Syrie 2023
Toutes les parties au conflit qui sévissait de longue date en Syrie, ainsi que leurs alliés, ont cette année encore mené des attaques illégales, dans lesquelles des civil·e·s ont été tués et des infrastructures vitales détruites. Des groupes armés soutenus par la Turquie ont tué illégalement quatre civil·e·s. Le gouvernement et les groupes armés ont empêché des populations civiles d’accéder à l’aide humanitaire. Le nombre de personnes soumises à une disparition forcée par les autorités s’élevait toujours à plusieurs dizaines de milliers ; l’Assemblée générale des Nations unies a mis en place une institution internationale chargée de faire la lumière sur le sort des personnes disparues et d’accorder des réparations aux familles des victimes. Des personnes ont été détenues arbitrairement par le gouvernement et les forces armées pour le seul fait d’avoir exprimé leurs opinions. Les réfugié·e·s qui rentraient en Syrie risquaient toujours d’être arrêtés à leur retour. Dans le nord-ouest du pays, le gouvernement a continué d’empêcher des habitant·e·s et des personnes déplacées d’accéder à des services essentiels, en violation de leurs droits économiques et sociaux. Le gouvernement a bafoué le droit au logement des habitant·e·s d’Alep dont les habitations ont été touchées par de forts séismes le 6 février. L’armée israélienne a violemment réprimé des manifestations organisées pour protester contre l’installation d’éoliennes sur le plateau du Golan, une zone syrienne occupée par Israël depuis 56 ans.
Contexte
L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a indiqué le 27 janvier qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le gouvernement syrien avait utilisé des armes chimiques lors d’attaques menées le 7 avril 2018 dans la ville de Douma (gouvernorat de Rif Dimashq).
Deux tremblements de terre, d’une magnitude de 7,8 et 7,5 respectivement, se sont produits le 6 février dans le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie. Selon les estimations des Nations unies, au moins 6 000 personnes ont trouvé la mort en Syrie, 400 000 familles ont été déplacées et plus de 8,8 millions de personnes ont eu besoin d’une aide d’urgence. Ces séismes ont aggravé les conditions économiques très difficiles dans lesquelles vivait la population, dont plus la moitié se trouvait déjà en situation d’insécurité alimentaire.
La Ligue arabe a réintégré la Syrie en son sein le 7 mai ; le pays avait été écarté de l’organisation en novembre 2011 à la suite de sa répression violente des manifestations pacifiques.
Le 27 août, les Forces démocratiques syriennes (FDS) – l’armée de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES) – ont arrêté le responsable du conseil militaire de la ville de Deir ez-Zor, Ahmad al Khabil, qu’elles accusaient d’avoir communiqué avec le gouvernement syrien. Cette arrestation a provoqué des affrontements armés entre les FDS et les tribus arabes alliées à Ahmad al Khabil, affrontements qui se sont traduits par le déplacement d’au moins 50 000 personnes vers des zones contrôlées par le gouvernement.
À Soueïda, ville à majorité druze du sud-ouest du pays, plusieurs milliers de personnes ont manifesté en septembre contre la dégradation des conditions économiques et pour réclamer un changement de régime.
Israël a poursuivi ses frappes aériennes contre l’armée gouvernementale syrienne ainsi que contre les forces iraniennes et les combattants du Hezbollah libanais en Syrie. Le 12 octobre, dans le contexte du conflit armé à Gaza (voir Israël et territoires palestiniens occupés et Palestine), Israël a lancé des attaques aériennes simultanées contre les aéroports internationaux d’Alep et de Damas. Trois jours plus tard, les forces progouvernementales syriennes ont tiré des roquettes sur le plateau du Golan occupé.
À la fin de l’année, on estimait à 5,6 millions le nombre de Syrien·ne·s ayant cherché refuge à l’étranger depuis le début du conflit, en 2011.
Attaques illégales
Toutes les parties au conflit et leurs alliés ont poursuivi leurs attaques terrestres et aériennes illégales contre des populations et des biens civils dans le nord de la Syrie, faisant des dizaines de morts et de blessés et détruisant des infrastructures essentielles à la survie des personnes.
Gouvernement syrien et son allié russe
Entre octobre et décembre, le gouvernement syrien, soutenu par les forces gouvernementales russes, a multiplié les attaques aériennes contre des civil·e·s et des biens de caractère civil dans le nord-ouest du pays, une région sous contrôle de groupes armés d’opposition. Selon les Nations unies, au 21 décembre, ces attaques avaient fait 99 morts et plus de 400 blessés. Pas moins de 23 établissements médicaux et 17 écoles ont en outre été endommagés.
Plus tôt dans l’année, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne (Commission d’enquête des Nations unies) avait signalé de multiples attaques terrestres perpétrées illégalement par le gouvernement syrien dans le nord-ouest du pays. Le 9 avril, les forces gouvernementales ont bombardé le centre densément peuplé de la ville de Sarmin, à l’est d’Idlib, à cinq kilomètres environ de la ligne de front la plus proche, tuant un garçon de 13 ans et blessant trois autres enfants qui jouaient dehors. Le 22 juin, les forces gouvernementales ont tiré deux roquettes non guidées contre Sarmin ; une femme a été tuée et cinq autres personnes blessées (quatre femmes et un garçon).
La Commission d’enquête des Nations unies a également fait état d’une frappe aérienne conduite par l’armée russe à 10 heures le 25 juin dans la ville de Jisr el Choughour, dans le gouvernorat d’Idlib. Cette frappe visait un bâtiment résidentiel qui, a indiqué la Commission, était peut-être utilisé par un groupe armé et se trouvait juste à côté d’un marché aux légumes. Trois civil·e·s ont été tués et 34 autres ont été blessés.
Turquie
Selon la Commission d’enquête des Nations unies, « un missile air-sol guidé qui aurait été lancé par les forces turques − apparemment depuis un drone » a frappé le 18 janvier un pick-up qui passait devant un supermarché sur la route reliant Qamichli à Malikiya, dans le gouvernorat d’Hassaké (nord-est de la Syrie). Ce territoire était contrôlé par l’AANES, farouche opposante de la Turquie et de l’Armée nationale syrienne (ANS), une coalition de groupes armés d’opposition soutenus par la Turquie. L’attaque a fait plusieurs victimes parmi les civil·e·s qui se trouvaient dans le supermarché ; un homme et un garçon de 11 ans ont été tués et plusieurs autres personnes blessées.
La Turquie a intensifié ses attaques aériennes dans le nord-est de la Syrie après l’attentat à la bombe perpétré par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) le 1er octobre à Ankara, la capitale turque, dans lequel deux fonctionnaires de police ont été blessés. Les autorités turques ont déclaré le 7 octobre que 58 combattants kurdes avaient été tués dans des frappes aériennes menées dans le nord-est de la Syrie après cet attentat à la bombe. Les autorités kurdes au pouvoir dans le nord-est de la Syrie ont indiqué que les frappes turques des 5 et 6 octobre, menées à proximité d’un camp de personnes déplacées et de plusieurs villages, avaient fait 11 morts parmi la population civile et avaient visé au moins trois raffineries, deux centrales électriques, deux hôpitaux et une école. Selon les autorités locales, ces frappes aériennes ont également provoqué des coupures de courant qui ont touché des dizaines de milliers d’habitant·e·s des villes d’Hassaké et de Qamichli.
Homicides illégaux
Le 20 mars, des membres de l’ANS ont ouvert le feu contre une famille kurde de la ville de Jindires, dans le nord du pays, qui était réunie pour les festivités du Nouvel An kurde. Quatre civil·e·s ont été tués et trois autres blessés. Le lendemain, l’ANS a arrêté quatre combattants armés, à qui elle a imputé la responsabilité de l’attaque. Cependant, aucune information n’a été communiquée sur l’issue de leur procès ni sur l’octroi ou non de réparations aux victimes et proches de victimes.
Privation d’aide humanitaire
Le gouvernement syrien et l’ANS ont bloqué l’accès à l’aide humanitaire, notamment celle fournie à la suite des séismes, dans le gouvernorat d’Alep.
Gouvernement syrien
Dans le nord du pays, les autorités ont continué de restreindre l’approvisionnement en carburant et autres produits essentiels, y compris la farine et les médicaments, de dizaines de milliers de civil·e·s (dont des personnes déplacées) vivant dans les zones à majorité kurde de la région d’Alep contrôlées par le conseil civil kurde, affilié à l’AANES. Pour faire face aux conditions climatiques particulièrement rudes, les habitant·e·s ont dû brûler des objets domestiques ou du plastique afin de se tenir au chaud.
Les autorités ont retardé l’acheminement de l’aide à la suite des tremblements de terre du 6 février à Cheikh Maksoud et Achrafieh, deux quartiers à majorité kurde situés dans les faubourgs nord d’Alep, ce qui a aggravé la crise humanitaire. Un travailleur humanitaire et responsable local du nord-est de la Syrie a dit à Amnesty International qu’il avait fallu sept jours de négociations pour que le gouvernement autorise une centaine de camions transportant du carburant et de l’aide humanitaire envoyés par l’AANES à pénétrer dans les quartiers de Cheikh Maksoud et d’Achrafieh, le 16 février, et ce uniquement à la condition que plus de la moitié de cette aide soit laissée au gouvernement et que celui-ci soit le seul à effectuer la distribution dans ces quartiers.
Le gouvernement a continué d’empêcher l’entrée de toute aide à destination des 8 000 personnes vivant dans le camp de Rukban, un campement informel situé dans une zone isolée et inhospitalière à proximité de la frontière jordano-syrienne, appelée « la berme ». Les habitant·e·s de ce camp manquaient de soins médicaux, de dispositifs d’assainissement et d’eau salubre. Le 20 juin, des soldats des États-Unis basés à proximité du camp de Rukban ont distribué des produits essentiels envoyés par des organisations humanitaires américaines.
Armée nationale syrienne
Des groupes armés de l’ANS, soutenus par la Turquie, ont entravé l’acheminement de l’aide humanitaire vers les personnes touchées par les tremblements de terre dans le district d’Afrin (gouvernorat d’Alep). Ils ont également tiré en l’air pour disperser des personnes qui se rassemblaient autour des camions pour tenter d’obtenir de l’aide humanitaire et ont détourné l’aide destinée aux victimes des séismes au profit de proches de leurs membres1.
Amnesty International s’est entretenue avec quatre personnes qui ont confirmé que l’ANS avait entravé le passage vers les secteurs sous son contrôle d’au moins 30 camions transportant du carburant et de l’aide humanitaire envoyés par l’AANES. Les camions ont attendu au point de passage de la frontière entre le nord-est de la Syrie et le nord du gouvernorat d’Alep pendant sept jours, avant que l’AANES ne vienne les récupérer. Un homme kurde dont la maison, située dans un village du district d’Afrin, a été détruite par le tremblement de terre a dit à Amnesty International qu’il était nécessaire d’être « pistonné » par des groupes armés pour obtenir quelque aide que ce soit, et que personne n’était venu jusqu’à eux pour les aider.
Détentions arbitraires et disparitions forcées
Gouvernement syrien
Des dizaines de milliers de personnes, dont des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains, des avocat·e·s et des militant·e·s politiques, restaient soumises à une disparition forcée imputable aux autorités. Beaucoup avaient ainsi « disparu » depuis plus de 10 ans.
Selon la Commission d’enquête des Nations unies, les forces gouvernementales ont continué d’arrêter et de détenir arbitrairement des personnes, « notamment par l’application de la loi contre la cybercriminalité, pour museler les critiques des services de l’État ou des politiques du gouvernement ».
Le 23 mars, les forces de sécurité ont arrêté le militant Rami Vitale dans le gouvernorat de Lattaquié. Selon des sources locales, son arrestation était certainement due au fait qu’il avait publié sur Facebook, le 12 mars, un message dans lequel il demandait aux autorités d’amener les tortionnaires à rendre compte de leurs actes. Le 5 septembre, les autorités ont appréhendé sans mandat d’arrêt la militante politique Lama Abbas. Deux jours plus tôt, elle avait lancé sur les réseaux sociaux un appel aux habitant·e·s du gouvernorat de Lattaquié pour les exhorter à ne pas vendre leurs terres.
Les forces de sécurité syriennes ont arrêté en avril au moins six réfugiés qui avaient été renvoyés par les autorités libanaises. Deux d’entre eux ont déclaré à Amnesty International qu’ils avaient été incarcérés par les forces de sécurité syriennes dans un centre de détention proche de la frontière libanaise et n’avaient été remis en liberté qu’après avoir versé un pot-de-vin. Ils ont précisé que les forces de sécurité avaient remis deux des réfugiés arrêtés à la section Palestine des services du renseignement militaire syrien à Damas, au motif qu’ils avaient déserté.
Hayat Tahrir al Cham
Hayat Tahrir al Cham, groupe armé affilié à Al Qaïda contrôlant une grande partie du gouvernorat d’Idlib, a continué de soumettre à des détentions arbitraires des journalistes, des militant·e·s et toute autre personne qui critiquait son pouvoir, sans leur permettre d’entrer en contact avec un·e avocat·e ou leurs proches.
La Commission d’enquête des Nations unies a signalé qu’à Idlib, en janvier, Hayat Tahrir al Cham avait détenu pendant une semaine un homme qui avait critiqué des discours religieux.
Droit à la vérité, à la justice et à des réparations
Le 29 juin, l’Assemblée générale des Nations unies a mis en place une institution internationale indépendante chargée de faire la lumière sur le sort des dizaines de milliers de personnes portées disparues ou soumises à une disparition forcée en Syrie depuis 2011 et d’accorder des réparations à leurs familles.
Un tribunal pénal de Paris (France) a annoncé le 8 septembre qu’il allait juger en leur absence trois hauts responsables des services de sécurité syriens pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le procès était prévu pour mai 2024.
La Cour internationale de justice a tenu le 10 octobre sa première audience publique dans l’affaire soumise par le Canada et les Pays-Bas, qui considéraient que le gouvernement syrien commettait des violations de la Convention des Nations unies contre la torture. Le 16 novembre, la Cour a rendu une ordonnance enjoignant aux autorités syriennes de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour prévenir les actes de torture et autres violations liées à la détention.
La justice française a décerné le 15 novembre des mandats d’arrêt contre le président syrien, Bachar el Assad, son frère Maher el Assad et deux autres hauts responsables syriens. Les quatre hommes étaient inculpés de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, pour l’utilisation d’armes chimiques interdites contre des civil·e·s en août 2013 dans la Ghouta orientale (gouvernorat de Rif Dimashq), lors d’attaques qui avaient entraîné la mort d’un millier de personnes.
Droits économiques et sociaux
Dans le nord-ouest de la Syrie, quelque 4,4 millions de personnes, dont 2,9 étaient déplacées à l’intérieur du pays, restaient totalement tributaires de l’assistance humanitaire coordonnée par les Nations unies et distribuée au moyen du mécanisme d’aide transfrontalière. En opposant son veto le 11 juillet à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies prévoyant son renouvellement, la Russie a mis un terme à ce mécanisme d’aide transfrontalière. Le 9 août, le gouvernement syrien a conclu avec les Nations unies un accord prévoyant un acheminement de l’aide transfrontalière jusqu’à la mi-janvier 2024.
Les séismes du 6 février ont accru les besoins humanitaires des habitant·e·s du nord-ouest de la Syrie, notamment de ceux, toujours plus nombreux, qui vivaient dans des tentes n’offrant que très peu d’intimité et une protection minimale contre les températures extrêmes ou les fortes pluies. L’accès à l’eau, à l’assainissement et aux soins de santé était limité ou inexistant.
Droits en matière de logement
Des habitant·e·s d’Alep et des employé·e·s d’organisations humanitaires présents sur place ont affirmé que les bilans dressés par les comités techniques constitués par les autorités pour évaluer la stabilité des constructions pourraient ne pas avoir été réalisés de façon méticuleuse. Ils ont également déclaré que les démolitions qui ont suivi les séismes du 6 février n’avaient pas été menées dans le respect des procédures prévues et des garanties contre les expulsions forcées énoncées dans les normes internationales relatives aux droits humains2. Les occupant·e·s des bâtiments concernés n’ont pas pu contester les décisions de ces comités et, dans bien des cas, n’ont pas eu le temps de récupérer leurs affaires avant la démolition. Certaines des personnes dont l’habitation a été démolie après avoir été jugée impropre à l’occupation ne se sont pas vu proposer de solution de relogement ni d’indemnisation. Par ailleurs, des habitant·e·s qui voulaient réparer leur maison endommagée par les tremblements de terre se sont heurtés à des obstacles administratifs.
Plateau du Golan occupé
Le plateau du Golan était toujours occupé par Israël, qui l’avait annexé illégalement. Le 22 juin, les forces israéliennes sont intervenues violemment pour réprimer un mouvement de protestation de la minorité religieuse druze contre la construction d’éoliennes dans la région. Selon des informations parues dans les médias, 20 manifestant·e·s ont été blessés.
Droit à un environnement sain
La Syrie était toujours en proie à une sécheresse qui durait depuis plusieurs années, due à la hausse des températures découlant du changement climatique et aggravée par d’autres facteurs, notamment certaines défaillances dans la gestion de l’eau. Les dégradations, la destruction et le manque d’entretien d’installations et d’infrastructures hydrauliques essentielles par les parties au conflit, ainsi que les entraves durables à l’acheminement de l’aide humanitaire, ne faisaient qu’aggraver les répercussions de la sécheresse sur la population syrienne.