« Ce sont les journalistes qui informent le monde de ce qui se passe […] C’est pourquoi, de toutes parts, on essaie de nous réduire au silence. Il m’arrive de penser que j’y laisserai ma peau, mais même lorsque j’ai peur il m’est impossible de me taire, car si je ne fais pas circuler ces informations, personne ne protégera les civils. Nous sommes leurs seuls défenseurs. » – Un journaliste somalien
En Somalie, des journalistes sont tués parce qu’ils relatent la vérité au sujet du conflit sanglant qui déchire le pays. Voilà ce que révèlent les recherches effectuées par Amnesty International.
Neuf journalistes au moins ont été tués depuis février 2007 – cinq d’entre eux ont perdu la vie après avoir été délibérément pris pour cible. Beaucoup d’autres ont été menacés, arrêtés de manière arbitraire et harcelés. Plus de 50 journalistes ont fui le pays. Les médias indépendants subissent une dure répression, et des journaux et stations de radio ont été fermés.
Parmi les journalistes tués figure Ali Iman Sharmarke, directeur de l’entreprise de médias HornAfrik, qui a été victime d’un attentat à la voiture piégée en août, alors qu’il rentrait chez lui après avoir assisté aux funérailles d’un confrère assassiné.
Menaces de mort
Les affrontements entre les forces du gouvernement fédéral de transition, soutenues par l’Ethiopie, et des groupes d’opposition armés se sont intensifiés depuis novembre 2007. Des journalistes ont indiqué qu’ils recevaient de la part des deux camps des menaces de mort et qu’on cherchait ainsi à les empêcher de faire état de violations des droits humains.
Des journalistes ayant fui Mogadiscio ont déclaré à Amnesty International qu’ils recevaient régulièrement des menaces de mort sur leur téléphone portable, en particulier lorsqu’ils rendaient compte du conflit.
Un grand nombre de ces menaces provenaient de personnes qui se présentaient comme des agents des forces de sécurité du gouvernement fédéral de transition et qui demandaient pourquoi il avait été fait état d’événements survenus lors d’opérations militaires. Amnesty International a également été informée de menaces émanant des groupes armés.
« J’avais écrit dans un article que deux insurgés avaient été tués. On m’a appelé sur mon téléphone portable pour me dire : “Pourquoi as-tu écrit cela ?” J’ai répondu : “C’est la vérité. Je dois l’écrire.” Mon interlocuteur m’a dit alors : “On te met sur la liste de ceux que nous allons tuer” », a raconté un journaliste.
Censure et fermeture de médias
Les forces du gouvernement fédéral de transition ont de nombreuses fois fermé des médias – notamment des stations de radio basées à Mogadiscio – qui avaient diffusé des informations nuisant à son image ou des interviews de membres de groupes d’opposition armés.
En 2007, la durée de ces fermetures a régulièrement augmenté. Shabelle Radio et Simba Radio ont ainsi dû interrompre leurs activités entre le 12 novembre et le 3 décembre sur ordre de Mohamed Dheere, gouverneur de la région de Banadir et maire de Mogadiscio.
Selon certaines sources, Mohamed Dheere a ordonné à des médias de ne plus rendre compte des opérations militaires à moins d’avoir obtenu au préalable une autorisation écrite. Il a ajouté qu’il était interdit d’interviewer des opposants au gouvernement sur le territoire national comme à l’étranger, et que les journalistes et stations de radio rapportant leurs propos seraient considérés comme des criminels.
Attaques contre les locaux de médias
Des soldats des forces du gouvernement fédéral de transition ont attaqué les locaux de Shabelle Radio, à Mogadiscio, le 18 octobre 2007, après avoir été la cible d’une attaque à la grenade non loin de là. Ils ont tiré avec des armes automatiques sur les fenêtres des deuxième et troisième étages du bâtiment pendant plus de cinq heures. Plusieurs journalistes se sont retrouvés pris au piège dans les locaux de la radio et un agent de sécurité a été blessé.
Certains de ces journalistes ont raconté à Amnesty International qu’ils pensaient qu’ils allaient mourir et qu’ils avaient appelé leurs familles pour leur dire adieu.
« Nous nous sommes réfugiés sous les tables. Ils utilisaient une mitrailleuse montée sur un véhicule. Les balles ont fracassé toutes les fenêtres. Ils ont tiré pendant des heures. Nous avons finalement réussi à nous sauver un par un par une des portes de derrière. Ensuite, les soldats se sont installés dans nos bureaux et nous n’avons pas pu travailler jusqu’au 1er novembre. »
Deux semaines plus tard, un agent de sécurité de HornAfrik a été égorgé lors d’une attaque menée par des soldats éthiopiens. À la suite de cet acte barbare, craignant pour leur sécurité, de nombreux journalistes ont fui Mogadiscio.
« Quand nous avons su que l’un d’entre nous avait été sauvagement tué par des soldats éthiopiens, nous avons eu peur de subir le même sort », a déclaré l’un des journalistes.
Les journalistes qui, en Somalie, rendent compte du conflit jouent un rôle essentiel dans la défense des droits humains. Michelle Kagari, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International, a indiqué que ces attaques contre les médias visent à empêcher que les violations de ces droits ne soient révélées.
« L’organisation appelle les autorités somaliennes à respecter et protéger la liberté d’expression, et à protéger les journalistes contre les attaques systématiques. Elle demande également aux forces éthiopiennes en Somalie et aux groupes d’opposition armés de cesser d’intimider et d’attaquer les journalistes et les médias », a ajouté Michelle Kagari.