Jean Mobert Senga, chercheur sur la RDC à Amnesty International
S’exprimant devant l’Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre 2024, le président Félix Tshisekedi a ignoré la détérioration persistante des droits humains sous son propre gouvernement. La communauté internationale doit l’inciter à changer de cap.
Au début de son premier mandat en 2019, le président de la République démocratique du Congo (RDC) Félix Tshisekedi avait promis de protéger les droits humains, mais son gouvernement semble s’être lancé dans une croisade contre ses propres promesses.
La réponse des autorités de la RDC au conflit armé et aux violences intercommunautaires qui ravagent le pays depuis des décennies n’a pas permis d’améliorer la situation en termes de sécurité – dans certains cas, elle l’a même aggravée.
Si la communauté internationale doit s’attaquer aux graves violations des droits humains commises par des groupes armés dans l’est de la RDC, y compris au soutien présumé du Rwanda et d’autres pays à certains de ces groupes, elle doit également renforcer la pression sur le gouvernement du président Félix Tshisekedi pour qu’il fasse respecter les droits humains, lutte contre l’impunité et remédie aux injustices socio-économiques profondément ancrées.
La RDC connaît l’une des crises humanitaires les plus longues du monde. D’est en ouest et du nord au sud, la population civile fait face à des menaces quotidiennes de violence de la part d’une myriade de groupes armés. En outre, les soldats congolais et les milices affiliées continuent de s’en prendre aux civils et de commettre des crimes horribles, bien souvent en toute impunité.
Un échec profond
Les personnes déplacées à l’intérieur du pays, en particulier les femmes et les filles, sont les plus durement touchées par ce conflit. Dans les camps qui les accueillent, les violences sexuelles sont monnaie courante, exacerbées par les conditions de sécurité déplorables et l’insuffisance de l’aide humanitaire. L’incapacité du gouvernement de Félix Tshisekedi à protéger les populations fragilisées par ces conditions de vie est inacceptable.
La communauté internationale doit demander des comptes au gouvernement de la RDC pour son incapacité à prévenir et à sanctionner les violences sexuelles et les attaques contre les civil·e·s, mais aussi pour son inaction face à la catastrophe humanitaire. Le gouvernement congolais et la communauté internationale doivent augmenter les fonds alloués à la réponse humanitaire qui manque chroniquement de financements afin de répondre aux besoins urgents des populations touchées, notamment en matière de logement, de nourriture, de soins de santé et d’éducation.
La communauté internationale doit demander des comptes au gouvernement de la RDC pour son incapacité à prévenir et à sanctionner les violences sexuelles et les attaques contre les civil·e·s, mais aussi pour son inaction face à la catastrophe humanitaire
Jean Mobert Senga, chercheur sur la RDC à Amnesty International
L’état de siège imposé dans le Nord-Kivu et en Ituri depuis mai 2021 est un facteur clé de la détérioration de la situation des droits humains dans l’est de la RDC. Cette mesure exceptionnelle, qui s’apparente à un état d’urgence, militarise dans les faits la vie quotidienne, concentrant tous les pouvoirs entre les mains des militaires et des policiers, y compris des pouvoirs qui devraient incomber à des instances civiles. Il est grand temps de mettre fin à l’« état de siège » et d’œuvrer en faveur d’une approche centrée sur les droits humains en vue de rétablir la sécurité.
Par ailleurs, une vague de répression de la dissidence déferle sur la nation sous prétexte de défendre le pays contre les ennemis. Des journalistes, des militants de la société civile et des opposants politiques font l’objet de menaces, de détentions arbitraires et de harcèlement judiciaire. En militarisant le pouvoir judiciaire, le gouvernement de Félix Tshisekedi trahit les espoirs et les aspirations de ceux qui se sont levés contre la répression de leurs droits sous le régime de Joseph Kabila.
Tout aussi inquiétante est la décision du gouvernement en mars dernier de rétablir la peine de mort après plus de deux décennies d’interruption. Depuis, les tribunaux militaires ont prononcé plus d’une centaine de condamnations à mort, augmentant le risque d’exécutions pour des motifs politiques.
La récente tragédie qui s’est déroulée à la prison de Makala à Kinshasa – plus de 120 morts, des centaines de blessés et plus de 200 femmes et filles soumises à des violences sexuelles, notamment à des viols collectifs – met en lumière l’état déplorable des conditions carcérales en RDC. Le président doit veiller à ce que les tribunaux mènent une enquête transparente et rapide et poursuivent tous les responsables, y compris dans les sphères politiques et de sécurité, qui n’ont pas réussi à prévenir ce drame. La communauté internationale doit faire pression et aider à des réformes pénales et pénitentiaires urgentes afin que de telles tragédies ne se reproduisent jamais.
En dépit d’appels répétés en faveur de la justice, le gouvernement n’a guère ou pas traduit devant les tribunaux les auteurs congolais et étrangers de crimes de droit international. Des acteurs puissants continuent d’agir en toute impunité, ce qui renforce le cycle de la violence. Les initiatives favorisant d’autres formes de justice, y compris les indemnisations et les réparations, demeurent très insuffisantes. Les victimes sont frustrées par le manque de transparence et la lenteur de ces efforts, qui semblent trop souvent plus symboliques que concrets.
En dépit d’appels répétés en faveur de la justice, le gouvernement n’a guère ou pas traduit devant les tribunaux les auteurs congolais et étrangers de crimes de droit international. Des acteurs puissants continuent d’agir en toute impunité, ce qui renforce le cycle de la violence
Jean Mobert
Le conflit armé n’est pas la seule menace existentielle pour des milliers de personnes dans le pays. La RDC est un fournisseur majeur de cuivre et de cobalt, des minerais essentiels à la transition mondiale vers les énergies renouvelables. Cependant, comme le souligne Amnesty International dans son rapport de 2023 intitulé Alimenter le changement ou le statu quo ?, l’augmentation des investissements dans le secteur minier industriel donne lieu à des atteintes aux droits humains, notamment à des expulsions forcées massives et à la pollution de l’environnement, plongeant les populations en première ligne dans l’incertitude. La pollution toxique et les conditions de travail dangereuses continuent d’être un fléau pour les mineurs artisanaux, en particulier dans les provinces du sud riches en cobalt.
La communauté internationale ne peut plus se permettre d’ignorer la grave situation des droits humains en RDC. Les alliés du président Félix Tshisekedi – en particulier les États-Unis, l’Afrique du Sud, l’Angola, la Belgique et la France – doivent user de leur influence et exiger des comptes pour les violations des droits humains commises.
Cet article a initialement été publié dans le quotidien sud-africain Daily Maverick.