Colombie: Il est temps que cessent les homicides et persécutions de syndicalistes et de militants

Quarante années de conflit armé en Colombie ont eu un effet catastrophique sur la population civile du pays. Prises en tenailles entre les forces de sécurité qui ont toujours collaboré avec les groupes paramilitaires et les ont soutenus et les groupes d’opposition armés, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, ont « disparu », ont été torturées ou enlevées, tandis que des millions d’autres se sont trouvées déplacées de force.

Le mouvement syndicaliste du pays n’est pas seulement engagé dans une campagne en faveur des droits des travailleurs et contre la privatisation, il est aussi à l’avant-garde du combat pour les droits humains et la justice sociale. Du fait de leur action, les dirigeants syndicalistes et membres des syndicats font l’objet de violences ciblées, les forces de sécurité et leurs alliés paramilitaires les accusant de se livrer à des activités révolutionnaires. Des groupes d’opposition armés, comme les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie), sont également responsables d’atteintes aux droits humains sur la personne de syndicalistes.

Plus de 750 syndicalistes ont été tués depuis 2000 et au moins une centaine d’autres ont « disparu ». Pour la seule année 2005, on compte 73 syndicalistes tués ou « disparus » et plus de 200 ayant reçu des menaces de mort. Très récemment, Hector Diaz Serrano, membre du syndicat des travailleurs de l’industrie pétrolière USO (Unión Sindical Obrera, Union syndicale ouvrière), a été abattu alors qu’il se rendait à son travail, le 2 mars 2006. Ce matin-là, le journal Vanguardia Liberal écrivait qu’un groupe paramilitaire se faisant appeler le Magdalena Medio Regional Command (Commando régional Magdalena Medio) avait diffusé une déclaration dans laquelle il menaçait d’exécuter tous les membres des syndicats et des organisations de défense des droits sociaux se présentant aux élections législatives du 12 mars 2006.

Ces dernières années, Amnesty International a également établi l’existence de nombreuses affaires de détention arbitraire de syndicalistes et militants des droits humains par les forces de sécurité. Ces détentions s’appuient bien souvent uniquement sur des preuves fournies par des informateurs payés par les militaires et non sur des enquêtes impartiales menées par une autorité judiciaire. De nombreux militants arrêtés ont été remis en liberté par manque de preuves, mais certains ont été tués ou ont fait l’objet de menaces peu après leur remise en liberté. Cela fait craindre que les forces de sécurité ne cherchent délibérément à entraver l’action légitime des syndicalistes en discréditant leur action par des poursuites judiciaires et, en cas d’échec, en les faisant agresser physiquement, le plus souvent par des paramilitaires.

En cette Journée internationale du travail, Amnesty International a une pensée pour les syndicalistes colombiens, principales victimes du conflit armé, particulièrement cinq syndicalistes du département d’Arauca, une région riche en pétrole au nord-est du pays. Samuel Morales et Raquel Castro ont été arrêtés le 5 août 2004 et inculpés de « rébellion » en janvier 2005. Trois autres syndicalistes – Hector Alirio Martinez, Leonel Goyeneche et Jorge Prieto – avaient été tués par l’armée lors de la même opération.

Les enquêtes ouvertes par la suite ont révélé que tous les trois avaient été contraints de sortir d’une maison, avant d’être abattus de dos par les soldats. Les enquêtes ont révélé que les déclarations selon lesquelles ils avaient ouvert le feu sur les soldats étaient fausses et quatre soldats et un civil ont été inculpés d’homicide. Toutefois, en dépit des doutes évidents suscités par ces révélations quant aux circonstances de leur arrestation, Samuel Morales et Raquel Castro sont toujours en prison.

Raquel Castro est membre de l’Association des enseignants d’Arauca, dont les dirigeants ont été la cible d’opérations de commando et ont fait l’objet de détentions arbitraires par les forces de sécurité, ainsi que de menaces répétées de mort et d’exécution par les paramilitaires soutenus par l’armée. Samuel Morales est un ancien professeur et le président régional de la Confédération des syndicats colombiens à Arauca.

Lorsqu’il était en prison, Samuel Morales et sa famille ont reçu des menaces de mort. Le 29 juillet 2005, alors qu’il se trouvait en garde à vue dans un poste de police de la ville de Saravena, dans le département d’Arauca, le chef de police lui aurait déclaré qu’il savait où ses sœurs Omayra, Gladys et Matilde Morales, travaillaient et où trouver sa femme. Des policiers auraient fait pression sur le directeur d’un hôpital local pour qu’il renvoie la femme de Samuel, simplement parce qu’elle était mariée avec lui.

Le 21 septembre 2005, entre 10 heures et 10h30, la secrétaire de l’école où Gladys et Omayra Morales travaillaient a reçu un coup de téléphone d’un homme se présentant comme faisant partie des Autodefensas Unidas de Colombia (AUC, Milices d’autodéfense unies de Colombie). Il lui a demandé de dire à Gladys et Omayra Morales qu’elles avaient soixante-douze heures pour quitter le département, que les membres de la famille de Monsieur Samuel Morales étaient pour son groupe une cible militaire et qu’ils devaient disparaître d’Arauca.

La secrétaire de l’école où travaillait Matilde dans la municipalité d’Arauca a reçu une menace de mort similaire par téléphone entre 10h30 et 11 heures.

Amnesty International craint que l’arrestation de Samuel et Raquel ne fasse partie d’une stratégie élaborée conjointement par les militaires et les paramilitaires pour entraver l’action combien importante menée par les syndicalistes, défenseurs des droits humains et membres des organisations de défense des droits sociaux dans le département d’Arauca. Même s’ils étaient remis en liberté, ils courraient le risque d’être tués par ceux qui ont menacé Samuel et sa famille.

Seule une action décisive visant à traduire en justice les responsables d’atteintes aux droits humains et de violences à l’égard de syndicalistes pourrait avoir un impact significatif sur la crise des droits humains à laquelle sont confrontés les syndicats en Colombie. Actuellement, l’impunité prévaut dans 90 p. cent des affaires d’atteintes aux droits humains concernant des syndicalistes.

Amnesty International appelle le mouvement syndicaliste international à continuer de faire preuve de solidarité avec ses collègues de Colombie et à insister auprès des gouvernements nationaux pour qu’ils fassent pression sur les autorités colombiennes et incitent ces dernières à prendre des mesures visant à mettre un terme aux homicides et persécutions de syndicalistes et de militants.