Soudan du Sud. La surveillance abusive généralisée exercée par le Service national de la sûreté crée un climat de peur

Le Service national de la sûreté (NSS) du Soudan du Sud recourt à une surveillance abusive pour terroriser les journalistes, les militant.es et les personnes qui critiquent les autorités, créant un climat de peur intense et d’autocensure, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport.

La menace de surveillance est une arme en soi – des personnes critiques à l’égard du gouvernement et des défenseur.es des droits humains nous ont dit vivre constamment dans la crainte d’être espionnés.

Deprose Muchena, directeur du programme Afrique de l’Est et Afrique australe à Amnesty International

Intitulé “These Walls Have Ears” – The Chilling Effect of Surveillance in South Sudan”, ce document présente de nouveaux éléments de preuve au sujet des moyens de surveillance employés par les autorités sud-soudanaises, et met en évidence le rôle joué par les entreprises de télécommunication et de surveillance qui permettent l’interception des appels téléphoniques sans garanties juridiques appropriées.

Amnesty International a ainsi découvert des documents qui montrent qu’une entreprise israélienne, Verint Systems Ltd., a fourni au gouvernement soudanais des moyens d’interception des communications au moins entre 2015 et 2017, malgré le risque élevé que ces moyens ne contribuent à des violations des droits humains.

« La surveillance incontrôlée et illégale exercée par le NSS a un effet dissuasif sur la société civile et le militantisme pacifique. La menace de surveillance est une arme en soi – des personnes critiques à l’égard du gouvernement et des défenseur.es des droits humains nous ont dit vivre constamment dans la crainte d’être espionnés », a déclaré Deprose Muchena, directeur du programme Afrique de l’Est et Afrique australe à Amnesty International.

« Pourtant, nombre de militant.es sud-soudanais courageux continuent à défendre leurs droits et ceux d’autrui, bravant la surveillance, les tentatives d’intimidation et les actes de harcèlement. Il est temps que les autorités sud-soudanaises mettent fin aux pratiques illégales du NSS et permettent aux gens d’exercer leur droit à la liberté d’expression sans craindre des représailles. »

Depuis l’indépendance du Soudan du Sud en juillet 2011, la liberté d’expression a été fortement restreinte, et le pays est considéré par la Commission des Nations unies sur les droits de l’homme au Soudan comme l’un des endroits les plus dangereux au monde pour les journalistes. Le gouvernement, essentiellement par le biais du NSS, recourt à des actes d’intimidation et de harcèlement, des arrestations arbitraires, des détentions prolongées, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires pour réduire au silence les personnes qui le critiquent, les défenseur.es des droits humains et les journalistes.

Au cours d’une enquête de deux ans, 63 personnes, dont des militant.es, des journalistes et des avocat.es sud-soudanais, ont fait part à Amnesty International de leur expérience et de leurs connaissances en ce qui concerne la surveillance physique et la surveillance des communications au Soudan du Sud.

La menace, réelle ou supposée, d’une surveillance exercée par la NSS, associée à un harcèlement systématique, a un effet paralysant sur la société civile, et des personnes interrogées ont dit vivre constamment dans la peur. Un militant a dit à Amnesty International : « Je trouve que physiquement, c’est vraiment épuisant de s’inquiéter en permanence de ce qu’il va vous arriver, ou arriver à votre famille, et que psychologiquement, c’est très perturbant. »

Amnesty International a également examiné plus de 57 rapports et études émanant d’organes des Nations unies et d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, ainsi que des résolutions, des lois et des conventions. Le cadre juridique sud-soudanais accorde au NSS des pouvoirs vastes et pourtant incontrôlés qui permettent à ce service d’exercer des activités de surveillance, sans protéger suffisamment le droit à la vie privée.

La plupart des militant.es ont dit que la surveillance, le harcèlement et le risque d’être arrêté et placé en détention arbitrairement, voire tué, ne les empêchaient pas de s’exprimer, mais qu’ils faisaient très attention au contenu de leurs propos, à l’endroit où ils s’exprimaient et aux personnes à qui ils parlaient. Un militant a dit : « On ne peut pas parler sans bien réfléchir avant. »

Infiltration

Le NSS déploie des agents un peu partout au Soudan du Sud et dans les pays voisins, s’infiltrant à tous les niveaux de la société et dans la vie quotidienne. Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation du NSS pour organiser des événements publics, ce qui étouffe la liberté de parole. Selon des informations crédibles et cohérentes émanant de nombreuses sources, des agents de renseignement ont infiltré les ONG, les médias, les sociétés de sécurité privée et les hôtels. L’ampleur et la portée du réseau d’espionnage du NSS créent un environnement qui empiète sur la liberté d’opinion et d’expression et sur la vie privée.

Écoutes téléphoniques

Presque tous les militant.es avec qui Amnesty International s’est entretenue craignent d’être surveillés et évitent de parler de sujets sensibles au téléphone, préférant des rencontres en personne ou l’utilisation d’applications de messagerie cryptée. Des conversations téléphoniques enregistrées ont été présentées à titre de preuve au tribunal, et au moins une affaire très médiatisée a été rejetée par les juges au motif que les enregistrements avaient été obtenus illégalement et en violation du droit à la vie privée. Des agents du NSS ont également mentionné le contenu de conversations téléphoniques lors d’interrogatoires, et des enregistrements semblent avoir servi de base à des arrestations arbitraires.

Abdalah (nom d’emprunt), un défenseur sud-soudanais des droits humains, a dit à Amnesty International qu’en août 2018, avant son arrestation arbitraire, un agent du NSS l’avait appelé et avait évoqué une conversation téléphonique qu’Abdalah avait eue avec un membre du personnel d’une organisation internationale au sujet des menaces auxquelles il était confronté. Abdalah pense qu’il est impossible que le NSS ait eu connaissance du contenu de cette conversation sans avoir mis son téléphone sur écoute.

Le NSS ne peut probablement surveiller les communications qu’avec la collaboration des prestataires de services de télécommunication. Un ancien employé de Vivacell, une entreprise de télécommunications qui a exercé des activités au Soudan du Sud jusqu’en mars 2018, a dit à Amnesty International que le NSS avait directement accès à tous les fournisseurs de services de télécommunication du pays par l’intermédiaire de moyens de surveillance provenant d’Israël et qui, à leur avis, relevaient de la catégorie des technologies à double usage.

Les technologies à double usage peuvent répondre à des objectifs légitimes, comme garantir l’accessibilité des réseaux de télécommunication, fournir des services de qualité aux clients et surveiller la facturation, mais elles peuvent également être utilisées à des fins de surveillance illégale par les gouvernements.

Un ancien employé de l’entreprise de télécommunications MTN South Sudan a dit à Amnesty International que le NSS, en 2013, via une société israélienne, avait installé un « boîtier » dans son entreprise. L’installation de « boîtiers » pourrait être le moyen utilisé par les autorités, y compris par le NSS, pour obtenir un accès direct aux données des prestataires de services.

Les autorités sud-soudanaises doivent contrôler le NSS et mettre fin à la pratique de ce service de sécurité consistant à opérer en marge de la loi.

Deprose Muchena

L’ancien employé de Vivacell a dit que le gouvernement sud-soudanais demandait à toutes les entreprises de télécommunication menant des activités au Soudan du Sud de payer Verint Systems Ltd, la filiale israélienne de la société américaine Verint Systems Inc., pour l’installation de cet équipement et une prestation annuelle de services.

Amnesty International a écrit à toutes les entreprises concernées au sujet de ces conclusions et n’a reçu de réponse que de MTN Group, qui a indiqué que les autorités et la législation sud-soudanaises exigeaient des entreprises de télécommunications qu’elles « répondent aux besoins d’interception légale » et a expliqué que MTN ne gérait pas ce système.

« Les sociétés de télécommunications et les entreprises de technologies de surveillance ont pour responsabilité de respecter les droits humains dans le cadre de toutes leurs activités commerciales. Fournir au NSS des moyens de surveillance lorsqu’il existe un risque important pour les droits humains et lui donner un accès incontrôlé aux réseaux de télécommunications est un manquement aux obligations de ces entreprises », a déclaré Deprose Muchena.

« Les autorités sud-soudanaises doivent contrôler le NSS et mettre fin à la pratique de ce service de sécurité consistant à opérer en marge de la loi. Les actes d’intimidation et de harcèlement, les arrestations arbitraires et les détentions illégales visant les personnes qui critiquent les autorités doivent cesser. »

Amnesty International appelle les autorités sud-soudanaises à mettre fin au recours à la surveillance jusqu’à ce qu’un cadre réglementaire de protection des droits humains adapté ait été mis en place, et à ordonner de toute urgence l’ouverture d’enquêtes indépendantes sur les cas de surveillance illégale et autres violations des droits humains afin que les responsables présumés de ces agissments soient amenés à rendre des comptes.