Vaccins contre le COVID-19 : il faut autoriser toute urgence une dérogation aux règles de la propriété intellectuelle

Une coopération et un partage exceptionnels sont nécessaires pour garantir le droit à la vie et la santé publique

Les États doivent cesser de bloquer la demande de dérogation temporaire à certaines règles mondiales en matière de propriété intellectuelle visant à améliorer l’accès aux vaccins contre le COVID-19 dans le monde, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch jeudi 10 décembre 2020, juste avant l’ouverture d’une réunion cruciale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève. Si elle était acceptée, cette dérogation permettrait à davantage de gouvernements de remplir leur obligation de respecter les droits à la vie et à la santé. Cet appel intervient à l’heure où la vaccination commence au Royaume-Uni et va probablement être lancée très prochainement dans d’autres pays.

Lors de la réunion de l’OMC, les gouvernements vont débattre d’une proposition déposée par l’Inde et l’Afrique du Sud, qui demande la mise en place d’une dérogation temporaire à certaines dispositions de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Cette dérogation faciliterait les transferts de technologies afin que les produits médicaux liés au COVID-19, notamment les vaccins, puissent être fabriqués rapidement et à un coût abordable partout dans le monde. Les pays les plus riches ont déjà conclu des accords pour acheter la grande majorité des stocks de vaccins potentiels qui seront produits dans le monde en 2021. Cette mesure permettrait donc d’améliorer l’accès aux vaccins pour les populations des pays à plus faibles revenus.

« La proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud a pour objectif d’aider les gouvernements à affronter la crise sanitaire exceptionnelle que connaît actuellement notre planète, a déclaré Bruno Stagno Ugarte, directeur exécutif adjoint chargé du plaidoyer à Human Rights Watch. Les États doivent adopter cette proposition au plus vite afin d’être davantage en mesure de rendre les produits médicaux vitaux, comme les vaccins, disponibles et abordables pour tous et toutes. »

La proposition de dérogation déposée par l’Inde et l’Afrique du Sud a été coparrainée par le Kenya, l’Eswatini, le Mozambique et le Pakistan. Cette proposition a été saluée ou soutenue par 100 pays, principalement à revenus faibles ou intermédiaires. Cependant, un petit groupe de pays riches et leurs partenaires commerciaux s’y sont opposés – notamment le Brésil, l’Union européenne, le Canada, les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni.

Certains de ces États affirment que les flexibilités déjà prévues dans les règles de la propriété intellectuelle sont suffisantes pour permettre l’utilisation de licences obligatoires dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Cependant, l’expérience montre que ces outils sont difficiles à utiliser et qu’une plus grande souplesse est nécessaire pour répondre à un défi mondial de l’ampleur de celui posé par le COVID-19.

« Nous ne pourrons éradiquer le COVID-19 que si les gouvernements reconnaissent leurs obligations en matière de droits humains et veillent à ce que les personnes qui ont le plus besoin de vaccins vitaux ne soient pas laissées pour compte, a déclaré Tamaryn Nelson, conseillère sur le droit à la santé à Amnesty International. Il est crucial que les États acceptent la dérogation à l’Accord sur les ADPIC pour prouver leur engagement total à faire immédiatement le nécessaire pour protéger la santé de milliards de personnes, quel que soit l’endroit où elles vivent. »

Les gouvernements ont l’obligation de veiller à ce que tous les pays partagent les bénéfices de la recherche scientifique et n’entravent pas la capacité des autres pays à respecter leurs obligations relatives aux droits à la santé et la vie. Cela implique, entre autres, de garantir l’accès aux produits et aux traitements médicaux nécessaires pour lutter contre le COVID-19, dont les vaccins.

Tous les pays doivent soutenir la dérogation à l’Accord sur les ADPIC afin de faciliter l’accès universel et équitable à ces interventions susceptibles de sauver des vies, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch. Tous les laboratoires qui travaillent à l’élaboration de vaccins, y compris Pfizer-BioNTech, Moderna et Oxford/AstraZeneca, doivent souscrire et participer au Groupement d’accès aux technologies contre la COVID-19 (C-TAP) mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de faciliter le partage de la propriété intellectuelle et la mise en commun des savoir-faire.

Un groupe d’expert·e·s des Nations unies a récemment publié une déclaration conjointe saluant la proposition de dérogation à certains aspects de l’Accord sur les ADPIC, et soulignant que le cadre existant en matière d’ADPIC risquait d’avoir des effets négatifs sur les prix et la disponibilité des produits médicaux. Ces expert·e·s ont rappelé aux gouvernements que les droits de propriété intellectuelle ne devait pas faire obstacle au respect de leurs obligations internationales relatives aux droits humains, notamment celle de partager largement les bénéfices de la recherche scientifique.