Les autorités indonésiennes ont abandonné des millions de victimes et de proches de victimes de l’un des pires massacres des temps modernes, a déclaré Amnesty International à l’occasion du 50e anniversaire des événements qui ont déclenché les atrocités commises par les autorités du pays en 1965 et 1966.
« Cinq décennies, c’est beaucoup trop long quand on attend que justice soit rendue pour l’un des pires massacres de notre époque. À travers l’Indonésie, les victimes des événements de 1965 et 1966 ainsi que leurs proches ont été abandonnés à leur sort, pendant que les responsables présumés des agissements criminels restaient en liberté, a déclaré Papang Hidayat, spécialiste de l’Indonésie à Amnesty International.
« Les autorités indonésiennes doivent mettre fin à cette injustice une fois pour toutes. Cet anniversaire doit marquer le début d’une nouvelle ère où les crimes commis dans le passé ne seront plus relégués aux oubliettes. »
À la suite du coup d’État manqué du 30 septembre 1965, l’armée indonésienne, dirigée par le général Suharto, a mené des attaques systématiques contre les communistes présumés et contre tout un ensemble de personnes appartenant au mouvement de gauche.
Au cours des deux années qui ont suivi, entre 500 000 et un million de personnes ont été tuées. La violence sexuelle a largement été utilisée, et d’innombrables femmes ont été violées ou soumises à l’esclavage sexuel. Des centaines de milliers de personnes ont été emprisonnées sans jugement, et beaucoup ont passé de nombreuses années derrière les barreaux, pendant lesquelles elles ont été régulièrement torturées.
Les autorités indonésiennes doivent mettre fin à cette injustice une fois pour toutes. Cet anniversaire doit marquer le début d’une nouvelle ère où les crimes commis dans le passé ne seront plus relégués aux oubliettes.
Papang Hidayat, spécialiste de l’Indonésie à Amnesty International
Les mesures prises par les autorités indonésiennes pour faire toute la lumière sur ces événements et pour accorder la justice et des réparations aux victimes et à leurs proches ont, au mieux, été parcellaires.
L’Indonésie reste confrontée à une absence de respect de l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de droit international. Les auteurs de tels agissements ont dans un très petit nombre de cas seulement été jugés ; l’écrasante majorité d’entre eux sont toujours en liberté.
La culture du silence prévaut en Indonésie, où il est encore très souvent impossible pour les victimes de parler des massacres qui ont eu lieu il y a 50 ans, et a fortiori encore plus difficile pour elles de demander des réparations ou la vérité et la justice auxquelles elles ont droit en vertu du droit international.
Même si un dialogue s’est ouvert au cours des dernières années, les victimes continuent de faire l’objet d’une discrimination dans la législation et dans la pratique. Les réunions privées ou les événements publics organisés par des victimes sur les événements de 1965 sont souvent dispersés par les autorités ou par des milices privées, la police ne faisant rien pour empêcher ce harcèlement.
« Un nombre beaucoup trop élevé de militants et de victimes courageux ont fait l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation ainsi que de menaces parce qu’ils ont parlé ouvertement des massacres commis il y a 50 ans. Les autorités doivent commencer à écouter la communauté des droits humains, et cesser de la réduire au silence », a déclaré Papang Hidayat.
En juillet 2012, la Commission nationale des droits humains, la Komnas HAM, a publié un rapport accablant sur les massacres qui faisait état d’éléments prouvant que des crimes contre l’humanité ont été perpétrés par les forces de sécurité et par des acteurs non étatiques.
Bien qu’elle ait exhorté les services du procureur général à agir en conséquence et à ouvrir une enquête judiciaire, à ce jour rien n’a encore été fait. Parallèlement, les initiatives visant à établir la commission vérité au niveau national sont au point mort, en raison d’une absence de volonté politique.
Depuis sa prise de fonctions en octobre 2014, le président Joko « Jokowi » Widodo a promis de faire des droits humains une priorité de son gouvernement et de s’attaquer aux crimes commis dans le passé.
En mai 2015, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un mécanisme non judiciaire chargé de faire la lumière sur les atteintes aux droits humains perpétrées dans le passé, y compris sur les massacres de 1965. Or, comme il ne dispose pas du pouvoir d’engager des poursuites, il est à craindre que ce mécanisme n’accorde la priorité à la réconciliation plutôt qu’à la vérité et à la justice, ce qui permettra encore aux pires criminels de rester impunis.
« Le président Widodo tient une occasion en or d’utiliser son mandat pour faire en sorte que le passé ne soit plus oublié en Indonésie. Ce pays est rapidement en train de s’imposer en tant que leader régional. Il doit donc assumer sérieusement ce rôle et montrer l’exemple en matière de justice, de vérité et de réparations », a déclaré Papang Hidayat.