Les parents exilés d’enfants ouïghours détenus dans des « orphelinats » de l’État dans la région chinoise du Xinjiang décrivent les tourments de la séparation dans un nouveau rapport de recherche d’Amnesty International publié ce vendredi 19 mars.
Amnesty International s’est entretenue avec six d’entre eux, qui ont été totalement coupés de leurs enfants – âgés de 5 ans à peine pour certains – et qui ne peuvent pas retourner en Chine car ils risquent d’être envoyés dans un camp d’internement à des fins de « rééducation ».
« La campagne impitoyable de détention massive que la Chine mène au Xinjiang a mis les membres de familles séparées dans une situation impossible : les enfants ne sont pas autorisés à partir, mais leurs parents risquent de subir des persécutions et des placements arbitraires en détention s’ils tentent de rentrer pour s’occuper d’eux », a déclaré Alkan Akad, chercheur sur la Chine à Amnesty International.
« Les témoignages poignants des parents avec qui nous nous sommes entretenus ne donnent qu’un aperçu de l’ampleur des souffrances endurées par les familles ouïghoures séparées de leurs enfants. Le gouvernement chinois doit mettre fin à la politique cruelle qu’il mène au Xinjiang et veiller à ce que les familles puissent être réunies le plus rapidement possible, sans craindre d’être envoyées dans un camp répressif. »
Amnesty International a interrogé six familles ouïghoures vivant actuellement en exil en Australie, au Canada, en Italie, aux Pays-Bas et en Turquie. Pour ces familles, qui ont quitté la Chine avant l’intensification de la répression contre les Ouïghours et d’autres minorités musulmanes en 2017, il était inimaginable que leurs enfants seraient empêchés de les rejoindre.
La tragédie de la séparation des familles au Xinjiang montre l’inhumanité des efforts que déploie la Chine pour contrôler et endoctriner les Ouïghours et d’autres minorités musulmanes.
Alkan Akad, chercheur sur la Chine à Amnesty International
Depuis 2017, on estime qu’au moins un million de personnes ont été placées arbitrairement en détention dans des centres de « transformation par l’éducation » ou de « formation professionnelle » au Xinjiang, où elles subissent diverses formes de torture et d’autres mauvais traitements, y compris un endoctrinement politique et une assimilation culturelle forcée.
« Les Ouïghours installés à l’étranger hésitent souvent à parler publiquement des atteintes aux droits humains dont ils sont victimes de même que leur famille, car ils craignent que leurs proches en Chine fassent l’objet de représailles. Malgré ces difficultés, ces parents ont décidé de partager publiquement leur histoire dans l’espoir que cela les aide à retrouver leurs enfants bientôt », a déclaré Alkan Akad.
Des enfants lancés dans un dangereux périple pour tenter de rejoindre l’Italie
Mihriban Kader et Ablikim Memtinin ont fui le Xinjiang pour l’Italie en 2016, après avoir été harcelés par la police et avoir subi des pressions visant à les contraindre à restituer leurs passeports.
Ils ont confié temporairement quatre enfants à la garde de leurs grands-parents, mais peu de temps après, la grand-mère a été emmenée dans un camp et le grand-père interrogé par la police.
« Nos autres proches n’osaient pas s’occuper de mes enfants après ce qui était arrivé à mes parents », a expliqué Mihriban à Amnesty International. Ils avaient peur d’être envoyés dans des camps eux aussi. »
Les trois plus jeunes enfants ont été envoyés dans un « camp pour orphelins »: des centres créés un peu partout au Xinjiang pour héberger – et endoctriner – les enfants dont les parents ont été enfermés dans des camps d’internement, des prisons et d’autres centres de détention. L’aîné des enfants a été placé dans un pensionnat sous la surveillance et le contrôle des autorités.
Mihriban et Ablikim n’ont pas pu entrer en contact avec eux depuis l’Italie, mais en novembre 2019, ils ont obtenu du gouvernement italien l’autorisation de faire venir leurs enfants.
Les quatre enfants – âgés de 12 à 16 ans – ont voyagé seuls à travers la Chine pour rejoindre le consulat italien à Shanghai, mais ils ont été arrêtés par la police et renvoyés à l’orphelinat et au pensionnat.
« Maintenant, mes enfants sont entre les mains des autorités chinoises et je ne suis pas sûre de les revoir un jour », a dit Mihriban. « Le plus douloureux, c’est que, pour mes enfants, c’est comme si leurs parents n’existaient plus, comme si nous étions décédés et qu’ils étaient orphelins. »
Omer et Meryem Faruh, quant à eux, ont fui vers la Turquie à la fin de l’année 2016 après que des policiers ont exigé qu’ils leur remettent leur passeport. Le couple a confié ses deux plus jeunes enfants, âgées de cinq et six ans, à leurs grands-parents car elles n’avaient pas encore leurs propres documents de voyage. Omer et Meryem ont découvert par la suite que leurs proches avaient été emmenés dans des camps ; depuis lors, ils n’ont plus aucune nouvelle de leurs enfants.
« Nous n’avons pas entendu la voix de nos filles depuis 1 594 jours, a raconté Omer à Amnesty International. Ma femme et moi ne pleurons que le soir, pour essayer de cacher notre chagrin à nos autres enfants qui sont là avec nous. »
Il est vital que des observateurs de la situation des droits humains puissent se rendre sur place
Alkan Akad a déclaré : « La tragédie de la séparation des familles au Xinjiang montre l’inhumanité des efforts que déploie la Chine pour contrôler et endoctriner les Ouïghours et d’autres minorités musulmanes au nom de la « lutte contre le terrorisme».
« La Chine doit mettre fin aux mesures qui restreignent le droit de toutes les minorités musulmanes de sortir du pays et d’y entrer librement. Elle doit fermer tous les « camps de rééducation » politique et libérer les détenus immédiatement, sans condition et sans préjugé ».
Amnesty International appelle le gouvernment chinois à autoriser pleinement et sans restriction les experts des Nations unies en droits humains, les chercheurs indépendants et les journalistes à se rendre au Xinjiang pour enquêter sur la situation dans la région.
Parallèlement, l’organisation engage les autres gouvernements à faire tout leur possible pour que les Ouïghours, les Kazakhs et les autres minorités ethniques chinoises résidant dans leur pays bénéficient d’une assistance pour tenter de localiser, contacter et retrouver leurs enfants.