Photo : © Rafael Bonifácio / Ponte Jornalismo.
Alors que nous nous préparons à fêter la Journée internationale contre les brutalités policières, le 15 mars, la peur et l’indignation ont envahi les habitants d’un quartier de Salvador, dans le nord-est du Brésil, après le meurtre par la police de 12 hommes.
Quand Natanael, un adolescent de 17 ans, n’est pas rentré chez lui à Cabula, un quartier de Salvador, la plus grande agglomération du nord-est du Brésil, après avoir passé la soirée avec sa petite amie, sa grand-mère Marina Lima ne s’est pas inquiétée.
Le lendemain matin toutefois, quand un voisin a frappé à sa porte pour lui remettre la casquette de baseball de son petit-fils, elle a compris que le pire était arrivé.
Marina s’est alors retrouvée en plein cauchemar : à la morgue, elle a vu le corps de Natanael, criblé de balles, la nuque et le bras brisés.
Onze autres hommes ont été tués par des membres de la police locale il y a de cela six semaines, le 6 février.
D’après la version officielle des faits, ils avaient prévu de cambrioler une banque et les policiers ont tiré sur eux en état de légitime défense.
Cependant, l’absence de véritable enquête et les récits de plusieurs témoins font entrevoir une réalité bien différente.
« Mes impôts ont servi à acheter la balle qui a tué mon petit-fils », a déploré Marina.
Cette tragédie aurait dû provoquer une onde de choc dans tout le Brésil.
Au lieu de cela, le gouverneur de l’État de Bahia, Rui Costa, a envoyé un message aux « courageux » policiers, louant leur intervention « héroïque ».
« Un policier ressemble à un footballeur, sur le point de tirer, qui doit décider en quelques secondes comment il va frapper le ballon pour le faire entrer dans les buts. S’il marque, il est acclamé par la foule dans les gradins, et la scène sera rejouée plusieurs fois à la télévision. S’il échoue, il est conspué », a déclaré le gouverneur après les faits.
Cette comparaison mal inspirée entre une tuerie et un match de football fort en sensations est un triste exemple des problèmes de sécurité publique dont continue de souffrir le Brésil : bien souvent, des hommes noirs, jeunes et pauvres subissent les conséquences de la violence, de la militarisation et du manque de formation de la police, qui agit dans la plus grande impunité depuis bien trop longtemps.
Je suis arrivé à Cabula quelques jours après les tirs meurtriers. Il y régnait un climat où se mêlaient curieusement horreur, crainte et provocation.
Les rues, bordées de plusieurs dizaines d’échoppes, d’écoles, de banques et d’une université, étaient en pleine effervescence. De nombreux enfants couraient un peu partout, faisant d’un terrain vague local leur terrain de football.
Les proches des 12 hommes tués par la police avaient tellement peur qu’ils n’osaient même pas décliner leur identité. Ils étaient tristes, indignés et se sentaient menacés, mais redoutaient aussi ce qu’ils pourraient subir aux mains de la police s’ils parlaient.
Ayant recueilli des informations sur d’autres actes policiers similaires dans tout le pays, et ayant moi-même été témoin de certains d’entre eux, je n’ai malheureusement pas été étonné de ce qu’on m’a raconté. Au Brésil, des policiers tuent et se font tuer en conséquence directe de la guerre menée contre la drogue, responsable d’une criminalisation des populations pauvres et de brutalités policières. Le nombre de ces homicides est très élevé.
D’après des statistiques officielles publiées dans un rapport annuel sur la sécurité publique, au moins six personnes sont tuées par des policiers chaque jour au Brésil. Aussi choquant que soit ce chiffre, il se situe probablement en deçà de la réalité, car la plupart des États du pays préfèrent ne pas divulguer ces données inquiétantes.
Alexandre Ciconello, conseiller en droits humains d’Amnesty International Brésil
Le simple fait de dénoncer les actes violents de la police peut être extrêmement dangereux, comme j’ai pu moi-même le constater en participant à une manifestation organisée par des habitants et des membres d’organisations de la société civile de Salvador, pour exiger pacifiquement que justice soit faite.
Pendant que nous manifestions, nous avons été suivis par un policier à moto qui a fini par s’arrêter près de moi pour me demander ce que je faisais là. Les défenseurs des droits humains sont fréquemment la cible d’actes de harcèlement et de manœuvres d’intimidation et, même quand nous avons par la suite signalé cet épisode, personne au commissariat n’y a prêté attention.
Après la manifestation, je me suis rendu là où les homicides avaient été commis cinq jours plus tôt. J’ai été choqué : les lieux n’avaient pas été préservés. Des gants en plastique, les habits et d’autres effets personnels des victimes jonchaient encore le sol. Il y avait même des balles.
Les appels désespérés à la justice des familles des victimes ont fini par être écoutés et, récemment, les autorités de l’État ont déclaré que les homicides faisaient l’objet d’une enquête.
Nous avons toutefois entendu ce refrain tant de fois, sans qu’aucune mesure ne soit véritablement prise.
En moyenne, les auteurs d’homicides sont déférés à la justice dans 5 à 8 % des affaires seulement au Brésil. Cela signifie que, dans l’écrasante majorité des cas, les responsables présumés ne font jamais l’objet d’une enquête, sans parler d’être sanctionnés s’ils sont déclarés coupables. Cette situation alimente le cycle de violence et d’impunité.
Dans le cas des homicides de Cabula, les policiers qui ont appuyé sur la détente sont toujours en activité, déployés auprès d’habitants terrorisés, qui se demandent qui sera la prochaine victime. Les autorités doivent diligenter sans délai une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur les faits et suspendre de leurs fonctions les policiers impliqués, dans l’attente des conclusions de cette enquête.
Combien de temps faudra-t-il encore aux autorités brésiliennes pour qu’elles prennent la mesure de ces atrocités et réagissent par des mesures concrètes ? Les vies de milliers de gens – de jeunes Noirs pour la plupart – sont en jeu.
Ce billet a initialement été publié sur le site du Huffington Post.
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