Il faut libérer Oyoub Titiev et abandonner toutes les charges pesant sur lui
La police de Tchétchénie a arrêté arbitrairement Oyoub Titiev, responsable du bureau régional de la grande organisation de défense des droits humains russe Memorial, sur la base d’accusations de détention de stupéfiant forgées de toutes pièces, ont déclaré jeudi 11 janvier Amnesty International ; Front Line Defenders ; la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme ; le Comité Helsinki Norvège et International Partnership for Human Rights (IPHR).
Les autorités doivent immédiatement libérer Oyoub Titiev, abandonner les accusations pesant sur lui et cesser d’empêcher le travail des personnes qui défendent les droits humains en Tchétchénie, ont déclaré les groupes internationaux de défense des droits humains.
« L’arrestation d’Oyoub Titiev montre clairement que les autorités tchétchènes essaient de chasser Memorial hors de la Tchétchénie, pour le malheur de toutes les personnes qui ont besoin d’y être protégées contre les atteintes aux droits humains », a déclaré Hugh Williamson, directeur de Human Rights Watch pour l’Europe et l’Asie centrale. « Oyoub Titiev ne devrait pas être en garde à vue, où nous craignons que sa santé et sa sécurité ne soient en danger. »
Oyoub Titiev ne devrait pas être en garde à vue, où nous craignons que sa santé et sa sécurité ne soient en danger.
Hugh Williamson, directeur de Human Rights Watch pour l’Europe et l’Asie centrale
Des policiers ont arrêté Oyoub Titiev, âgé de 60 ans, le 9 janvier vers 10h30 près de la ville de Kourtchaloï, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale tchétchène Grozny. Un ami d’Oyoub Titiev a indiqué à Memorial qu’il l’avait vu entouré de cinq ou six policiers près de son véhicule, sur une petite route près du pont de la rivière Khoumyk. Le même témoin a également raconté que lorsqu’il s’était rendu plus tard au poste de police de Kourtchaloï à la recherche d’Oyoub Titiev, il avait vu la voiture de son ami garé près du bâtiment.
Un avocat envoyé par Memorial s’est rendu dans les locaux de la police en début d’après-midi, mais les policiers ont nié qu’Oyoub Titiev y était détenu et ils ne l’ont pas laissé entrer. En début de soirée, le ministre de l’Intérieur de la Tchétchénie a indiqué à la médiatrice des droits humains de la Russie, qui lui avait posé la question, que la police de Kourtchaloï avait arrêté Oyoub Titiev. L’avocat a alors été autorisé à entrer dans le poste de police.
Le droit russe prévoit que les autorités peuvent détenir une personne pendant trois heures au maximum avant de la placer officiellement en garde à vue ; cependant cette personne doit être autorisée à consulter un avocat dès qu’elle est arrêtée. Oyoub Titiev a dû attendre près de sept heures avant d’être autorisé à s’entretenir avec son avocat ; lorsque les autorités ont diffusé l’avis faisant état de son arrestation, ils ont indiqué 20h10 comme heure officielle de son arrestation, soit environ dix heures après qu’il se soit trouvé initialement entre leurs mains.
« Les personnes qui le détenaient ont refusé pendant près de sept heures de donner des informations sur sa situation et le lieu où il se trouvait, une violation des normes internationales applicables qui a fait craindre qu’elles n’aient l’intention de le soumettre à une disparition forcée », a déclaré Andrew Anderson, directeur de Front Line Defenders.
« La Russie est tenue aux termes du droit international relatif aux droits humains d’enregistrer et reconnaître immédiatement toute arrestation et d’autoriser les personnes détenues à entrer en contact avec un avocat ; c’est un garde-fou essentiel contre les mauvais traitements et les disparitions forcées, a déclaré Denis Krivosheev, responsable du Bureau de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale à Amnesty International.
La Russie est tenue aux termes du droit international relatif aux droits humains d’enregistrer et reconnaître immédiatement toute arrestation et d’autoriser les personnes détenues à entrer en contact avec un avocat ; c’est un garde-fou essentiel contre les mauvais traitements et les disparitions forcées.
Denis Krivosheev, responsable du Bureau de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale à Amnesty International
Les policiers ont dit à l’avocat qu’ils avaient trouvé dans la voiture d’Oyoub Titiev un sac rempli de 180 grammes d’une substance s’apparentant à du cannabis et qu’il faisait donc l’objet d’une enquête pour détention d’un stupéfiant illégal. Oyoub Titiev a nié ces allégations et indiqué que le sac avait été mis dans son véhicule par la police. S’il est reconnu coupable, Oyoub Titiev risque jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Le conseiller du président en matière de droits humains, Mikhaïl Fedotov, a déclaré à la presse que les accusations portées contre Oyoub Titiev pourraient avoir été forgées de toutes pièces et que les responsables de l’enquête devraient examiner la question.
Les groupes à l’origine du communiqué conjoint ont appelé Moscou à faire en sorte qu’Oyoub Titiev soit immédiatement libéré et ne subisse aucune nouvelle menace à sa sécurité, et ils ont demandé que les groupes de défense des droits humains puissent mener leur travail en toute sécurité en Tchétchénie. Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a diffusé une déclaration dans laquelle il se dit préoccupé par l’arrestation d’Oyoub Titiev, s’interroge « sur des accusations qui manquent de crédibilité » et appelle les autorités russes à veiller immédiatement à sa remise en liberté.
Les partenaires internationaux de la Russie devraient suivre l’exemple de Nils Muižnieks, exprimer publiquement leur opposition à cette tentative de réduire au silence Memorial et demander au Kremlin de faire en sorte qu’Oyoub Titiev soit libéré immédiatement et que sa sécurité soit assurée.
« Fausses accusations en lien avec des stupéfiants et éléments à charge placés par la police constituent une des tactiques utilisées régulièrement par les autorités tchétchènes pour punir et discréditer les personnes qui les critiquent », ont déclaré la FIDH et l’Organisation mondiale contre la torture.
Durant l’été 2014, un tribunal tchétchène avait condamné le militant local Rouslan Koutaev à quatre ans d’emprisonnement pour des accusations d’infraction à la législation sur les stupéfiants forgées de toutes pièces, après qu’il eut critiqué une décision du président tchétchène Ramzan Kadyrov et refusé de s’y soumettre. Rouslan Koutaev a bénéficié d’une libération conditionnelle en décembre 2017. En 2016, un autre tribunal tchétchène a condamné le journaliste Jalaoudi Guériev à trois ans d’emprisonnement sur la base d’accusations similaires en lien avec des stupéfiants. Jalaoudi Guériev était un collaborateur de Caucasian Knot, site d’information en ligne diffusant de nombreuses informations sur la Tchétchénie dont certaines critiques à l’égard de ses dirigeants.
Memorial surveille les atteintes aux droits fondamentaux en Tchétchénie depuis plus de 25 ans. Dans un premier temps, elle a recensé de manière approfondie les violations commises par les forces fédérales pendant les deux guerres en Tchétchénie, puis elle a rassemblé des informations sur celles perpétrées par les autorités locales avec l’accord tacite du Kremlin. Durant les dix dernières années du régime de Ramzan Kadyrov en Tchétchénie, Memorial a publié des rapports sans compromis sur la pratique des collections punitives, les disparitions forcées, la torture et les autres formes de mauvais traitements, les incendies punitifs de domiciles et les exécutions extrajudiciaires imputables aux membres des forces de sécurité locales. Au vu des informations fournies par Memorial, la Tchétchénie actuelle apparaît comme une enclave totalitaire au sein de la Russie, où est omniprésente l’interférence de Ramzan Kadyrov dans la quasi-totalité des aspects de la vie sociale comme la politique, la religion, l’université et les questions autour de la famille.
Oyoub Titiev conduit l’action de Memorial en Tchétchénie depuis 2009, date à laquelle sa collègue Natalia Estemirova a été enlevée et assassinée. Son arrestation intervient après des années de menaces et de campagnes de calomnie menées par les autorités tchétchènes contre Memorial et d’autres groupes de défense des droits humains. Ramzan Kadyrov et d’autres hauts responsables tchétchènes qualifient régulièrement les personnes qui défendent les droits humains de « marionnettes de l’Occident » et d’ « ennemis de la Russie » voulant déstabiliser la Tchétchénie. Des militants ont également été attaqués et harcelés par des membres des forces de sécurité locales ou des casseurs pro-gouvernementaux.
La dernière campagne diffamatoire est le fait, en décembre 2017, de Magomed Daudov, président du Parlement tchétchène et bras droit de Ramzan Kadyrov, après que celui-ci a fait l’objet de sanctions des États-Unis aux termes de la Loi Magnitsky et que son compte Instagram a été bloqué.
Magomed Daudov a accusé les défenseurs des droits humains d’« avoir couru vers leur chef de l’autre côté de l’océan et d’être allés déverser des flots de mensonges », ajoutant « je ne serais pas surpris qu’ils soient impliqués dans d’autres manœuvres de subversion visant à affaiblir notre état … je pense qu’il est temps d’envoyer nos ennemis, ceux qui n’aiment pas une Russie forte, chez leurs chefs étrangers et de les éloigner de la bonne société…. si seulement il n’y avait pas de moratoire [sur la peine de mort] en Russie, on aurait pu dire “salaam alekum” à ces ennemis et s’en débarrasser une bonne fois pour toutes. »
Le fait que les autorités tchétchènes aient inventé cette accusation d’infraction à la législation sur les stupéfiants à l’encontre d’Oyoub Titiev n’a rien de surprenant compte tenu de la manière acharnée dont elles prennent systématiquement pour cibles les personnes qui ont le courage de dénoncer les atteintes aux droits humains.
Bjørn Engesland, secrétaire général du Comité Helsinki de Norvège
« Le fait que les autorités tchétchènes aient inventé cette accusation d’infraction à la législation sur les stupéfiants à l’encontre d’Oyoub Titiev n’a rien de surprenant compte tenu de la manière acharnée dont elles prennent systématiquement pour cibles les personnes qui ont le courage de dénoncer les atteintes aux droits humains, a déclaré Bjørn Engesland, secrétaire général du Comité Helsinki de Norvège. « La question est de savoir ce que les autorités de la Fédération de Russie vont faire au sujet de cette affaire, et si les partenaires de la Russie dans le reste du monde vont se mobiliser pour que Moscou prenne la bonne décision. »