Saida el Alami

Maroc. Il faut cesser de poursuivre en justice des défenseur·e·s des droits humains en raison de publications sur les réseaux sociaux

Les autorités marocaines ont durci le harcèlement visant les défenseur·e·s et les militant·e·s des droits humains au cours des deux derniers mois : au moins quatre d’entre eux font l’objet d’informations judiciaires et de poursuites pénales liées à des publications sur les réseaux sociaux critiques à l’égard des autorités, a déclaré Amnesty International le 7 avril 2022.

La défenseure des droits humains Saida El Alami a été arrêtée le 23 mars et comparaîtra devant un tribunal de Casablanca le 8 avril pour répondre d’accusations en lien avec des publications dans lesquelles elle dénonçait publiquement le harcèlement policier à son encontre et critiquait la répression visant les journalistes et les militant·e·s.

« Les autorités marocaines harcèlent et intimident les militant·e·s par le biais d’informations judiciaires infondées et d’accusations forgées de toutes pièces, en vue de faire taire les voix critiques et de faire barrage au militantisme pacifique, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Nous appelons les autorités à libérer immédiatement et sans condition Saida El Alami et à abandonner toutes les charges retenues contre elle. La police doit cesser d’interroger et de poursuivre des militant·e·s au seul motif qu’ils exercent leur droit à la liberté d’expression. »

Les forces de police ont également arrêté le blogueur Mohamed Bouzlouf, qui avait exprimé sa solidarité avec Saida El Alami sur Facebook, le 26 mars ; un tribunal de Ouarzazate l’a condamné à deux mois de prison le 4 avril. Deux autres militants, Abderrazak Boughanbour et Brahim Nafai, font l’objet d’investigations et ont été convoqués pour interrogatoire au sujet de publications sur Facebook dans lesquelles ils appelaient respectivement à manifester et à un boycott du carburant.

Ardente défenseure des droits humains, Saida El Alami est membre du collectif Femmes marocaines contre la détention politique, qui rassemble des défenseures des droits humains et dénonce les détentions à caractère politique. Le 23 mars, elle a été convoquée par la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ). Après son interrogatoire, elle a été placée en garde à vue pendant 48 heures avant d’être conduite au tribunal de première instance d’Ain Sebaa à Casablanca. Elle n’a pas pu consulter un avocat pendant sa garde à vue, ni pendant les 10 premiers jours de son incarcération.

Le procureur l’a interrogée au sujet de ses publications sur les réseaux sociaux, en particulier d’un post sur Facebook du 22 mars dans lequel elle critiquait le directeur de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) pour avoir envoyé des agents interroger ses voisins à son sujet alors qu’elle était sortie. Dans un autre post Facebook publié le 20 janvier, sur lequel s’appuient également les poursuites, Saida El Alami dénonçait la corruption au sein de la justice.

Le procureur l’a inculpée d’«outrage à un organisme réglementé par la loi », d’« outrage à des fonctionnaires publics dans l’exercice de leurs fonctions », de mépris des décisions judiciaires et de « diffusion et distribution de fausses allégations sans accord », aux termes des articles 265, 263, 266 et 2-477 du Code pénal, respectivement. L’un des avocats de Saida El Alami, qui a préféré garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, a déclaré à Amnesty International que le procureur a rejeté sa demande de libération dans l’attente du procès, sans justification.

Aux termes du droit international relatif aux droits humains, interdire l’outrage ou le manque de respect à l’égard de représentant·e·s de l’État ou de personnalités publiques, de l’armée ou d’autres institutions publiques, constitue une violation du droit à la liberté d’expression. En outre, comme l’a déterminé le Comité des droits de l’homme de l’ONU, les représentant·e·s de l’État doivent avoir une plus grande tolérance à la surveillance et à la critique que les simples citoyen·ne·s. Les lois qui criminalisent la diffamation, de personnalités publiques ou de particuliers, sont une restriction disproportionnée du droit à la liberté d’expression. La diffamation doit par conséquent être traitée uniquement au civil.

Facebook dans le radar de la police

Le 8 mars, la police de la ville de Settat a convoqué Brahim Nafai, enseignant de philosophie et secrétaire national de la branche jeunesse du parti politique Annahj Addimocrati (la Voie démocratique), au sujet d’une publication sur Facebook qu’il a relayée et qui appelait à boycotter l’achat de carburant pendant trois jours. Les autorités de Facebook ont suspendu le compte de Brahim Nafai le 8 mars, sa publication leur ayant été signalée par des sources inconnues. Lorsque ses amis l’ont aidé à récupérer l’accès à son compte quelques heures plus tard, elle avait été supprimée. Le 9 mars, Brahim Nafai a été interrogé par deux policiers au poste de Settat pendant plus de trois heures et demi. Il n’a été informé d’aucune suite à cette affaire.

Le 17 février 2022, sur ordre du procureur, la police marocaine a convoqué pour interrogatoire Abderrazak Boughanbour, ex-président de la Ligue marocaine de la défense des droits de l’homme (LMDDH). Cette convocation est survenue après qu’il a partagé une publication à trois reprises sur sa page Facebook, invitant le Front social marocain, qui est une coalition d’associations, de mouvements politiques et de syndicats, à se joindre aux manifestations prévues en commémoration du mouvement du 20 février, qui appelait à une réforme politique. Le lendemain, le 18 février, Abderrazak Boughanbour s’est rendu au poste de Skhirat-Témara, localité située à une trentaine de kilomètres de la capitale marocaine Rabat, où la police l’a interrogé pendant plus de trois heures au sujet de sa carrière politique, de son action syndicale et de son militantisme en faveur des droits humains, ainsi que de ses posts Facebook. Il ignore si son affaire est close et ne sait pas à quoi s’attendre pour la suite.

Le 26 mars, la police de Casablanca a parcouru 432 km vers le sud, jusqu’à Ouarzazate, pour arrêter Mohamed Bouzlouf, un jeune homme qui avait exprimé sa solidarité avec Saida Alami dans un post Facebook le 24 mars, a déclaré son frère à Amnesty International. Ils l’ont emmené dans une voiture banalisée jusqu’au poste de police de Ouarzazate, où ils l’ont interrogé sur ses publications sur Facebook en soutien à Saida Alami. D’après le rapport de police qu’Amnesty International a consulté, la police l’a accusé d’« atteinte aux institutions établies », d’« avoir influencé la justice » et d’« atteinte à des décisions légales » aux termes des articles 265 et 266 du Code pénal. Les policiers ont également perquisitionné son domicile le même jour. Le 4 avril, le tribunal de Ouarzazate a condamné Mohamed Bouzlouf à deux mois de prison et à une amende de 2 000 dirhams marocains (environ 190 euros). Mohamed Bouzlouf a comparu à son procès via un appel vidéo depuis sa cellule de la prison de Ouarzazate, où il demeure détenu. Sa famille n’a pas encore été autorisée à lui rendre visite, du fait des réglementations liées à la pandémie de COVID-19.

Amnesty International demande aux autorités marocaines de mettre fin aux poursuites visant des militant·e·s qui ont critiqué des personnalités publiques, des représentant·e·s ou des institutions de l’État, et de veiller à ce que les citoyen·ne·s soient libres d’exprimer leurs opinions sans craindre de représailles. Elles doivent annuler toutes les sanctions pour insulte ou diffamation à l’encontre de représentant·e·s de l’État.