Tirer profit de la misère au Katanga

par Audrey Gaughran, chargée des questions relatives aux enjeux internationaux à Amnesty International

Je viens de quitter le Katanga, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), où ma collègue Lisa Tassi et moi-même avons étudié les actions d’Amnesty International sur la question de l’exploitation minière et des droits humains.

D’une certaine manière, ce n’est pas difficile. À part l’exploitation minière – essentiellement de cuivre et de cobalt – il ne se passe pas grand-chose dans le sud du Katanga. Mais pour extraire ces minerais, il y a deux méthodes très différentes. L’exploitation industrielle, qui occupe de grandes compagnies multinationales, est gérée à partir de bureaux climatisés et réalisée avec des équipements lourds ; l’exploitation artisanale, à petite échelle, est souvent le fait d’hommes (et parfois de garçons de moins de 18 ans) qui travaillent dans une chaleur suffocante avec des outils rudimentaires.

L’exploitation artisanale est souvent une activité sans espoir. En plus d’endurer des conditions de travail pénibles, de nombreux creuseurs – c’et ainsi qu’on les appelle – sont exploités sans pitié par des marchands qui achètent le fruit de leur labeur tout au long d’une chaîne d’approvisionnement très obscure. En théorie, l’État garde un œil sur le système mais la réalité est très différente.

Amnesty International a publié cette année un rapport dénonçant les conditions de travail épouvantables dans un site minier artisanal du Katanga dénommé Tilwezembe. Lors de cette dernière visite nous avons essayé de savoir, entre autres, où se retrouvent en fin de course les minerais provenant de sites comme Tilwezembe. La réponse se trouve auprès des marchands, éléments clés de la chaîne.

Mais la chaîne d’approvisionnement par laquelle les minerais extraits par les creuseurs sortent du Katanga est complexe.  Elle fonctionne sans pratiquement aucun contrôle, et sans aucune trace papier digne de ce nom qui permettrait de suivre les minerais depuis la source jusqu’à leur destination d’exportation.

Les marchands de minerais du Katanga sont aussi bien des individus qui achètent et vendent que des compagnies, dont certaines transforment également le minerai. Parfois, les creuseurs travaillent sur des sites contrôlés par ces compagnies. L’État (ou la compagnie minière de l’État, la Gécamines) octroie à ces compagnies le pouvoir de contrôle, mais les garanties imposées sont manifestement rares. Ainsi, les creuseurs qui travaillent sur le site – souvent à la suite d’une transaction entre le marchand et une coopérative d’exploitation artisanale – sont obligés de vendre directement à la compagnie marchande, aucun système en place ne leur garantissant un prix équitable.

Les creuseurs, qui travaillent parfois dans les galeries souterraines plusieurs heures par jour, font régulièrement savoir qu’ils se considèrent floués par le système, qui les oblige à prendre ce qu’on leur propose sans jamais pouvoir en discuter avec les marchands. Comme c’est pour eux une question de survie, ils n’ont pas d’autre choix que d’accepter ces conditions injustes.

En outre, il est fait peu de cas de la sécurité dans ces mines artisanales, de sorte que chaque année un très grand nombre de creuseurs sont tués ou grièvement blessés. Bien que le SAESSCAM – l’organisme gouvernemental chargé de la formation et de l’encadrement des mineurs artisanaux – soit en général représenté sur ces sites, ses ressources sont insuffisantes et ses pouvoirs limités.

Durant cette dernière semaine, nous avons tenté de savoir où va le minerai de cuivre et de cobalt dont l’extraction se fait dans de si terribles conditions. Une grande partie part en Chine, mais qui sont les acheteurs ? Pouvons-nous leur parler ? La réponse est non, car les circuits commerciaux du Katanga, extrêmement complexes, rendent la traçabilité du minerai pratiquement impossible puisqu’il passe d’un site artisanal au marchand puis aux installations de traitement puis à l’exportateur. Et on ne parle pas encore de la destination finale.

À Kolwezi, centre névralgique d’une grande partie du commerce de cuivre et de cobalt, nous nous sommes rendues dans un endroit où des dizaines de marchands (congolais et étrangers) achètent directement la marchandise des creuseurs qui arrivent à vélo chargés de sacs de minerais. Certains des creuseurs nous ont dit que personne ne pose aucune question – ils apportent et ils vendent ; aucun de leurs acheteurs ne sait d’où provient le minerai. Eux-mêmes n’ayant pas les moyens d’estimer la qualité de leur minerai, ils acceptent le prix qu’on leur donne. Mais ici, au moins, ils sont libres de proposer leur minerai à différents marchands et donc de vendre au meilleur offrant.

Par contre, les creuseurs qui travaillent sur des sites contrôlés par des compagnies marchandes se heurtent à un monopole. Un homme rencontré à Kolwezi nous a dit qu’il travaillait sur un site contrôlé par un marchand, et qu’il avait réussi à faire sortir un peu de minerai dans l’espoir de le vendre au comptoir d’achat. Le prix sur le site minier était trop faible au regard du nombre d’heures travaillées et il s’estimait lésé.

Nous avons parlé avec certains des acheteurs à l’un des nombreux stands du comptoir – dans le cas présent un groupe de Chinois et de Congolais qui avaient improvisé un bureau avec une balance, une calculette et une boîte contenant de l’argent en espèces. Ils n’étaient pas vraiment contents de nous voir. Poliment mais fermement ils ont éludé nos questions sur la provenance et la destination du minerai. « Il vient de tout le Kaganga et il part vers plusieurs différentes compagnies de transformation », disent-ils. Nous ne voyons pas de documents, et quand nous demandons à voir des traces sur papier, ils ne répondent pas.

Les marchands vendent à d’autres au Katanga où le minerai est traité (ou non) avant d’être envoyé à l’extérieur du pays, souvent par camion au-delà de la frontière avec la Zambie. Les documents d’exportation sont remplis et enregistrés, mais déjà à ce stade l’origine des mineraux est occulté.

La vie d’un creuseur est pénible. Les autorités congolaises peuvent – et doivent – faire davantage pour protéger les personnes contre des conditions de travail dangereuses et assimilables à de l’exploitation. Mais ceux qui achètent le minerai le long de la chaîne peuvent eux aussi faire changer les choses s’ils insistent pour connaître la provenance du minerai ou des minéraux, les conditions sur les sites d’exploitation et les circonstances entourant le commerce à toutes les étapes. Il faut poser les questions essentielles et vérifier les informations. Cependant, ce genre de diligence raisonnable est impossible en l’absence d’un réel système d’enregistrement et de surveillance et si les marchands peuvent acheter et exporter sans que personne ne puisse dire dans quelles conditions de travail, souvent épouvantables, les minerais sont extraits.

Dans d’autres régions de la RDC, notamment le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, le Maniema et le nord du Katanga, un système a été mis en place pour permettre de connaître la provenance de l’étain, du tantale, du tungstène et de l’or et pour établir une documentation. S’il est possible de le faire dans ces secteurs, alors pourquoi ne pas étendre le programme au cobalt et au cuivre au Katanga ?

Les mesures visant à assurer aux creuseurs des conditions de travail équitables devront prendre en compte le fait que les Katangais n’ont pratiquement aucun autre moyen de subsistance. Il ne s’agit pas d’empêcher l’exploitation artisanale des mines mais d’en faire une activité plus sûre et plus équitable, dans l’attente de solutions à plus long terme.

Pour en savoir plus :

L’industrie minière chinoise contribue aux atteintes aux droits humains en République démocratique du Congo (nouvelle, 19 juin 2013)
Pertes et profits. Exploitation minière et droits humains dans le Katanga, en République démocratique du Congo
 (rapport, 19 juin 2013)