Égypte. Des organisations indépendantes risquent de fermer après l’expiration de la date butoir imposée aux ONG

Des groupes indépendants au sein de la société civile risquent d’être forcés à cesser leurs activités en Égypte, ce qui réduira encore davantage l’espace réservé à l’engagement civique et au militantisme en faveur des droits humains dans le pays, a déclaré Amnesty International mercredi 12 avril, date limite pour l’enregistrement des organisations non gouvernementales en vertu de la loi répressive de 2019 sur les ONG.

Le 5 avril 2023, Nevine al Kabaj, ministre égyptienne de la Solidarité sociale, a déclaré que les ONG n’ayant pas encore procédé à leur enregistrement au 12 avril 2023, conformément à la loi de 2019, risquent d’être dissoutes. Cette déclaration fait fi des appels croissants de la part d’ONG locales et internationales, ainsi que d’expert·e·s de l’ONU en faveur de l’abrogation et de la modification de la loi, de sorte que celle-ci soit mise en conformité avec les normes internationales sur le droit à la liberté d’association. Nevine al Kabaj a par ailleurs indiqué qu’il n’y aurait pas d’extensions supplémentaires de ce délai.

« Cela fait des années que les autorités égyptiennes étouffent la société civile indépendante et soumettent des défenseur·e des droits humains à toutes sortes d’attaques, notamment des détentions arbitraires, des poursuites en justice à caractère politique, des interdictions de voyager, des gels d’avoirs, une surveillance illégale et d’autres formes de harcèlement », a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Étant donné que le “dialogue national” tant attendu avec l’opposition doit s’ouvrir le 3 mai, il faut que les autorités retirent immédiatement leurs menaces concernant la dissolution des ONG non enregistrées. Les autorités devraient plutôt travailler de concert avec des ONG afin de mettre en place un cadre juridique qui les autorise à mener à bien leur travail vital sans crainte de représailles, et qui permette de remplir les obligations auxquelles l’Égypte est tenue, en vertu du droit international, de faire respecter le droit à la liberté d’association. »

La loi de 2019 sur les ONG accorde aux autorités des pouvoirs trop étendus leur permettant de superviser l’enregistrement, les activités, les financements et la dissolution des ONG. Elle restreint les activités des ONG en limitant leur action au « développement sociétal », un concept à la définition vague susceptible d’être utilisé afin d’interdire le travail de défense des droits humains. Elle interdit par ailleurs aux ONG de mener des recherches et d’en publier les résultats sans autorisation préalable du gouvernement. En janvier 2022, le Réseau arabe pour l’information sur les droits humains, la plus ancienne ONG égyptienne de défense des droits humains, a fermé ses portes après 18 ans de fonctionnement, affirmant ne pouvoir poursuivre ses activités de défense des droits humains face à cette législation draconienne.

Poursuites injustes et harcèlement

Ces neuf dernières années, les autorités égyptiennes ont intensifié leurs persécutions injustes et la détention illégale de membres du personnel d’ONG dans le but d’entraver le travail de défense des droits humains. Dans le cadre de l’enquête criminelle, longue d’une décennie, effectuée sur le travail légitime d’organisations de la société civile, soit l’affaire 173/2011, aussi connue comme l’« affaire des financements étrangers », au moins 15 employé·e·s d’ONG continuent à faire l’objet d’investigations, notamment Mohamed Zaree, directeur du Programme Egypte à l’Institut du Caire pour l’étude des droits humains, Aida Seif al Dawla, Magda Adly et Suzan Fayad, du Centre al Nadeem pour la réadaptation pour les victimes de torture, Hossam Bahgat, directeur de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne , et Gamal Eid, directeur du Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme, qui a fermé ses portes. Ces personnes ne peuvent toujours pas se rendre à l’étranger et leurs avoirs ont été gelés.

Plusieurs employé·e·s d’ONG sont par ailleurs injustement maintenus en détention en raison de leurs activités légitimes en faveur des droits humains. Mohamed Baker, fondateur et directeur du Centre Adalah pour les droits et les libertés, est détenu de manière arbitraire depuis le 29 septembre 2019. En novembre 2021, il a été condamné à quatre ans d’emprisonnement à l’issue d’un procès manifestement inique devant un tribunal d’exception, sur la base d’accusations de « dissémination de fausses informations ». Ces charges sont liées à des rapports publiés par le Centre Adalah pour les droits et les libertés sur les conditions de détention et le recours à la peine de mort en Égypte.

Le 5 mars 2023, un tribunal d’exception a également déclaré coupables Ezzat Ghoniem, fondateur de l’organisation de défense des droits Coordination égyptienne pour les droits et les libertés (CEDL), et 29 autres personnes sur la base de charges absurdes liées à leur travail en faveur des droits humains, et les a condamnés à des peines allant de cinq ans d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité.

« La communauté internationale doit demander aux autorités égyptiennes de mettre fin à leur campagne répressive contre les ONG indépendantes. Elles doivent de toute urgence relâcher les défenseur·e·s des droits humains maintenus à tort en détention, annuler toutes les déclarations de culpabilité injustes, abandonner l’affaire 173 une fois pour toutes, et lever les interdictions de voyager et les gels d’avoirs infligés aux employé·e·s d’ONG. Une société civile énergique est essentielle afin de relever les défis économiques se posant à l’Égypte et de promouvoir les droits humains », a déclaré Philip Luther.

Complément d’information

Le 5 avril 2023, la ministre de la Solidarité sociale a annoncé que 35 653 ONG s’étaient enregistrées en vertu de la loi de 2019 relative aux ONG. Les autorités avaient précédemment déclaré qu’il existait 52 500 groupes civiques dans le pays.

Les ONG de défense des droits humains les plus connues d’Égypte, notamment celles qui proposent une aide juridique gratuite aux victimes de violations des droits fondamentaux, fonctionnent comme des entreprises ou cabinets d’avocats à but non lucratif, et risquent d’être dissoutes, faute d’enregistrement au titre de la loi de 2019 relative aux ONG. Des organisations enregistrées conformément à cette loi signalent régulièrement que les autorités ont refusé d’approuver leurs financements ou leurs projets, ou tardé à le faire.