Yémen. Les hôpitaux et personnels de santé sont attaqués par les forces anti-Houthis à Taizz

Les forces hostiles aux Houthis dans la ville de Taizz (sud du Yémen) mènent une campagne de harcèlement et dintimidation contre le personnel hospitalier et mettent les civils en danger en postant des combattants et établissant des positions militaires près de centres médicaux, a déclaré Amnesty International mercredi 23 novembre.

Lors dune mission à Taizz ce mois-ci, des délégués de lorganisation se sont entretenus avec 15 médecins, ainsi quavec dautres professionnels de la santé, qui ont expliqué que les forces armées anti-Houthis les ont régulièrement harcelés, arrêtés, voire menacés de mort ces six derniers mois.

« Certains éléments convaincants montrent que les forces anti-Houthis mènent une campagne de peur et dintimidation contre les professionnels de la santé à Taizz. En postant des combattants et en établissant des positions militaires près de centres médicaux, elles compromettent la sécurité dhôpitaux et font fi de lobligation qui leur est faite, aux termes du droit international, de protéger les civils », a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et lAfrique du Nord à Amnesty International.

« Il est impossible de justifier le fait de harceler des professionnels de la santé ou dempêcher des médecins daccomplir leur travail vital. Prendre pour cible des établissements médicaux ou des professionnels de la santé est interdit par le droit international, et ces agissements pourrait constituer des crimes de guerre. »

Il est impossible de justifier le fait de harceler des professionnels de la santé ou d’empêcher des médecins d’accomplir leur travail vital.

Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International

Les forces anti-Houthis, aussi connues sous le nom de forces de la Résistance populaire, sont alliées au président Abd Rabbu Mansour Hadi et à la coalition militaire dirigée par lArabie saoudite.

Fermeture d’hôpitaux

Dans au moins trois cas, des hôpitaux ont été fermés à cause de menaces proférées contre leurs personnels. Dans le cas le plus récent, lundi 21 novembre, une faction des forces anti-Houthis a effectué une descente à lhôpital al Thawra, le plus grand hôpital public de Taizz, en représailles semble-t-il contre le fait que des membres du personnel hospitalier aient prodigué des soins durgence à trois combattants houthis blessés.

Selon les témoins, trois hommes armés ont fait irruption dans un bureau de lhôpital et menacé de tuer le personnel médical si létablissement ne fermait pas immédiatement. Ils ont aussi essayé de traîner les deux combattants houthis ayant survécu hors de lunité des soins intensifs et de la salle de réveil, mais en ont été empêchés par le personnel. Le troisième combattant houthi avait succombé alors quil recevait des soins. Cet hôpital ne fonctionne plus que partiellement à lheure actuelle, ne fournissant que des services durgence et de dialyse, malgré la reprise de combats nourris depuis la première semaine de novembre

« La possibilité pour les blessés – civils ou combattants – dêtre secourus et soignés est un principe fondamental du droit international humanitaire. Il est choquant et inacceptable que les forces anti-Houthis sen prennent au personnel médical parce quil fait son travail », a déclaré Philip Luther.

Les personnels médicaux menacés

Plusieurs des médecins ont déclaré à Amnesty International que le chaos qui sest emparé de Taizz a créé un vide sécuritaire les exposant à un danger accru face aux forces anti-Houthis, qui essaient dexercer le contrôle dans les hôpitaux.

Un membre du personnel administratif a décrit les forces anti-Houthis comme « lautorité de fait ». Il a déclaré quelles viennent souvent à lhôpital pour demander que des combattants présentant des blessures de guerre soient soignés. Des médecins ont signalé à Amnesty International que si des combattants anti-Houthis ne sont pas acceptés à lhôpital en raison dun manque de place, ils deviennent violents ou insultants. Dans dautres cas, des professionnels de santé ont indiqué que des médecins ont été forcés à faire leur travail sous la menace dune arme.

Il est choquant et inacceptable que les forces anti-Houthis s’en prennent au personnel médical parce qu’il fait son travail.

Philip Luther

Selon un docteur de lhôpital al Jamhouri ayant parlé à Amnesty International, un homme a ouvert le feu à lintérieur de lhôpital après avoir appris que son fils, un combattant anti-Houthis présentant une blessure mineure à la jambe, navait pas besoin de recevoir de soins durgence et quun infirmier pouvait soccuper de lui. Il a blessé des professionnels de santé et tué un patient.

Des membres du personnel hospitalier ont également indiqué que les hommes armés refusaient de laisser leurs armes dehors et causaient généralement des problèmes à lintérieur, en insultant les médecins et en ayant des altercations physiques avec le personnel.

« À des centaines de reprises, [des combattants anti-Houthis] nous ont menacés et ont entravé le fonctionnement de lhôpital et notre prise de décisions. Lorsque nous nous élevons contre eux, ils menacent de nous tuer », a déclaré un employé administratif placé en détention avec un médecin par des hommes armés après avoir essayé de les empêcher de singérer dans les affaires de lhôpital.

Le personnel de lhôpital al Thawra a par ailleurs déclaré que les forces anti-Houthis ont détourné leur alimentation électrique pour leur utilisation personnelle, perturbant lapprovisionnement en électricité de certains services essentiels.

Dans dautres cas, des combattants ont exigé des médicaments et des fournitures, et confisqué certains équipements dans les hôpitaux.

Des positions militaires proches d’hôpitaux

Le personnel de lhôpital al Thawra a déclaré à Amnesty International que des combattants ont établi des positions défensives, notamment en garant des tanks autour de létablissement, ignorant les demandes du personnel et des autorités locales visant à les en dissuader. Tout cela expose des bâtiments hospitaliers, des professionnels de la santé et des patients à un risque grave dattaques en représailles de la part des Houthis.

Le directeur dal Thawra a déclaré que les agents de sécurité de lhôpital nétaient pas en mesure de sopposer aux membres des forces armés :

« On compte des dizaines dhommes armés à lintérieur de lhôpital. Est-ce que je dirige un hôpital ou un bataillon ? […] Ces hommes armés vous créent toutes sortes dennuis en dehors de lhôpital si vous refusez de les laisser entrer. »

Un médecin qui vivait et travaillait à lhôpital jusquau mois de juillet a déclaré que des combattants lançaient des attaques depuis une zone située juste à côté de létablissement au moins deux fois par semaine en moyenne.Cela se soldait en retour par de féroces attaques contre lhôpital et ses alentours par les Houthis.

Le 28 septembre, un mortier tiré par des combattants houthis a atteint lhôpital, endommageant ses panneaux solaires, réservoirs deau et canalisations, ce qui a amené létablissement à suspendre temporairement les interventions chirurgicales.

Un médecin de lhôpital al Jamhouri a déclaré à Amnesty International :

« Aucun projectile na été tiré depuis [lintérieur] […] Il y a trois portails avant datteindre lhôpital – des hommes armés y tiennent la garde. À lintérieur de lhôpital, ils ont des hommes mais ils ne sont pas armés […] Les hommes qui sont dehors ont des armes et des grenades. »

Il a également déclaré que début novembre une attaque au mortier avait endommagé le toit de lhôpital et traversé un des étages.

« À peine 12 mètres séparaient lendroit où il est tombé du secteur où nous travaillons », a-t-il indiqué, ajoutant quune cinquantaine de membres du personnel étaient présents dans la zone à ce moment-là.

En postant des combattants et des véhicules militaires à l’intérieur et aux alentours des centres médicaux de Taizz, les forces anti-Houthis mettent en danger civils et personnels hospitaliers, portant ainsi atteinte à un principe fondamental du droit international humanitaire.

Philip Luther

« En postant des combattants et des véhicules militaires à lintérieur et aux alentours des centres médicaux de Taizz, les forces anti-Houthis mettent en danger civils et personnels hospitaliers, portant ainsi atteinte à un principe fondamental du droit international humanitaire », a déclaré Philip Luther.

« Les parties au conflit doivent mettre un terme aux attaques ne faisant pas de distinction entre civils et cibles militaires. Elles doivent cesser demployer de lartillerie et des mortiers aux alentours des zones civiles, et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter de positionner des objectifs militaires près de zones densément peuplées, et en particulier des hôpitaux et des centres médicaux. »

Amnesty International a demandé à plusieurs reprises un embargo total sur les transferts darmes susceptibles dêtre utilisées par lune des parties au conflit au Yémen. Les forces anti-Houthis sont soutenues par la coalition militaire menée par lArabie saoudite, qui est armée par les États-Unis et le Royaume-Uni.

Lorganisation demande aussi aux autorités yéménites de renforcer la sécurité des établissements médicaux et de protéger le personnel et les patients contre les attaques.

Complément d’information

Le manquement au devoir de protéger les hôpitaux et les infrastructures civiles savère systématique dans le cadre du conflit au Yémen. En 2015, Amnesty International a vu des combattants des deux camps lancer des attaques depuis l’intérieur ou les alentours d’hôpitaux, et lors dune mission en juillet 2015 a pu constater les dégâts causés à lhôpital al Thawra par les bombardements des combattants houthis.

Aux termes du droit international humanitaire, les centres médicaux doivent bénéficier dune protection spéciale contre les attaques, et ne doivent pas servir à des fins militaires ni être pris pour cible par les parties au conflit. Ils ne perdent leur droit à cette protection que sils sont utilisés à des fins autres quhumanitaires, pour commettre des actes nuisibles à lennemi.

Soigner des soldats ou combattants blessés correspond au rôle humanitaire que doivent remplir les hôpitaux, et les établissements médicaux ne doivent jamais être attaqués pour cela. Même si un hôpital est utilisé à mauvais escient pour mener des attaques contre lennemi, il convient démettre une mise en garde préalable, accordant un délai raisonnable, et lattaque ne peut avoir lieu que si lavertissement na pas été pris en considération.

Amnesty International a recueilli des informations sur des attaques illégales, y compris des crimes de guerre, commises par toutes les parties au conflit. Lors de leur mission dans lest de Taizz en novembre 2016, des délégués de lorganisation ont parlé à des témoins – notamment à des professionnels de la santé – et à des victimes dune attaque lancée par les forces anti-Houthis début octobre ayant visé un marché local connu sous le nom de Sofitel, dans une zone contrôlée par les Houthis. Lattaque a fait au moins trois morts et quatre blessés parmi la population civile.