toute enquête indépendante et protège les auteurs de toute poursuite devant les tribunaux civils.

En répertoriant ces homicides comme la conséquence dune confrontation – même si en réalité aucune confrontation na eu lieu –, les autorités rejettent de fait sur les victimes la responsabilité de leur mort. Cest souvent un moyen de dissimuler des exécutions extrajudiciaires. Lorsque la police accuse la victime de liens avec des bandes criminelles, lenquête cherche généralement à accréditer la thèse de la légitime défense avancée par les policiers plutôt quà déterminer les circonstances exactes de lhomicide.

Amnesty International a aussi découvert que les scènes de crime étaient souvent modifiées – les policiers enlevant le cadavre sans prendre les précautions requises et plaçant des armes ou dautres « preuves » à proximité du corps. Dans les cas où la victime est soupçonnée dêtre impliquée dans le trafic de stupéfiants, lenquête se concentre généralement sur son profil criminel afin de légitimer lhomicide.

Eduardo de Jesus (10 ans) a été tué par des membres de la police militaire alors quil était assis devant chez lui, dans une favela du Complexo do Alemão, le 2 avril 2015.

Selon sa mère, Terezinha Maria de Jesus, 40 ans, tout est allé très vite.

« Jai juste entendu un coup de feu et un cri […] Je suis sortie en courant et jai vu le spectacle horrible de mon fils tombé à terre », a-t-elle raconté.

Alors quelle faisait face à une rangée de policiers militaires postés devant le cadavre de son fils, lun deux a pointé son arme sur elle et lui a dit : « Je pourrais te tuer comme jai tué ton fils, car jai tué un fils de bandit. »

Je pourrais te tuer comme j’ai tué ton fils, car j’ai tué un fils de bandit.

Terezinha, la mère d’Eduardo de Jesus

Selon Terezinha, la scène du crime a été immédiatement nettoyée par les policiers. Ils ont essayé demporter le corps dEduardo, mais les habitants les en ont empêchés. Lun des policiers a tenté de placer une arme à feu à côté du corps pour pouvoir accuser le jeune garçon.

Le lendemain de la mort dEduardo, les policiers responsables du coup de feu mortel ont été suspendus de leurs fonctions et leurs armes ont été saisies pour analyses médicolégales. Lenquête est menée par lunité de la police chargée des homicides. Mais le fait est que la plupart des affaires de ce genre ne font pas lobjet dune enquête en bonne et due forme et que les responsables sont rarement traduits en justice.

Depuis la mort dEduardo, sa famille a reçu des menaces et a dû déménager par crainte des représailles.

« La stratégie de la peur appliquée par la police militaire dans le cadre de ses opérations dans les favelas, marquée notamment par des manœuvres de harcèlement contre les habitants et des menaces à lencontre des militants, ne résoudra pas les problèmes de sécurité dans la ville. Le seul moyen dy parvenir est de mettre en œuvre une stratégie concertée de réduction du nombre dhomicides et de faire en sorte que des enquêtes exhaustives soient menées sur toutes les violations des droits humains et que les responsables présumés soient traduits en justice », a déclaré Atila Roque.

Repères

  • Le Brésil est lun des pays au monde où le nombre dhomicides est le plus élevé : 56 000 victimes ont été dénombrées pour la seule année 2012.
  • En 2012, plus de 50 % des victimes dhomicide avaient entre 15 et 29 ans, et 77 % étaient noires.
  • 8 471 homicides commis par des policiers en service ont été enregistrés dans lÉtat de Rio de Janeiro, dont 5 132 dans la ville même de Rio, entre 2005 et 2014.
  • Près de 16 % des homicides perpétrés dans la ville de Rio de Janeiro ces cinq dernières années étaient des homicides commis par des policiers en service et classés dans la catégorie « résistance suivie de mort ».
  • En examinant les 220 enquêtes sur des homicides commis par la police ouvertes en 2011 dans la ville de Rio de Janeiro, Amnesty International a constaté que, quatre ans plus tard, une seule affaire avait conduit à linculpation dun policier. En avril 2015, 183 de ces enquêtes étaient toujours ouvertes.

Pour en savoir plus :

You killed my son: Killings by military police in Rio de Janeiro (rapport du 3 août 2015, disponible en anglais uniquement)

Homicides commis par la police au Brésil : « Mes impôts ont servi à acheter la balle qui a tué mon petit-fils » (billet de blog du 13 mars 2015)

« Jeune, noir et en vie » – Brisons le silence qui entoure le taux d’homicide des jeunes au Brésil (billet de blog du 26 novembre 2014)