À l’approche du verdict attendu jeudi 28 septembre pour quatre personnes accusées d’implication dans la disparition forcée et le meurtre du défenseur karen des droits humains Pholachi Rakchongcharoen, dit « Billy », Chanatip Tatiyakaroonwong, spécialiste de la Thaïlande au sein d’Amnesty International, a déclaré :
« La courageuse quête de justice de Billy lui a coûté la vie et a entraîné ses proches dans un cauchemar qui dure depuis plusieurs années, confrontés au chagrin, à l’obstruction et aux mensonges tandis qu’ils tentaient de connaître la vérité. Ils méritent de savoir tout ce qui lui est arrivé, et les responsables de ce meurtre d’une horreur inimaginable doivent être amenés à rendre des comptes.
« Le verdict imminent, attendu de longue date, est un test décisif pour le système judiciaire thaïlandais, qui a manqué à ses obligations envers les victimes de disparition forcée pendant bien trop longtemps. La justice a aujourd’hui la possibilité d’établir de nouvelles règles pour le traitement des disparitions forcées afin de se conformer au droit international relatif aux droits humains. C’est également une occasion pour les autorités thaïlandaises de montrer la voie en faisant clairement savoir aux représentants de l’État dans tout le pays que la culture de l’impunité est désormais finie et que les disparitions forcées ne seront plus tolérées.
« Le nouveau gouvernement de la Thaïlande doit par ailleurs adhérer sans plus attendre à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette initiative montrerait qu’il est véritablement engagé pour que les crimes abominables comme ceux commis contre Billy ne se produisent plus et que les responsables présumés soient traduits en justice dans les meilleurs délais. »
Complément d’information
Billy a été vu pour la dernière fois le 17 avril 2014, en train de quitter le parc national de Kaeng Krachan, dans la province thaïlandaise de Petchaburi, où il aurait été arrêté par des fonctionnaires du parc pour détention illégale de miel d’abeilles sauvages.
Au moment de son arrestation, il allait rencontrer des villageois·e·s autochtones karens pour préparer une audience de la procédure qu’ils avaient engagée contre des agents du parc ayant expulsé de force des personnes vivant sur place et incendié des habitations de membres de la communauté karen. Billy se déplaçait ce jour-là avec des documents liés au dossier qui n’ont jamais été retrouvés.
Cinq ans après, le 3 septembre 2019, le Service des enquêtes spéciales a annoncé que le corps de Billy avait été découvert dans un baril de pétrole brûlé au fond d’un réservoir dans le parc national de Kaeng Krachan, où il avait été vu pour la dernière fois aux mains de fonctionnaires du parc. Ce service a ensuite demandé au parquet de poursuivre les quatre agents du parc soupçonnés d’avoir participé à l’arrestation et à la détention de Billy, dont le directeur du parc et quatre autres fonctionnaires.
Malgré ces progrès sans précédent dans l’enquête, le procureur de la Division 1 du Département des litiges spéciaux du ministère de la Justice a abandonné toutes les poursuites recommandées par le Service des enquêtes spéciales en janvier 2020. En août 2020, ce dernier a fait appel de cette décision devant le Bureau du procureur général. Deux ans plus tard, en août 2022, l’affaire a pris un nouveau tourant décisif lorsque le Bureau du procureur général a finalement décidé de poursuivre les quatre suspects pour cinq chefs d’accusation, notamment l’enlèvement et le meurtre de Billy. Les quatre accusés nient les faits qui leur sont reprochés.
La Thaïlande a adopté l’an dernier la Loi relative à la prévention et à la répression de la torture et des disparitions forcées, qui est entrée en vigueur en février 2023. Amnesty International a déjà appelé les autorités thaïlandaises à prendre des mesures pour que cette loi soit appliquée efficacement, dans le respect du droit et des normes internationaux relatifs aux droits humains. Cependant, étant donné qu’elle est entrée en vigueur après l’inculpation des quatre fonctionnaires mis en cause dans l’affaire de Billy, ceux-ci risquent de ne pas être poursuivis spécifiquement pour disparition forcée selon les termes de cette nouvelle loi.
De plus, malgré l’adoption de cette loi nationale, la Thaïlande n’a pas encore adhéré à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ni au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires, décomptait 76 cas non résolus de disparition forcée (70 hommes et six femmes) en Thaïlande en août 2022.