Abou Ghraïb : Les victimes de torture sont toujours en quête de réparation

“Ils m’ont fait m’allonger sur une planche de bois… ont attaché… mes mains à un treuil… m’ont installé comme ça… Ils prenaient des photos de moi. A chaque question qu’ils posaient, ils resserraient le treuil ; jusqu’à ce que mon corps soit étiré au maximum…” – Abdel-Jabbar Al-Azzawi, Mars 2006

Il y a deux ans, le monde découvrait avec horreur les images de détenus torturés et maltraités par des militaires américains dans la prison d’Abou Ghraïb, en Irak. Malgré les appels répétés en ce sens, les autorités américaines n’ont pas mené d’enquêtes dignes de ce nom, afin que tous les responsables présumés, y compris au plus haut niveau, soient amenés à rendre compte de leurs actes. Ce deuxième anniversaire vient tristement rappeler que, deux ans après le scandale, les actes de torture et autres atteintes perpétrés contre des Irakiens par des représentants de leurs propres autorités ou des forces de la coalition menée par les États-Unis sont toujours au cœur d’un débat. Le secrétaire d’État américain à la Défense Donald Rumsfeld a récemment déclaré que les militaires américains témoins de torture et de traitements inhumains n’étaient pas tenus d’”intervenir physiquement pour y mettre fin”, mais seulement de “signaler de tels agissements”. Selon les témoignages recueillis par Amnesty International auprès d’anciens détenus torturés à Abou Ghraïb ou dans d’autres endroits, les victimes n’ont pas reçu le moindre dédommagement. De toute évidence, elles ignorent comment demander réparation et ne disposent pas, dans la plupart des cas, des moyens et des ressources nécessaires. Abdel Jabbar Al Azzawi, citoyen irakien âgé de cinquante ans, a été détenu et torturé par des militaires américains et des civils chargés par les autorités des États-Unis de mener des interrogatoires en Irak. Il a raconté à Amnesty International comment une trentaine de soldats américains avaient fait irruption chez lui, le 20 novembre 2003, l’avaient jeté à terre et lui avaient passé les menottes. Certains auraient emporté de l’argent, des bijoux et d’autres biens qui n’ont jamais été restitués. D’après son témoignage, un soldat américain aurait également frappé sa femme à la tête avec la crosse de son arme, ce qui lui a valu de perdre l’usage d’un œil.     À l’aéroport de Bagdad, son premier lieu de détention, des agents américains auraient torturé Abdel Jabbar Al Azzawi lors de son interrogatoire. Il a décrit comment on lui avait bandé les yeux et comment on l’avait insulté, battu, déshabillé, plongé dans l’eau, attaché dans une position de crucifiement et suspendu en l’air. Abdel Jabbar Al Azzawi a ensuite été transféré dans la prison d’Abou Ghraïb. “Prisonnier fantôme” – c’est à dire qu’il ne figurait sur aucun registre de la prison –, il y est resté près d’un mois à l’isolement. Abdel Jabbar Al Azzawi affirme qu’on l’a photographié alors qu’il était nu et forcé de prendre des positions humiliantes, comme sur les images qui ont fait scandale. Il a été libéré le 6 juin 2004 après avoir passé presque sept mois en détention sans inculpation ni procès. Selon certaines informations, Abdel Jabbar Al Azzawi souffre de troubles physiques et psychologiques qui seraient apparus lors de sa détention. Il n’a pas reçu la moindre indemnité de la part des autorités américaines. Des victimes toujours en quête de réparation Au terme des investigations menées par les autorités américaines sur ces atteintes, seuls des militaires de grade inférieur et un militaire de grade supérieur ont été poursuivis et, dans la plupart des cas, les peines prononcées ne reflètent pas la gravité des faits. Depuis l’invasion de l’Irak, en mars 2003, les forces de la coalition dirigée par l’armée américaine ont arrêté des dizaines de milliers de personnes. La plupart ont été détenues sans inculpation ni jugement, et sans possibilité de consulter un avocat ou de comparaître devant un tribunal, au mépris des dispositions du droit international humanitaire. Certaines ont été privées de liberté pendant plus de deux ans, tandis que d’autres ont été libérées sans explication et sans le moindre mot d’excuse après plusieurs mois de détention. Deux ans après les faits, le gouvernement américain doit condamner toute forme de torture et de mauvais traitements. Il doit diligenter des investigations indépendantes sur les atteintes perpétrées, déférer les responsables présumés à la justice et veiller à ce que les victimes puissent bénéficier de réparations, notamment sous la forme de restitution, d’indemnisations, de mesures de réadaptation et de réhabilitation, et d’assurances que de tels faits ne se reproduiront pas, en mettant en place des mécanismes appropriés à cette fin.