Quel est le problème ?
Depuis quelques années, la compassion est érigée en infraction dans toute l’Europe. Les personnes qui portent assistance à des réfugié·e·s et des migrant·e·s sont menacées, calomniées, intimidées, harcelées et traînées devant les tribunaux, où elles sont sanctionnées pour avoir simplement aidé d’autres personnes. Pourquoi ? Pour dissuader d’autres citoyen·ne·s de manifester leur solidarité envers les personnes en mouvement, afin de décourager les réfugié·e·s et les migrant·e·s qui souhaiteraient venir en Europe. Lorsque les autorités sanctionnent et criminalisent de simples actes d’humanité, c’est notre dignité commune qui est attaquée.
Quelle est l’ampleur du problème ?
Qui est touché ?
La criminalisation de la solidarité entrave les actions d’organisations de la société civile et d’individus partout en Europe, dont des personnes retraitées, des guides de haute montagne, des prêtres, de jeunes militant·e·s et des capitaines de navires. Elle touche également les réfugié·e·s et les migrant·e·s qui osent aider leurs ami·e·s et d’autres personnes en mouvement. Pour en savoir plus, lisez notre rapport (en anglais) ou notre synthèse.
Quelles actions sont érigées en infraction ?
- Donner de la nourriture.
- Donner du thé chaud.
- Proposer un abri.
- Emmener des personnes épuisées en voiture.
- Publier des messages sur Twitter.
- Aider des personnes dans les montagnes.
- Conduire des enfants au commissariat.
- Faire des appels de phares.
- Informer les gens de leurs droits.
- Alerter les gardes-côtes lorsque des personnes se noient en mer.
- Sauver des vies en mer.
- Surveiller et dénoncer les violations des droits humains.
- Manifester contre le renvoi de personnes vers des pays où elles risquent la détention et la torture.
- Manifester pacifiquement.
- Empêcher le décollage d’un avion d’expulsion.
- Lutter contre les renvois forcés illégaux.
Il ne s’agit là que de quelques exemples absurdes de cas documentés par Amnesty, où de simples actes de solidarité poussent les autorités européennes à lancer des poursuites judiciaires.
Quelles sont les méthodes de persécution employées ?
Les gouvernements utilisent un vaste éventail de mesures pour s’en prendre à la solidarité :
- campagnes de dénigrement ;
- lois répressives ;
- codes de conduite imposés aux ONG et qui peuvent retarder les sauvetages en mer ;
- informations judiciaires ;
- poursuites en justice et accusations sans fondement ;
- mesures de harcèlement et d’intimidation par la police ;
- amendes ;
- interdictions d’entrée sur le territoire.
Les gouvernements appliquent aussi de manière abusive des lois contre les passeurs et contre le terrorisme pour entraver la solidarité.
L’histoire de Sarah et Seán
Les défenseur·e·s des droits humains Sarah Mardini et Seán Binder se sont rencontrés lorsqu’ils étaient sauveteurs bénévoles à Lesbos, en Grèce.
Sarah est une réfugiée syrienne. Son périple jusqu’à l’Europe a été relayé par la presse internationale : sa sœur et elle ont sauvé 18 personnes avec qui elles se trouvaient, en tractant jusqu’à la terre ferme leur bateau qui coulait.
Avec son ami Seán, jeune plongeur allemand vivant en Irlande, ils patrouillaient à Lesbos pour repérer les embarcations en détresse. Ils avaient décidé de devenir bénévoles car ils ne pouvaient pas rester les bras croisés pendant que des réfugié·e·s se noyaient.
Leur travail humanitaire a contribué à en sauver un grand nombre. Comme bien d’autres en Europe, ils sont pourtant traités comme des criminels.
Leur procès devrait commencer en novembre 2021. Ils font l’objet de graves accusations injustes et infondées, et risquent 25 ans de réclusion.
Plus de 700 000 personnes à travers le monde leur ont apporté leur soutien et ont conscience du caractère insensé de ce procès. Sarah et Seán sauvaient des vies en mer, ce qui ne constitue pas une infraction.
Les poursuites lancées contre des citoyens comme eux traduisent une stratégie problématique de gestion de l’immigration en Grèce, visant à dissuader les autres de faire preuve de solidarité envers les réfugié·e·s et les migrant·e·s, et à entraver la surveillance des violations des droits humains par des entités indépendantes. Cela a des répercussions effroyables : bon nombre de travailleurs et travailleuses humanitaires qui portaient secours aux réfugié·e·s et aux migrant·e·s ont quitté Lesbos.
On assiste au procès de la solidarité. Les individus qui font preuve de décence, comme Sarah et Seán, ne doivent pas payer le prix de la cruauté de la Grèce et de l’Europe aux frontières.
SI VOUS ME DEMANDIEZ AUJOURD’HUI SI J’AGIRAIS AUTREMENT, SACHANT QUE MA VIE POURRAIT EN ÊTRE BOULEVERSÉE, JE VOUS RÉPONDRAIS QUE JE FERAIS EXACTEMENT LA MÊME CHOSE.
Sarah Mardini
Les répercussions effroyables sur la solidarité en Grèce
Depuis plusieurs années, la Grèce est l’un des principaux pays d’arrivée des migrant·e·s et réfugié·e·s en Europe. Depuis que l’Accord sur l’immigration a été conclu entre la Turquie et l’Union européenne en 2016, elle a néanmoins adopté une approche de plus en plus brutale en maintenant des conditions d’accueil inadaptées dans les camps de réfugié·e·s et en commettant de graves violations des droits humains à l’encontre des personnes qui essayent de passer la frontière. Cette évolution a aussi été marquée par une hostilité croissante envers les individus et les groupes œuvrant à aider les réfugié·e·s et les migrant·e·s.
En plus de présenter sous un angle négatif les ONG et leurs activités dans le débat public, les autorités grecques utilisent la loi à mauvais escient pour s’attaquer aux militant·e·s et ériger en infraction les actes de solidarité envers les réfugié·e·s et les migrant·e·s.
Ainsi, elles ont ouvert des enquêtes et lancé des poursuites judiciaires à l’encontre de travailleurs et travailleuses humanitaires, de sauveteurs et sauveteuses, et de militant·e·s. Après l’arrestation de Sarah Mardini et Seán Binder, de graves accusations ont été portées contre d’autres ONG et leurs membres.
La stigmatisation et la pénalisation des personnes aidantes dégradent l’environnement dans lequel les individus et les organisations interviennent.
Non seulement les autorités grecques se servent du droit pénal pour entraver les activités des ONG, mais en avril et septembre 2020, elles ont également adopté de nouvelles lois qui imposent des conditions pesantes et intrusives aux ONG et autres entités œuvrant dans les domaines de la migration, de l’asile et de l’intégration sociale, ce qui viole leur droit à la liberté d’association.
Sauver des vies en mer
Des sauveteurs et sauveteuses sont la cible de campagnes de dénigrement et d’enquêtes pénales ailleurs en Europe. Des navires d’ONG sont bloqués dans des ports ou placés sous séquestre, diminuant ainsi le nombre de navires en mer disponibles pour sauver des personnes de la noyade.
En Espagne, le gouvernement a arbitrairement bloqué deux navires de sauvetage pendant plusieurs mois, les empêchant ainsi de sauver des vies en Méditerranée centrale.
En Italie, les ONG de sauvetage sont forcées de suivre un « code de conduite » qui peut retarder l’arrivée des secours, et certaines font l’objet d’enquêtes pour avoir simplement sauvé des vies. La situation s’est encore davantage détériorée en 2019, l’Italie ayant fermé ses ports et adopté une législation interdisant aux ONG d’entrer dans ses eaux territoriales, sous peine d’amendes. En Grèce, des personnes formées au sauvetage en mer ont passé plusieurs mois en détention provisoire après leur arrestation par les autorités grecques pour avoir aidé des réfugié·e·s arrivant à Lesbos.
Les 10 du Iuventa
Le 2 août 2017, des procureurs italiens ont ordonné la mise sous séquestre du Iuventa, le navire de l’ONG de sauvetage allemande Jugend Rettet. Bien qu’ayant porté secours à 14 000 personnes, 10 membres de l’équipage – les « 10 du Iuventa » – font l’objet d’une enquête pour avoir facilité l’entrée irrégulière de réfugié·e·s et de migrant·e·s lors de trois opérations de sauvetage différentes menées en 2016 et 2017.
L’organisation indépendante Forensic Architecture a reconstitué les événements et réuni des éléments de preuve montrant que l’équipage du Iuventa sauvait des vies. Cette affaire n’a globalement pas avancé depuis le début de l’enquête il y a plus de quatre ans, bien qu’en janvier 2021, les charges pesant sur six des accusés aient été abandonnées. Les quatre autres demeurent dans l’incertitude, leurs vies sont en suspens dans l’attente de leur procès. Amnesty International demande l’abandon de l’enquête.
LES 10 DU IUVENTA SONT DANS L’INCERTITUDE DEPUIS DEUX ANS ET DEMI ET LEURS VIES SONT EN SUSPENS DANS L’ATTENTE D’UN PROCÈS. AMNESTY RÉCLAME L’ABANDON DE L’ENQUÊTE.
Elisa de Pieri (chercheuse pour Amnesty)
Les 3 de l’El Hiblu
À Malte, trois adolescents demandeurs d’asile font l’objet de chefs d’inculpation passibles de la réclusion à vie. Leur crime ? S’être défendus et avoir protégé plus de 100 personnes lorsque le capitaine du bateau qui les avait secourus a essayé de les ramener illégalement en Libye, où ils risquaient d’être victimes de graves violences, notamment d’être détenus dans des conditions inhumaines dans un centre de détention ou d’être soumis à des actes de torture ou d’autres mauvais traitements.
Amnesty appelle les autorités maltaises à abandonner ces charges sans fondement. L’organisation est fière de faire partie de la Commission Liberté pour les 3 d’El Hiblu, formée en octobre 2021, où elle unit ses forces avec d’autres pour exiger que les autorités maltaises classent l’affaire sans suite.
Lorsque vous voyez une personne épuisée qui ne peut plus marcher, vous lui tendez la main.
Pierre Mumber, guide de haute montagne français
Aider des personnes dans les montagnes
Les gens qui vivent dans les régions montagneuses savent que ce terrain peut être dangereux et impitoyable, surtout pour ceux qui n’en sont pas familiers. C’est pourquoi, dans les Alpes enneigées à la frontière franco-italienne, un réseau solidaire œuvre à empêcher la mort de réfugié·e·s et de migrant·e·s passant de l’Italie à la France.
Ses membres font en sorte que ces personnes aient pleinement conscience des risques, leur donnent des cartes, des chaussures robustes et des vêtements chauds pour assurer leur sûreté dans les montagnes, et aident celles qui se perdent et ont besoin d’être ramenées en sécurité.
Cristina, bénévole du Soccorso Alpino (le secours en montagne italien), a déclaré : « Pour moi, aider fait partie de mon amour pour la montagne. La solidarité consiste à prendre soin des autres. Dans le Val de Suse, nous sommes une famille qui s’entraide. »
À Briançon (France), des personnes organisent des sorties en montagne, à ski ou à pied, à la recherche de réfugié·e·s ou de migrant·e·s qui pourraient avoir besoin d’aide.
Les actes de solidarité sont soutenus par les autorités italiennes mais punis du côté français. Certaines de ces actions ont donné lieu à des poursuites. Sept manifestants ont été condamnés pour avoir participé à une marche pacifique spontanée contre la présence d’un groupe anti-migrants qui était arrivé à Briançon en avril 2018, créant un climat de peur. Pendant la manifestation, un migrant est entré en France de manière irrégulière, ce qui a permis aux autorités d’utiliser de manière abusive des accusations d’aide à l’entrée irrégulière pour réprimer la manifestation.
JE SUIS TRÈS HUMBLE, JE NE DEMANDE PAS LA LUNE… LES PERSONNES VULNÉRABLES ET CELLES ACCOMPAGNÉES DE LEUR FAMILLE NE DEVRAIENT PAS ÊTRE EXPULSÉES.
Anni Lanz
Anni Lanz, militante de 73 ans qui défend les droits des réfugié·e·s depuis plus de 30 ans, a été déclarée coupable et condamnée à une amende pour avoir fait traverser la frontière entre l’Italie et la Suisse à un demandeur d’asile afghan qui souffrait de gelures. Elle savait que cet homme cherchait désespérément à rejoindre sa sœur en Suisse et qu’il souffrait de graves problèmes de santé mentale depuis la mort de son épouse et de son enfant.
En Suisse, plusieurs personnes, dont un pasteur, ont été poursuivies et condamnées pour avoir offert à des réfugié·e·s un hébergement ou leur assistance pour demander une protection. Des migrant·e·s et des réfugié·e·s font aussi l’objet d’une procédure judiciaire pour avoir aidé des ami·e·s ou des membres de leur famille.
Pourquoi en sommes-nous là ?
Dans toute la région, les gouvernements cherchent de plus en plus à limiter et décourager les arrivées en Europe. À cette fin, ils érigent en infraction les actes de solidarité des citoyens européens, qui, selon eux, encouragent l’immigration. Lorsque les autorités poursuivent en justice les personnes qui apportent leur aide, elles créent un environnement hostile en dissuadant les autres de faire preuve de solidarité et de porter secours aux réfugié·e·s et migrant·e·s.
Confronté·e·s à des amendes et des frais de justice, les défenseur·e·s des droits humains et les ONG inculpé·e·s sont contraint·e·s d’utiliser une partie du temps et des ressources limités normalement destinés à leur travail humanitaire pour se défendre contre des accusations infondées.
Ces témoignages de générosité et d’humanité ne sont pas des infractions, alors comment se fait-il que des citoyens européens soient jugés pour de tels actes ?
POUR MOI, IL EST NORMAL D’AIDER. JE NE SAVAIS PAS QU’IL ÉTAIT INTERDIT D’AIDER. AIDER EST DE MON DEVOIR EN TANT QU’ÊTRE HUMAIN.
« Valérie »
Que faire pour arrêter cela ?
Les autorités doivent cesser de traiter les défenseur·e·s des droits humains comme des délinquants, et veiller à ce que les citoyen·ne·s soient libres d’apporter leur aide sans craindre pour leur sécurité. L’assistance à autrui doit être saluée, et non jugée devant un tribunal.
Les autorités européennes doivent abandonner les charges retenues contre les personnes qui n’ont fait que témoigné leur solidarité envers des réfugié·e·s et des migrant·e·s. Elles doivent cesser d’utiliser de manière abusive des lois anti-passeurs défaillantes contre celles et ceux qui aident des personnes dans le besoin par simple humanité.
Pour cela, les gouvernements européens peuvent modifier les lois pour garantir que seules les personnes qui tirent un profit matériel de la situation soient poursuivies.
La solidarité doit être saluée, et non sanctionnée.
Ce que vous pouvez faire :
Rejoignez notre mouvement. Si nous nous battons ensemble, nous aurons gain de cause.
Ce fut le cas dans l’affaire des « 7 de Briançon », déclarés coupables d’avoir facilité l’entrée irrégulière d’étrangers en France après avoir participé à une marche en soutien aux demandeurs d’asile qui traversent la frontière franco-italienne. Amnesty International et d’autres organisations ont fait campagne contre cette condamnation injuste, qui a finalement été annulée en septembre dernier.
Alors qu’il travaillait pour une association d’aide aux migrant·e·s à Calais (France), Tom Ciotkowski a été inculpé d’outrage et de violence après avoir filmé un policier français en train de bousculer une autre personne bénévole. Il a été acquitté un an plus tard. Tom avait lui-même été violemment poussé par un policier, qui a été condamné en septembre 2021.
J’espère que cette décision contribuera à repenser l’environnement hostile à l’égard des demandeurs et demandeuses d’asile à Calais et ailleurs, et favorisera une nouvelle approche plus bienveillante envers les personnes qui luttent pour leur survie là-bas et celles qui essaient de les aider.
Tom Ciotkowski
Vous pouvez contribuer à obtenir justice pour d’autres personnes pénalisées pour avoir témoigné leur solidarité envers des réfugié·e·s et des migrant·e·s :
- en partageant cette page ;
- en parlant à vos ami·e·s des problèmes liés à la criminalisation de la solidarité ;
- en organisant des événements de sensibilisation ;
- en soutenant les organisations qui fournissent une assistance aux réfugié·e·s et aux migrant·e·s ;
- en suivant Free Humanitarians sur Twitter et Instagram afin de soutenir Sarah et Seán ;
- en faisant pression sur votre gouvernement et votre parlement pour qu’ils agissent.