Manifestations et répression
Dernière mise à jour : 18 septembre 2020
Le 17 octobre 2019, le gouvernement libanais a annoncé de nouvelles mesures fiscales en vue de lutter contre la crise économique. En réaction, des dizaines de milliers de manifestant·e·s pacifiques sont descendus dans les rues dans tout le pays pour revendiquer leurs droits économiques et sociaux et exiger l’obligation de rendre des comptes, la fin de la corruption et la démission de tous les responsables politiques.
Bien que le gouvernement ait démissionné, de nombreux dirigeants qui dominent la scène politique depuis des dizaines d’années sont restés au pouvoir. En janvier 2020, un nouveau gouvernement a été formé, mais peu de changements ont été apportés pour répondre aux revendications de la population, et les manifestations ont donc continué.
Le 4 août, une explosion est survenue dans le port de Beyrouth, faisant au moins 190 morts, plus de 6 500 blessés et laissant environ 300 000 personnes sans abri. L’explosion a été causée par 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui avaient été stockées de manière dangereuse dans un entrepôt.
Cet événement tragique, intervenant dans un contexte de pandémie mondiale, de crise financière et de crise politique, a ravivé les manifestations d’octobre dès le 8 août, avec des revendications d’obligation de rendre des comptes et de justice. La pression de la rue a entraîné la démission du gouvernement pour la deuxième fois depuis le début des manifestations.
Les manifestations majoritairement pacifiques depuis octobre 2019 ont été réprimées par l’armée et les forces de sécurité libanaises au moyen de coups et de tirs de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc, voire parfois de balles et plombs réels.
Au lieu de s’acquitter de ses responsabilités fondamentales envers les milliers de personnes qui se retrouvent à la rue et subissent les conséquences des explosions, l’État semble préférer passer à l’offensive contre sa population.
Lynn Maalouf, Amnesty International
Recours excessif à la force
Les manifestations partout au Liban ont été très majoritairement pacifiques. La réponse de l’armée et des forces de sécurité a cependant été variable en fonction des régions. Amnesty International a constaté des pratiques de recours excessif à la force, notamment l’utilisation illégale de grenades lacrymogènes et des coups contre des manifestant·e·s.
Lors de l’épisode le plus violent depuis le début des manifestations, l’armée et les forces de sécurité libanaises, ainsi que des hommes en civil non identifiés, ont tiré sur des foules de personnes non armées pendant des manifestations organisées à Beyrouth dans les jours ayant suivi l’explosion. Plus de 230 personnes ont été blessées, certaines ayant reçu des plombs dans les yeux. Des grenades lacrymogènes ont été tirées directement sur les foules, blessant des manifestant·e·s à la tête et au visage, et des médecins qui apportaient des soins aux personnes blessées ont été visés.
Le 26 octobre 2019, dans les premiers jours des manifestations, l’armée a ouvert le feu sur plusieurs dizaines de manifestant·e·s participant à un sit-in dans le secteur de Beddawi, près de Tripoli, dans le nord du Liban. Des militaires qui essayaient de dégager la route ont commencé à frapper les manifestant·e·s, qui ont réagi en leur lançant des pierres. Les militaires ont alors ouvert le feu à balles réelles, blessant grièvement deux manifestant·e·s au moins.
À ce jour, aucune enquête transparente n’a été menée sur le recours excessif à la force et les victimes n’ont reçu aucune réparation.
Amnesty International a lancé un site multimédia interactif intitulé Teargas: An investigation, qui explique ce qu’est le gaz lacrymogène et la façon dont il est utilisé, et présente de nombreux cas d’utilisation abusive de ce produit, recensés partout dans le monde, qui ont souvent conduit à de graves blessures ou même à la mort de victimes.
Violations commises par les autorités
Sanctionner le mouvement
Répression de la liberté d’expression
Les autorités libanaises harcèlent sans relâche les journalistes et militant·e·s qui étaient au premier plan lors du mouvement de contestation d’octobre, en les convoquant et en les interrogeant de manière répétée en s’appuyant sur des lois problématiques relatives à la diffamation, ce qui pourrait avoir un effet dissuasif pour le mouvement et le droit à la liberté de réunion pacifique.
Entre le 17 octobre 2019 et le 24 juin 2020, Amnesty International a analysé les cas de 75 personnes, dont 20 journalistes, qui ont été convoquées sur la base de lois relatives à la diffamation en raison de publications sur les réseaux sociaux critiquant les autorités. Plusieurs institutions militaires et de sécurité sont à l’origine de ces convocations, alors qu’aucune n’est mandatée pour traiter les affaires liées à la liberté d’expression. Des personnes ont été menacées de poursuites et forcées à supprimer leurs publications sur les réseaux sociaux et/ou à signer des déclarations illégales par lesquelles elles s’engageaient à cesser de critiquer les autorités, d’organiser des manifestations et d’y participer. Certaines de ces personnes ont ensuite engagé elles-mêmes des poursuites, notamment pour des allégations d’actes de torture, mais la justice n’a, à ce jour, ouvert aucune enquête sur ces allégations.
Arrestations arbitraires et torture
L’armée et les forces de sécurité ont arrêté des centaines de manifestant·e·s pacifiques dans tout le Liban, notamment à Sour, Jal el Dib, Zouk, Beyrouth et Beddawi. Amnesty International a recensé plusieurs cas de violations des droits humains : des manifestant·e·s ont notamment été arrêtés sans mandat, violemment frappés, insultés et humiliés, ont eu les yeux bandés et ont été forcés à faire des « aveux ». Quatre personnes ont été illégalement détenues pendant six jours par l’armée avant d’être relâchées à Beddawi. Personne ne savait où elles se trouvaient, et elles ont été privées de la possibilité de communiquer avec un avocat et avec leurs proches, et de ce fait il pourrait s’agir d’une disparition forcée au regard du droit international. Deux de ces personnes ont déclaré à Amnesty avoir été soumises à des simulacres d’exécution. Dans les rares cas dans lesquels une minorité de manifestant·e·s a pris part à des actes de vandalisme, les forces de sécurité ont répondu de manière disproportionnée, notamment en arrêtant des manifestant·e·s pacifiques.