Des femmes indigènes équatoriennes de la forêt amazonienne demandent une meilleure protection face aux menaces de mort et aux attaques alors qu’elles poursuivent leur combat pour la défense de leur territoire.
Les Mujeres Amazonicas (Femmes amazoniennes) protestent depuis de nombreuses années contre le pillage de leur territoire par des compagnies pétrolières, minières et d’exploitation forestière. Elles sont soutenues par Amnesty International, qui, selon Patricia Gualinga, militante pour la défense de l’environnement qui fait partie de leurs porte-parole, les a aidées au fil du temps à faire connaître au niveau mondial la campagne que mènent ces femmes.
« En détruisant l’Amazonie, ils détruisent le monde, a déclaré en mars Patricia Gualinga à Amnesty International. S’ils ne comprennent pas cela, nous sommes perdus. »
L’exploitation du territoire des Sarayakus
Entre 2002 et 2003, la compagnie pétrolière argentine CGC est entrée de force sur le territoire des Sarayakus. Elle y a installé des militaires et des agents de sécurité privés, ouvert des routes et rasé la forêt, détruisant des arbres et des plantes d’une grande valeur pour l’environnement et sur les plans sacré et culturel pour la communauté indigène. Lors de ses opérations de forage, la compagnie a également enterré sur le territoire des Sarayakus 1 400 kilos d’explosif (de la pentolite), mettant ainsi en danger le peuple sarayaku et les chassant de certaines de leurs terres ancestrales.
« Ils ont enterré 50 charges explosives pendant la nuit, et ceux qui ont fait cela savaient que c’était extrêmement dangereux, a expliqué Patricia Gualinga. Je n’ai eu d’autre choix que de devenir défenseure de droits humains, car les compagnies pétrolières violaient les droits de mon village et de mon peuple. »
En 2012, Amnesty International a aidé le peuple sarayaku à poursuivre l’État équatorien devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour avoir autorisé CGC à faire des forages et à placer des explosifs sur ses terres ancestrales sans avoir obtenu au préalable son consentement libre et éclairé, et pour ne pas avoir réparé les préjudices qui ont été causés ni protégé ces personnes contre d’autres abus.
Les Sarayakus ont obtenu gain de cause en remportant une victoire historique. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré l’État équatorien coupable d’avoir violé le droit à l’intégrité physique et gravement mis en danger le droit à la vie des membres de la communauté sarayaku.
La Cour a également reconnu que le gouvernement équatorien était responsable de la violation des droits du peuple sarayaku à la consultation, à la propriété communautaire et à l’identité culturelle.
Or, malgré cette importante victoire, presque huit ans après, les autorités n’ont toujours pas appliqué la décision de la Cour. Les explosifs sont toujours enterrés sur le territoire des Sarayakus et Patricia Gualinga continue de recevoir des menaces de mort et de subir des attaques.
Elle a déclaré : « Les explosifs sont ici, et cela montre ce qui pourrait arriver à d’autres communautés si nous ne poursuivons pas notre combat. Nous devons continuer d’insister pour que soit appliqué tout ce que la Cour a décidé. Car nous savons que les entreprises internationales vont continuer d’essayer de ne tenir aucun compte de nous, et nous ne pouvons pas les laisser faire. »
Le nombre fait la force
Patricia Gualinga estime que le mouvement de protestation des femmes procure aux femmes indigènes une plus grande sécurité du fait de leur nombre. « En 2018, ils ont menacé de nous tuer – a-t-elle expliqué au sujet de ses agresseurs, que les autorités n’ont pas identifiés ni déférés à la justice – et ils ont incendié les maisons d’autres dirigeantes. Ces menaces n’étaient pas dirigées contre mon village, mais directement contre moi. »
« Les femmes sont par définition plus en danger que les hommes. Les femmes peuvent être menacées sexuellement, physiquement ; pour les hommes, c’est une autre histoire. Nous les femmes, nous nous unissons parce que c’est nécessaire, car nous savons qu’ensemble nous avons plus de pouvoir et nous sommes mieux protégées à bien des niveaux.
« En nous rassemblant, nous nous protégeons mutuellement. C’est la raison d’être de Mujeres Amazonicas : ne pas être seules. Ainsi, nous sommes moins vulnérables. »
Le 13 novembre 2019, le peuple sarayaku a porté plainte devant la Cour constitutionnelle de l’Équateur, demandant que les autorités se conforment à la décision rendue en 2012 par la Cour interaméricaine. Et en mars 2020, les Mujeres Amazónicas ont défilé en nombre dans les rues de la capitale du pays, Quito, pour aller remettre au gouvernement équatorien une pétition réclamant une meilleure protection.
Le 19 juin 2020, la Cour constitutionnelle de l’Équateur a décidé que la plainte était recevable, mais il va peut-être falloir attendre plusieurs années avant qu’elle ne rende une décision. Depuis mars 2020, la communauté sarayaku subit de graves inondations, et plus récemment elle a été touchée par l’épidémie de COVID-19, ce qui rend encore plus difficile la situation de ces personnes qui vivent dans une région reculée de la forêt vierge.
« Nous ne nous battons pas seulement pour faire cesser les menaces contre ma vie, contre ma maison et contre la communauté, a souligné Patricia Gualinga. Nous nous battons pour protéger nos enfants, qui ont autant que nous le droit de respirer un air sain. Nous nous battons pour l’oxygène, pour l’avenir de la planète. Nous nous battons pour notre bien-être. »
Amnesty International soutient les Mujeres Amazonicas depuis de nombreuses années et demande aux autorités équatoriennes de garantir la protection effective des défenseur·e·s des droits humains comme Patricia, afin que ces personnes puissent en toute sécurité faire entendre leur voix et continuer d’œuvrer pour le respect des droits humains sans crainte de représailles.
Patricia Gualinga dit que le travail que mène Amnesty International pour soutenir leur mouvement de protestation est très important, car il a permis d’attirer l’attention du monde entier sur ces femmes qui luttent pour défendre la nature et les droits humains. « D’autres communautés se sont inspirées de notre combat, a-t-elle déclaré, et nous avons permis à des femmes marginalisées de faire entendre leur voix, et forcé des compagnies pétrolières à partir du pays.
« Tout cela a eu un coût, avec de grands risques et beaucoup de temps et d’énergie. Mais cela en vaut la peine. Parce que la planète existe toujours ; parce que la nature combat à nos côtés. Je veux que le monde sache que l’Amazonie a une riche biodiversité, une riche culture et qu’elle est en elle-même une richesse. »