Ouganda : « Je dois regarder derrière moi encore plus que d’habitude » déclare un militant des droits des homosexuels

Frank Mugisha, président de l’ONG Sexual Minorities Uganda, a l’habitude de recevoir des menaces en raison de son orientation sexuelle. Mais lorsqu’en octobre un journal à sensation a publié son nom et ses coordonnées personnelles et demandé qu’il soit, comme d’autres homosexuels supposés, pendu pour avoir « recruté des enfants », il s’est préparé à se battre, aussi bien dans la rue que devant les tribunaux. Frank Mugisha a expliqué à Amnesty International les conséquences qu’avait eu l’article sur sa vie et décrit la bataille juridique que mène son organisation – pour l’instant avec succès – pour empêcher le journal de poursuivre ses incitations à la haine et à la violence contre les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées (LGBTI). Le mois dernier, l’un de ses amis lui a tendu le journal en disant : « Eh bien, tu es dans le top 100 des homos du pays. » Le premier numéro du journal à sensation Rolling Stone, sorti le 2 octobre, titrait en une : « Révélations et photos : le top 100 des homos ougandais ». Sur un bandeau on pouvait lire « Pendez-les ! ». Pour Frank Mugisha, cet article est la plus grave des attaques en date visant à semer la panique au sein de la communauté gay ougandaise. « Nous allons recruter un million d’enfants innocents d’ici à 2012, disent les homos », pouvait-on lire aussi en une, de même que : « Des parents ont le cœur brisé après les razzias menées par les homos dans les écoles ». De nouveaux noms ont été cités dans l’édition du 31 octobre du journal, et au total ce sont les identités de 117 homosexuels supposés qui ont été révélées. « Lorsque j’ai vu la manchette “Pendez-les !”, puis l’affirmation selon laquelle nous cherchions à recruter des enfants, j’ai été très inquiet en pensant aux gens qui allaient lire ce genre d’informations et à la façon dont ils allaient réagir. « Deux jours après la sortie du numéro, j’ai été insulté dans mon quartier. Pratiquement tous ceux qui étaient cités dans le journal sont harcelés. Certains ont été agressés. « Ils reçoivent des coups de fil ou sont pris à parti par des gens dans la rue ou des voisins qui leur demandent pourquoi ils recrutent des enfants. Les gens leur disent : “Les journaux demandent que vous soyez pendus, nous, nous pensons que vous méritez ça, que vous méritez d’être pendus, d’être tués.” » La maison de l’une des membres de l’organisation présidée par Frank Mugisha a été assaillie à coups de pierres lancées par les voisins. « J’ai vraiment peur, j’ai l’impression maintenant que je dois regarder derrière moi encore plus que d’habitude. » Ces actes de harcèlement n’ont pas réduit au silence Frank Mugisha et son organisation. Ils ont saisi la Haute Cour de l’Ouganda qui, le 1er novembre, a rendu une ordonnance provisoire interdisant à Rolling Stone de publier de nouveau l’identité de toute personne considérée comme homosexuelle, au motif qu’il s’agissait d’une atteinte à la vie privée. L’affaire sera entendue sur le fond dans le courant du mois de novembre. Selon des informations parues dans la presse, le journal a depuis affirmé qu’il allait contourner l’interdiction et continuer à révéler l’identité d’homosexuels supposés. L’homosexualité est illégale en Ouganda, en vertu de lois datant de l’époque coloniale qui sont contraires aux normes internationales relatives aux droits humains. En 2009, le gouvernement a fait déposer une proposition de loi contre l’homosexualité prévoyant l’imposition de la peine de mort pour « homosexualité avec circonstances aggravantes ». Ce texte alarmant n’a pas encore été examiné par le Parlement. « Toute cette homophobie est le résultat de l’ignorance. Il n’y a pas d’espace pour la discussion, pas d’espace pour la compréhension, c’est pour cela que les pouvoirs publics ne comprennent pas les problèmes des LGBTI. » Frank Mugisha continue de se battre et prépare la prochaine audience de la Haute Cour, prévue le 23 novembre. Il pense que les choses vont bien se passer ce jour-là et fait confiance aux juristes de son organisation. Mais quand on est militant des droits des LGBTI en Ouganda, on doit faire attention à chaque instant. « N’importe quoi peut m’arriver, à tout moment. Je ne sais pas qui veut me tuer, je ne sais pas qui veut m’agresser. Je ne suis pas maître de mon sort. [Mais] je ne peux pas rentrer maintenant dans le placard. J’ai donné ma vie au mouvement, c’est comme ça. « Tout ce que je peux faire, c’est continuer à me battre, et être très prudent. »