Mozambique. Des attaques visant des responsables de la société civile, des militants et des journalistes ternissent la période électorale

Ce mardi 17 septembre, Amnesty International a publié un document consacré aux droits humains et destiné à l’ensemble des partis et candidats aux élections mozambicaines, après avoir mis en évidence toute une série d’atteintes aux droits humains dont sont victimes les défenseurs des droits humains, les militants, les journalistes et d’autres membres de la société civile depuis quelques années.

Au Mozambique, toute mise en cause du gouvernement donne lieu à de graves conséquences, dont des enlèvements, des détentions arbitraires et des agressions.

Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique australe à Amnesty International

Intitulé Turn the page! A human rights manifesto for Mozambican political parties and their candidates, ce document expose en détail plusieurs cas de militants de la société civile et de journalistes bien connus, en butte à des manœuvres d’intimidation, des actes de harcèlement et des violences en raison de leurs activités, en amont des élections du 15 octobre.

« Au Mozambique, toute mise en cause du gouvernement donne lieu à de graves conséquences, dont des enlèvements, des détentions arbitraires et des agressions. Vous dénoncez la politique du gouvernement à vos risques et périls, a déclaré Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique australe à Amnesty International.

« Les responsables de la société civile, les journalistes, les défenseurs des droits humains et les militants sont exposés à des risques croissants au fur et à mesure qu’approche le jour du scrutin. Ce document met en lumière les violations des droits humains systématiques que doivent prendre au sérieux et condamner tous les partis politiques et candidats aux élections alors qu’ils s’apprêtent à se rendre aux urnes. »

Harcèlement et intimidation

Au lendemain des élections municipales tenues en octobre 2018, des responsables de la société civile, des défenseurs des droits humains et des militants, des organismes religieux et des médias ont été la cible d’actes de harcèlement et de manœuvres d’intimidation, certains étant en particulier menacés de mort pour avoir surveillé et diffusé les résultats après le scrutin.

Les responsables de la société civile, les journalistes, les défenseurs des droits humains et les militants sont exposés à des risques croissants au fur et à mesure qu’approche le jour du scrutin.

Deprose Muchena

Ils ont reçu des messages de menaces, leur conseillant d’« être prudents » et les avertissant que « leurs jours étaient comptés », uniquement parce qu’ils avaient fait leur travail. Certains d’entre eux ont même été menacés de « disparaître sans laisser de traces ». Ils étaient accusés d’avoir contribué à la défaite du Front de libération du Mozambique (FRELIMO), le parti au pouvoir, en faisant en sorte que des personnes surveillent les bureaux de vote et publient les résultats du scrutin en direct.

Deux journalistes ont été menacés après avoir publié des informations liées aux élections sur les réseaux sociaux dans la province de Tete ; le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Malacha a notamment reçu des menaces de mort parce qu’il avait publié les résultats du scrutin sur la page Facebook de son journal.

Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, actes de torture et autres mauvais traitements

Andre Hanekom, un homme d’affaires sud-africain, est décédé à l’hôpital de Pemba, en janvier 2019. En août 2018, il avait été blessé par balle au bras et au ventre avant d’être enlevé par quatre individus masqués, armés de fusils AK-47, dans le district de Palma (province de Cabo Delgado). Il a ensuite été détenu par les forces de sécurité gouvernementales dans des circonstances mystérieuses, se voyant refuser toute visite de la part de sa famille, alors même que sa détention avait été jugée illégale par un juge, qui avait ordonné sa mise en liberté sous caution. Pendant qu’il se trouvait aux mains de l’armée, Andre Hanekom aurait été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.

Le 27 mars 2018, des inconnus armés ont enlevé Ericino de Salema, avocat spécialiste des droits humains et commentateur politique, devant les bureaux du syndicat mozambicain des journalistes à Maputo. Ils l’ont battu, lui brisant les bras et les jambes, avant de l’abandonner sur le bord de la route, le laissant pour mort. Ils ont accusé Ericino de Salema, contestataire bien connu dans le pays, de « trop parler », et affirmé vouloir lui donner une leçon. Avant d’être agressé, il avait reçu des menaces de mort anonymes par téléphone.

Agressions, arrestations et détentions arbitraires

Les violentes attaques menées dans la province de Cabo Delgado par un groupe local extrémiste connu sous le nom d’Al Shabab ont coûté la vie à au moins 200 personnes et contraint des milliers d’autres à fuir leur foyer depuis octobre 2017.

Malgré une forte présence de l’armée dans les zones concernées, ces attaques n’ont pas cessé. L’accès à la province est désormais interdit aux journalistes, chercheurs, universitaires et organisations non gouvernementales, et celles et ceux qui ont tenté de s’y rendre ont bien souvent été arrêtés arbitrairement par les forces de sécurité, en l’absence de mandat. 

Par exemple, au début de l’année, le journaliste Amade Abubacar a été détenu arbitrairement pendant près de quatre mois, dans l’attente de son procès, parce qu’il avait rendu compte des attaques dans la province et de la fuite de ses habitants.

Amade Abubacar a été victime de mauvais traitements pendant son incarcération. Détenu au secret par l’armée pendant 12 jours, il a été privé de soins médicaux adaptés et n’a pas été autorisé à recevoir de visites de ses proches. Il fait l’objet de plusieurs chefs d’inculpation, dont celui d’« incitation publique à commettre une infraction par le biais de médias électroniques ».

Le 30 juin 2018, Pindai Dube, journaliste zimbabwéen travaillant pour eNews Channel Africa (eNCA), chaîne d’information télévisée indépendante dont le siège se trouve à Johannesburg (Afrique du Sud), a été arrêté par la police à Pemba alors qu’il enquêtait dans la province de Cabo Delgado. Accusé d’espionnage, il a été libéré trois jours plus tard sans être inculpé. On ne sait pas exactement pourquoi les forces de sécurité interdisent l’accès à la province.

Répression des libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association

Ces cinq dernières années, les autorités ont intensifié leur action de répression des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.

Le 18 janvier 2019, Fátima Mimbire, défenseure des droits humains et chercheuse de l’organisation Centre pour l’intégrité publique (CIP) au moment des faits, a reçu des messages d’intimidation et des menaces de mort sur les réseaux sociaux. Ces attaques ont commencé après le lancement par l’organisation d’une campagne dénonçant la décision du gouvernement mozambicain de rembourser des emprunts de plus de deux milliards de dollars des États-Unis, négociés dans le secret et obtenus illégalement dans l’objectif de créer trois entreprises publiques. Des militants connus du FRELIMO, y compris la députée Alice Tomás, avaient prôné le recours à la violence à l’encontre de Fátima Mimbire sur les réseaux sociaux. La députée avait notamment demandé à ce que la chercheuse « soit violée par 10 hommes forts et énergiques pour lui donner une leçon ».

Alors que l’échéance électorale se rapproche, les partis politiques et candidats participant aux élections doivent s’engager à favoriser une culture du respect des droits humains et présenter des mesures concrètes pour instaurer une société respectueuse de ces droits.

Deprose Muchena

Le 2 décembre 2017, un homme armé a menacé de tuer Aunício da Silva, journaliste d’investigation et rédacteur en chef d’Ikweli, hebdomadaire publié à Nampula, une ville située dans le nord du Mozambique. Il l’a accusé d’avoir publié des articles salissant l’image d’un homme politique local. Après cet épisode, Aunício da Silva a continué d’être menacé de mort par téléphone et par SMS en raison de ses investigations sur l’exploitation illégale des ressources naturelles, la traite d’êtres humains et le trafic de stupéfiants, ainsi que sur les allégations de corruption, de fraude électorale et de confiscation de terres.

Le 23 juillet 2018, le Conseil des ministres a adopté un décret obligeant les journalistes et médias nationaux et étrangers à verser des frais de licence et d’accréditation prohibitifs pour pouvoir rendre compte de l’actualité dans le pays.

« Alors que l’échéance électorale se rapproche, les partis politiques et candidats participant aux élections doivent s’engager à favoriser une culture du respect des droits humains et présenter des mesures concrètes pour instaurer une société respectueuse de ces droits, a déclaré Deprose Muchena.

« Le plein respect des droits humains de toutes et tous devrait constituer la nouvelle clé de voûte de la période post-électorale au Mozambique. Aucune autre option n’est acceptable. »

Complément d’information

Le Mozambique organisera le 15 octobre 2019 la sixième édition de ses élections générales depuis la fin de la guerre civile en 1992. Les citoyens et citoyennes seront invités à élire le président de la République, les députés et les gouverneurs de province.