Genève. Alors que le commerce mondial des armes est en plein essor, des États donnent le feu vert à des accords irresponsables et nuisibles

  • Des diplomates se rencontrent à Genève pour débattre du Traité historique sur le commerce des armes.
  • Plusieurs pays enfreignent sans doute les obligations du traité en concluant des accords irresponsables.
  • Le Royaume-Uni, la France et l’Italie comptent parmi les États qui fournissent des armes à des gouvernements responsables d’atteintes aux droits humains.

Quatre ans après que les Nations unies ont voté l’adoption d’un traité historique pour réglementer le commerce international des armes, des exportateurs majeurs, dont le Royaume-Uni et la France, font fi de leurs obligations liées au traité en continuant de fournir des armes même lorsqu’il existe un risque élevé qu’elles ne servent à contribuer à de graves violations des droits humains, a déclaré Amnesty International le 11 septembre 2017.

Des diplomates se réunissent à Genève le 11 septembre pour l’ouverture de la troisième Conférence des États parties au Traité sur le Commerce des Armes (TCA). Le TCA fixe des interdictions dans le but de mettre fin aux transferts d’armes entre États, lorsque l’on sait qu’elles serviront à commettre des crimes de guerre, ou lorsqu’il existe un risque majeur qu’elles ne servent à commettre ou faciliter de graves atteintes aux droits humains.

« Environ 500 000 personnes sont tuées chaque année par arme à feu, et des millions d’autres sont prises au piège de conflits alimentés par des ventes d’armes irresponsables. Le Traité sur le commerce des armes promettait de sauver des millions de vies en réglementant cette industrie massive et secrète, mais sa mise en œuvre encore très limitée et l’absence de transparence menacent de saper ses fondements, a déclaré James Lynch, responsable du programme Contrôle des armes et droits humains à Amnesty International.

« Nous prions instamment les États parties de mettre les bouchées doubles quant à leur engagement vis-à-vis du traité, et de s’amener mutuellement à rendre des comptes pour des transferts d’armes irresponsables et potentiellement illégaux. Il n’y a pas de temps à perdre. Des gens dans le monde sont tués, mutilés et terrorisés par des armes dont le transfert n’aurait jamais dû être autorisé. »

Des obligations non remplies

Aux termes du TCA, les exportations d’armes classiques ne doivent pas avoir lieu s’il y a un risque majeur qu’elles puissent contribuer à de graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Amnesty International a mis en lumière plusieurs cas dans lesquels des États parties semblent avoir violé leurs obligations découlant du traité.

De nombreux États parties, dont la France, le Royaume-Uni et l’Italie, fournissent à l’Égypte tout un éventail d’armes classiques susceptibles d’être utilisées à des fins de répression interne, y compris des armes légères et des munitions, malgré la violente répression que mène le gouvernement égyptien contre la dissidence, qui s’est traduite par des milliers de manifestants tués, torturés et blessés.

D’après l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), de 2012 à 2016, période pendant laquelle l’Égypte a connu une répression sans précédent, 80 % des importations d’armes classiques majeures en Égypte provenaient des États-Unis (signataire du TCA) ou de la France.

Plusieurs gouvernements continuent de fournir des armes à l’Arabie saoudite, malgré des preuves accablantes et crédibles pointant de graves violations du droit international humanitaire au Yémen. Depuis le début du conflit en 2015, période pendant laquelle la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a bombardé des écoles, des hôpitaux et des infrastructures civiles, le Royaume-Uni a autorisé des exportations vers l’Arabie saoudite pour un montant d’environ 4 milliards d’euros.

Selon le SIPRI, l’Arabie saoudite est le premier partenaire commercial des États-Unis et du Royaume-Uni s’agissant des armes classiques lourdes. Entre 2012 et 2016, les exportations vers l’Arabie saoudite ont représenté 13 % des exportations militaires américaines et 48 % des exportations d’armes britanniques. Au cours de cette période, près de 80 % de l’ensemble des importations d’armes classiques majeures en Arabie saoudite provenaient des États-Unis et du Royaume-Uni.

En mai 2017, les États-Unis ont conclu une vente d’armes potentielle de 110 milliards de dollars (92 milliards d’euros) avec l’Arabie saoudite. Cet accord inclut des munitions guidées air-sol pour un montant de 4,6 milliards de dollars (3,8 milliards d’euros) – au total, 104 000 bombes de ce type ont été régulièrement utilisées dans le cadre de la guerre au Yémen. Les récentes livraisons en 2015-2016 englobent 13 726 missiles antichar, 3 870 bombes guidées, 60 hélicoptères de combat, 1 279 véhicules blindés et 4 avions d’attaque au sol.

Au cours de la même période, le Royaume-Uni a livré 20 avions d’attaque au sol Typhoon Block 20 pour un montant de près d’1 milliard d’euros, 2 400 bombes guidées Paveway pour un montant de 40 millions d’euros, 50 missiles de croisière Storm Shadow/ SCALP pour un montant de 58 millions d’euros et deux systèmes de ravitaillement en vol pour un montant de 17 millions d’euros.

D’après les données du SIPRI, les autres principaux fournisseurs d’armes lourdes à l’Arabie saoudite depuis le début du conflit au Yémen englobent la France (180 millions d’euros), l’Espagne (160 millions d’euros), la Suisse (155 millions d’euros), l’Italie (128 millions d’euros), le Canada (96 millions d’euros) et la Turquie (76 millions d’euros).

La transparence sauve des vies

Aux termes du TCA, tous les États parties doivent soumettre des rapports annuels sur les exportations et les importations d’armes – un élément crucial pour renforcer la transparence sur le commerce international des armes, longtemps entouré du plus grand secret.

Le TCA ne disposant pas de mécanisme indépendant de contrôle pour garantir le respect des règles en matière de transferts, les rapports publics annuels sur les exportations et les importations d’armes sont primordiaux pour permettre aux parlements, aux médias et à la société civile d’examiner la conduite des gouvernements.

Toutefois, seuls 48 sur 75 États parties ont présenté un rapport annuel sur leurs importations et exportations d’armes en 2016, et 13 gouvernements, dont l’Islande et le Nigeria, n’ont toujours pas remis leur rapport pour l’année 2015.

En outre, de nombreux rapports comportent des incohérences et des lacunes :

  • Plusieurs États ont omis de remplir des sections entières de leurs rapports, sans aucune explication. L’Afrique du Sud n’a pas rempli la partie sur les importations d’armes légères et de petit calibre, tandis que le Royaume-Uni n’a pas du tout rempli la partie sur les importations.
  • Certains États ne mentionnent pas le nombre d’armes transférées et/ou leur valeur financière. L’Autriche n’a pas inclus dans son rapport les informations portant sur les importations d’armes classiques et la France n’a rien mentionné concernant ses importations d’armes majeures.
  • Plusieurs États, dont la Bosnie, le Danemark, l’Estonie et l’ancienne république yougoslave de Macédoine, ont fusionné les données sur certaines importations et exportations ou regroupé les pays importateurs, ce qui fait qu’il est impossible d’établir le nombre d’armes exportées vers chacun de ces pays.

« L’un des principaux objectifs du TCA est de rendre le commerce des armes plus transparent. Pourtant, des États continuent de dissimuler des informations cruciales – à qui ils vendent des armes, et la quantité et le type d’armes qu’ils importent, a déclaré James Lynch.

« Il ne s’agit pas simplement d’une préoccupation d’ordre administratif. Le fait que certains États choisissent de laisser de grands blancs dans leurs rapports, ou de ne pas les remettre du tout, soulève des questions troublantes quant à leurs motivations.

« Les transferts des principales armes classiques ayant atteint leur plus haut niveau en termes de volume depuis la fin de la Guerre froide et les armes continuant d’affluer dans les zones de conflit et les pays où sévit une répression interne, les États parties au TCA doivent se remémorer l’objectif de ce traité : réduire la souffrance humaine. Ils doivent profiter de la rencontre organisée cette semaine pour faire en sorte que tous les exportateurs et importateurs soient tenus de rendre des comptes dans ce but. »

Complément d’information

Après plus de 20 ans de travail de campagne mené par Amnesty International et les ONG partenaires de la Coalition pour le contrôle des armes, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté par un vote décisif le Traité sur le commerce des armes (TCA) en avril 2013. Ce traité est entré en vigueur le 24 décembre 2014.

Le TCA est un traité international qui fixe, pour la première fois, des interdictions dans le but de mettre fin aux transferts entre États d’armes, de munitions et d’articles connexes, lorsque l’on sait qu’ils seront utilisés pour commettre ou faciliter un génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Les États parties doivent évaluer le risque « majeur » que des exportations d’armes ne contribuent à de graves violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains.

130 États ont désormais signé le traité, dont 92 l’ont ratifié, y compris cinq des 10 principaux exportateurs d’armes du monde : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Cependant, des gros marchands d’armes – comme la Chine et la Russie – n’ont pas encore adhéré au TCA. Les États-Unis l’ont signé sans le ratifier. En signent le TCA, les gouvernements s’engagent à ne prendre aucune mesure susceptible de porter atteinte à son objet ou ses buts.

Pour consulter la liste complète des États parties et signataires : https://www.un.org/disarmament/fr/convarms/sur-des-commerces-des-armes/>