Le fait que les autorités égyptiennes n’aient encore amené personne à rendre des comptes pour le massacre d’au moins 900 personnes commis par les forces de sécurité durant des manifestations sur les places Rabaa al Adawiya et al Nahda, au Caire, résume la crise sans précédent que connaît le pays sur le terrain des droits humains, a déclaré Amnesty International mardi 14 août.
« Le régime du président Abdel Fattah al Sissi est désireux d’effacer tout souvenir du massacre de l’été 2013, même si le spectre de cet événement continuera à planer sur son gouvernement », a déclaré Najia Bounaim, directrice du travail de campagne sur l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Les manquements répétés des autorités égyptiennes à leur devoir de respecter les droits des manifestants et d’obliger les responsables à rendre des comptes pour des tueries, a contribué à un environnement dans lequel les forces de sécurité se sentent autorisées à violer les droits humains en toute impunité.
« Le massacre de Rabaa a marqué un tournant pour les droits humains en Égypte. Au cours des cinq années écoulées, les atteintes aux droits fondamentaux commises par les forces de sécurité égyptiennes, comme la pratique des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, ont pris une ampleur jamais vue auparavant. »
Au lieu de chercher à rendre justice aux victimes du massacre, les autorités égyptiennes ont organisé le procès-spectacle collectif de 739 personnes, dont des journalistes et des photographes, qui avaient pris part aux manifestations ce jour-là.
Ces personnes ont été accusées d’avoir participé à des manifestations non autorisées, mais également d’autres infractions, notamment de meurtre, d’« incitation à enfreindre la loi », d’« appartenance à un groupe illégal », de « rassemblement illégal » et de participation à des actes de violence.
Non seulement l’accusation n’a pas fourni d’éléments établissant la responsabilité individuelle de chacun des 739 accusés, mais le tribunal n’a en outre pas insisté sur la nécessité d’établir cette responsabilité, rendant ainsi le jugement totalement inique. Malgré cela, 75 accusés encourent désormais la peine de mort, notamment le prisonnier d’opinion Mahmoud Abu Zeid, également connu sous le nom de Shawkan.
Le 7 juillet, la Chambre des représentants a dans un premier temps approuvé un projet de loi soumis par le gouvernement, accordant l’immunité et certains privilèges à de hauts gradés des forces armés choisis par le président al Sissi. Ce texte recueillera probablement la majorité des deux tiers requise pour son adoption.
Il prévoit d’accorder aux membres des forces de sécurité une immunité de poursuites pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions durant la période comprise entre la suspension de la Constitution, le 3 juillet 2013, et le 10 janvier 2016. L’article 6 de ce projet de loi indique que ces fonctionnaires « bénéficieront par ailleurs de l’immunité spéciale réservée aux chefs et membres de missions diplomatiques pour la durée de leur période de service et de leurs convocations ».
« Ce nouveau texte illustre en outre à quel point les priorités du gouvernement al Sissi sont faussées. On dirait que l’objectif est d’entretenir un climat d’impunité et une attitude méprisante face au droit international, à la Constitution égyptienne et aux principes de base de la justice », a déclaré Naija Bounaim.
« C’est sans aucun complexe que les autorités renforcent les privilèges dont jouissent les membres des forces de sécurité qui ont pris part aux opérations de répression à Rabaa, tout en persécutant des manifestants et des journalistes qui ne faisaient qu’exercer leur liberté d’expression et de réunion. La possibilité que certains doivent payer cette liberté de leur vie est tragique. »